99.000 tonnes de viande bovine, 180.000 tonnes de volailles, 180.000 tonnes de sucre ou encore 650.000 tonnes d’éthanol… ces chiffres ont de quoi faire peur! C’est pourtant ce que l’Europe accepte de faire entrer sur son territoire avec des droits réduits, voire nuls, en provenance des pays du MERCOSUR. En contrepartie, les agriculteurs européens pourront exporter 30.000 tonnes de fromage et 10.000 tonnes de lait en poudre… des apéricubes diront certains au regard du reste du repas qu’on tente de nous faire avaler.

Isabelle Jaumotte et Marie-Laurence Semaille

L’accord conclu dernièrement par la Commission avec les pays du Mercosur a remué tout le secteur agricole. Même si celui-ci doit encore être ratifié par le Conseil et le Parlement européens, la Fédération Wallonne de l’Agriculture a d’ores et déjà interpellé les responsables politiques et appelle à un vote de rejet unanime de la part de la Wallonie et de la Flandre.

A la demande de nos membres, tant éleveurs que cultivateurs, une délégation a été reçue par le Ministre-Président de Wallonie, Willy Borsus. L’occasion pour ces derniers d’évoquer les craintes que représentent les importantes quantités de produits agricoles qui vont inonder le marché européen, notamment sur des secteurs particulièrement sensibles chez nous tels que la viande bovine, la betterave et la volaille.

Le Ministre-Président a rappelé que les informations actuellement disponibles étaient largement incomplètes et qu’il faudrait encore une à deux années pour que cet accord soit sur la table du Conseil des Ministres. Cet accord d’association mixte, contenant un volet coopération, un volet politique et un volet économique, devait être voté à l’unanimité par le Conseil. Cependant, le Cabinet Borsus a évoqué la possibilité, pour la Commission, de proposer au Conseil une scission de l’accord: la partie commerciale de l’Accord ferait ainsi l’objet d’un accord de type «libre-échange» qui n’exige que la majorité des voix, même si cette hypothèse semble peu probable.

Willy Borsus a indiqué que plusieurs chefs d’Etat, dont Charles Michel et Emmanuel Macron, avaient écrit début d’année à Jean-Claude Juncker pour soulever les diverses craintes qu’ils partageaient et avaient sollicité des balises pour certains produits. Depuis lors, un mouvement d’opposition semble naitre dans plusieurs Etats membres sur le volet agricole, suscitant des réactions d’autres comme l’Allemagne dont l’industrie automobile a tout à gagner d’un tel accord.

Quelle que soit la production, les agriculteurs ont souligné le besoin de cohérence de la Commission européenne.

Pour ce qui est du sucre et de l’éthanol, ceux-ci ont insisté sur les règles de durabilité imposées par l’Europe sur son territoire alors qu’elle va autoriser l’importation de produits ne respectant aucun de ces critères. Ils craignent également que les importations de bioéthanol n’entrainent une chute des prix de la betterave sucrière, déjà fortement impactée par la fin des quotas.

Ceux-ci ont enfin insisté pour que la politique européenne en matière de biocarburant soit adaptée, notamment pour augmenter le pourcentage d’incorporation. De même, ils ont rappelé la nécessité d’un véritable plan protéines pour renforcer notre autonomie et rééquilibrer les productions végétales.

Pour ce qui est de la viande bovine, les éleveurs ont rappelé que la Wallonie produit de la viande de qualité avec des morceaux nobles qui seront directement concurrencés par les morceaux nobles venant du Mercosur et ce, dans un contexte de réduction globale de la consommation de viande. Ceux-ci ont donc lourdement insisté sur l’importance de l’étiquetage d’origine des produits finis afin d’informer correctement les consommateurs, ce que soutient le Ministre-Président.

A l’écoute des différents arguments évoqués, Willy Borsus partage ses craintes, indiquant que l’accord du Mercosur est loin de présenter les mêmes garanties que le CETA. Cependant, il estime qu’il est actuellement impossible de chiffrer l’impact de l’accord sur notre économie, faute d’informations suffisamment précises. Si l’accord prévoit la proposition d’inclure un mécanisme de sauvegarde en fonction de l’effet sur le marché européen, il sera important de voir comment l’appliquer sur les importations du Mercosur. Quant aux mesures de compensations d’1 milliard d’euros prévues par la Commission, il a rappelé que c’était une enveloppe unique qui, une fois épuisée, ne sera pas réalimentée.

Le Ministre-Président évoque un bras de fer avec les autres secteurs économiques dans les mois à venir et suggère de rallier les consommateurs européens, notamment sur le respect des clauses environnementales, sanitaires, sociales ou encore de bien-être animal. Au terme de la rencontre, il a été convenu de refaire un point sur le dossier dès que des informations plus précises seront disponibles et en fonction de l’évolution des discussions au niveau de la Commission.

Avec le reste de l’Agrofront, la présidente de la Fédération Marianne Streel a également rencontré des représentants du Cabinet du Premier Ministre, Charles Michel. Les mêmes revendications ont été réitérées en soulignant l’incohérence politique de la Commission européenne qui, ce faisant, met sous pression toute l’agriculture familiale européenne mais aussi celle des pays du Mercosur. En effet, même là-bas, les bénéficiaires de cet accord ne seront pas les petits producteurs mais bien les géants de l’agro-business.

D’ores et déjà, il apparait très clairement dans l’accord que la filière bovine sud-américaine n’est pas capable de garantir la traçabilité bovine dès la naissance de l’animal. Il faudra passer par des reconnaissances d’équivalences de normes notamment sanitaires et tout cela devra être certifié dans le cadre de contrôles officiels qui seront annoncés des mois à l’avance…. On est bien loin des exigences de contrôles inopinés imposées à tous les agriculteurs européens!

La FWA a également rappelé l’importance d’amener plus de durabilité dans toutes les filières agro-alimentaires européennes et pas seulement au niveau de la production agricole. Il est essentiel que l’aval de nos filières de production intègre les piliers de la durabilité dans leurs exigences d’approvisionnement. On ne peut pas exiger une production européenne plus durable et en même temps encourager l’incorporation de matières premières à bas prix dans la fabrication agro-alimentaire. Dans les 10 ans qui viennent, plus de 60 % de la population mondiale vivra en ville: la demande d’aliments préparés et transformés ne va qu’augmenter! D’où l’importance d’une filière agro-alimentaire qui soit durable d’un bout à l’autre!

Le Cabinet du 1er ministre a promis de questionner les services de la Commission sur le fameux milliard d’euros qui serait mis à disposition pour atténuer les effets du Mercosur dans les secteurs sensibles: de quel budget est-il issu? La procédure d’accès? Comment garantir l’absence de concurrence déloyale?….

La FWA a également mis en garde contre l’effet cumulatif de tous les accords commerciaux bilatéraux qui sont en train de s’empiler et dans lesquels l’agriculture vient souvent dans la phase finale pour mettre tout le monde d’accord.

Et ce n’est pas tout, la FWA sera reçue au Cabinet du Ministre des Affaires étrangères début de la semaine prochaine. De plus, la FWA, avec l’Agrofront et la FNSEA, a invité le COPA à mobiliser tous les agriculteurs européens autour d’actions communes. Une pétition a été également lancée sur Internet pour inviter les citoyens à refuser l’importation d’une agriculture que nous ne voulons pas chez nous. Nous sensibiliserons également les visiteurs de la Foire de Libramont sur les conséquences dramatiques d’un tel accord pour notre agriculture familiale. Cet accord n’a le soutien ni des consommateurs, ni des environnementalistes, ni des agriculteurs; il a le mérite de mettre tout le monde d’accord!