L’obligation de placer des couverts végétaux permanents (CVP) en bordure de cours d’eau est entrée en application fin octobre 2021, avec une tolérance pour la mise en application du couvert au 31 mai 2022. La déclaration de ce couvert doit donc pour la 1ère fois être intégrée à la déclaration de superficie. Mais que revêt la notion de cours d’eau? Une question qui plonge bon nombre d’agriculteurs en eaux troubles. Notamment dans le Tournaisis où de nombreuses parcelles sont bordées par des fossés de drainage. «Pas question de les considérer comme des cours d’eau», revendiquent deux agriculteurs qui parlent d’une mesure incohérente, irréaliste et manquant de bon sens.

Ronald Pirlot

 

Agriculteurs chevronnés, Yves Mestdag et Philippe Holvoet sont de nature calme et posée. Mais dans leur for intérieur, cela bout. La raison de leur courroux: le manque de cohérence et de clarté quant à la définition de la notion de cours d’eau auquel s’applique l’obligation de couvert végétal permanent (CVP). «Je suis tout à fait conscient qu’il faut améliorer certaines pratiques agricoles et que certaines mesures écologiques s’imposent, mais alors il convient de le faire de manière cohérente, réaliste et avec bon sens», fustige Yves Mestdag. Tout le contraire de ce qu’il pense de cette mesure d’obligation de CVP. S’il reconnaît l’application de la mesure aux cours d’eau classés, il ne s’attendait pas qu’elle s’étende aux cours d’eau non classés. Et c’est là que le bât blesse. Car que revêt cette notion de non classé? «La définition n’est pas claire et la cartographie utilisée par la Région wallonne est complétement incohérente, pas mise à jour et identifie comme non classées des situations de terrain qui ne sont manifestement pas des cours d’eau. Lorsqu’on questionne la Région à ce sujet, elle ne sait pas nous donner de réponse», fustige Philippe qui, à l’instar d’Yves, ne comprend pas comment on a pu, dans ce contexte, inclure les non classés dans la mesure.

 

Confusion avec les fossés de drainage

 

Car à l’instar de nombreux agriculteurs dans le Tournaisis, Yves et Philippe risquent d’être lourdement impactés. Une mise en contexte s’impose. «Il faut savoir que chez nous, les terres sont très argileuses avec des nappes phréatiques peu profondes. De nombreuses parcelles ont dès lors fait l’objet d’un drainage. Sans ça, impossible de les cultiver», explique Philippe Holvoet. Ces drains disposés tous les 10 mètres, sont reliés à des collecteurs qui, eux-mêmes, aboutissent dans des fossés de drainage creusés par l’action de l’homme. Donc totalement artificiellement. «Fossés qui, en été, sont complètement à sec», ajoute Yves. Rien à voir avec ce que l’on pourrait considérer comme un cours d’eau.

Or, certains de ces fossés sont répertoriés sur le géoportail wal-on-map de la Région wallonne comme étant des cours d’eau non classés. Ils tombent donc sous la coupe de l’obligation d’un CVP. «Une aberration», rétorque Yves qui se demande quel est le critère pris en compte pour la dénomination. «La présence d’eau? Alors ça veut dire qu’en fonction de la période où est effectué le contrôle, le résultat changera!», s’exclame avec un brin d’ironie Philippe.

Avant d’expliquer qu’il possède une parcelle étroite bordée de chaque côté par un fossé. «Si je retire les 12 mètres réglementaires, j’ampute ladite parcelle de 40% de sa superficie et la rend impossible à travailler en raison de son étroitesse!».

 

4.000 pains en moins!

 

Yves va plus loin. Agriculteur à la retraite, il possède encore 8 Ha de cultures. S’il applique la mesure à la lettre, en y englobant les fossés de drainage, il va perdre 57 ares. «Comme cette année où j’y ai mis du blé, cela représente 4.000 pains. Si cela avait été des pommes de terre, la perte s’élèverait à 20 tonnes, ces terres étant très riches. Et cela, rien qu’à mon niveau. Imaginez à l’échelle de la Wallonie! Dans le contexte actuel où l’UE prône la productivité pour garantir notre souveraineté alimentaire, quelle est la cohérence? Et pourquoi nous imposer 6 mètres là où la Flandre n’en impose qu’un?» questionne Yves, particulièrement remonté. Sans parler du manque à gagner puisqu’il s’agira d’autant d’espace de productivité perdu. «Si seulement on pouvait encore mettre de la luzerne plutôt que de l’herbe», peste Philippe.

Pour le duo d’agriculteurs, souscrire à reconnaître les fossés de drainage comme cours d’eau risque de créer un dangereux précédent. Comme un aveu qui conditionnera les futurs exercices. «On a parfois l’impression que les cartes de la Région wallonne sont incomplètes et qu’ils comptent sur nous pour les mettre à jour». Si tel est le cas, Yves et Philippe ont déjà prévenu. Nul besoin de compter sur eux! «J’appliquerai la règle pour les cours d’eau classés, pas pour les non classés car cette règle est totalement contestable», prévient Philippe, rejoint par Yves. Une position claire… comme de l’eau de roche.  

 

Déclaration des CVP: tout ne coule pas de sources!

Gérard Grémeaux, responsable des déclarations PAC au sein du secrétariat FWA de Templeuve, Celles et Comines, le reconnaît sans ambages. Il lui a fallu un certain temps pour s’y retrouver avec l’instauration, cette année, des CVP. L’intéressé, loué pour son abnégation et son implication par les agriculteurs membres de la FWA locale, n’a pas hésité à se plonger dans la littérature pour essayer de s’y retrouver.

«Les choses commencent à s’éclaircir», confesse-t-il. La difficulté? «Ce n’est pas toujours évident de s’y retrouver sur Internet et de distinguer sur Wal-on-map les différentes catégories de cours d’eau, parcelle par parcelle». Gérard avoue avoir trouvé l’astuce, à savoir placer la loupe sur un cours d’eau non classé pour faire ressortir la couleur ad hoc.

Reste que cette vérité est celle, toute théorique, du géoportail de la Région wallonne. «Parfois, un cours d’eau référencé n’existe même plus selon l’agriculteur. Il est alors possible à ce dernier de contester l’existence du cours d’eau». Le CVP ne doit pas être installé si le cours d’eau n’est pas présent, mais par contre si c’est un fossé et que l’agriculteur conteste la dénomination de non classé, l’obligation reste malgré la contestation. Aberrant. Sans compter le temps considérable passé pour mettre à jour une cartographie de la responsabilité de la Région. Et Gérard de nous laisser, le nombre de déclarations à rentrer restant particulièrement conséquent. 

«Heureusement que nous avons les secrétariats FWA pour nous aider dans cette déclaration. Sans ça, il nous faudrait devenir ingénieur en informatique pour y arriver» déclarent Yves et Philippe.

 

«Ce serait immoral de devoir labourer mes semis de blé!»

Lorsqu’Yves Mestdag a planté ses semis de blé en octobre dernier, il ne savait pas quels cours d’eau seraient  repris dans la mesure. «Et impossible de le savoir car l’information cartographique  n’avait pas été donnée à ce moment de l’année. Ce qui est déjà à peine pensable en soi. C’est comme si votre banque vous disait que vous ne pouviez pas avoir accès à vos comptes durant plusieurs semaines» souligne Philippe Holvoet.

De sorte que c’est en toute confiance qu’Yves a semé jusqu’en bordure de ses fossés de drainage. «C’est en allant récemment sur le géoportail pour préparer ma déclaration de la PAC que j’ai vu que mes fossés étaient répertoriés». Devra-t-il, à l’instar d’autres, labourer ces semis sur une largeur de 6 mètres si la Région wallonne devait lui donner tort? «C’est hors de question. Dans le contexte actuel d’incertitude alimentaire pour certaines populations, je trouverais ça totalement immoral! De voir certains confrères obligés de le faire, je trouve ça complètement révoltant» confie le sympathique agriculteur qui, à cet égard, affiche une grande fermeté, sur le plan des principes.

 

 

ZOOM FWA

Depuis 2018 et la volonté du Ministre de l’Environnement de l’époque de rendre obligatoire l’installation d’un couvert végétal permanent le long de tous les cours d’eau (classés et non classés), la FWA se bat pour rendre la mesure gérable sur le terrain.

Certaines avancées avaient pu être obtenues, comme:

  • Report de dates : même si FWA souhaitait correspondance avec mise en œuvre prochaine PAC, report du 31/08/19 au 01/10/21… avec tolérance au 31 mai 2022;
  • Possibilité d’activer les MAEC sur les 6m;
  • Retraits de propositions de contraintes de gestion (dates de fauches, zones non fauchées…);
  • Retrait de la proposition 1m CVP le long des fossés, voies artificielles d’écoulement…;
  • Fauche, broyage, pâturage autorisés sur les CVP;
  • Intégration progressive de la cartographie dans la PAC;
  • 2022, année de transition.

 

Avec la cartographie intégrée à la déclaration de superficie, les problèmes cartographiques annoncés par la FWA se sont malheureusement révélés correctes, et beaucoup d’agriculteurs sont confrontés à des situations ingérables ou injustes.

Le reportage illustre cette situation qui n’est pas un cas isolé et qui était préalablement connues de nos autorités. Une visite de terrain organisée par la FWA de Comines en novembre 2021 avait déjà mis en avant les difficultés récurrentes.

Après le non-respect de l’engagement sur l’indemnité financière pour cette nouvelle obligation, les soucis cartographiques sont la goutte de trop.

La FWA appelle la Ministre de l’Environnement à mettre en œuvre de façon effective le fait que 2022 était une année de transition et d’annoncer une levée de tout contrôle et toute sanction pour les cours d’eau non classés concernés par l’obligation.

Enfin l’actualité nous rappelle la nécessité d’avoir des politiques axées également sur la sécurité alimentaire. L’obligation de retourner des centaines d’ha de céréale pour l’implantation d’un couvert permanent en cette période de crise Ukrainienne est incompréhensible.

La FWA appelle les agriculteurs à participer à la pétition en ligne afin de revoir l’actuelle obligation et de lever celle-ci pour les cours d’eau non classés.