benjamin charlesBenjamin Charles est vétérinaire secrétaire de l’UPV, et -outre ses activités de vétérinaire en exploitation- a développé une solide expertise en matière d’apiculture, une activité qu’il pratique lui-même avec passion. Nous l’avons interviewé afin de connaître son point de vue sur les mesures à mettre en place pour lutter efficacement contre la mortalité aigüe chez les abeilles.
 

Anne Pétré

 

PC- Quelles sont, selon vous, les principales explications de la mortalité importante d’abeilles que nous connaissons épisodiquement ?

BC- Il y a des études à ce sujet, notamment le modèle « Coloss » qui permet de récolter les informations en cas de mortalité dans un rucher. Ce qui est complexe, c’est que cette surmortalité que nous connaissons est multifactorielle. Trop souvent, on tente une explication simpliste, qui est rarement la bonne, ou en tous cas la seule. C’est le cas lorsqu’on incrimine notamment les traitements phytosanitaires comme seuls responsables. En réalité, même s’il est clair que l’usage des produits phytosanitaires a une influence, les cas d’intoxication d’une ruche sont vraiment très rares. Par ailleurs, la plupart des abeilles vivent 40 jours, ce qui veut dire qu’on ne peut pas non plus voir s’installer sur une vie d’abeille, les effets d’une intoxication chronique, car c’est trop court.

 

PC- Quelles autres explications peut-on alors donner ?

BC- Pour bien comprendre, il faut envisager une ruche comme un « super organisme », et schématiquement, les abeilles ou catégories d’abeilles qui la composent comme des organes. Comme dans un corps humain, si un organe fonctionne mal, c’est tout l’organisme qui trinque. C’est pareil dans une ruche. La reine est la reproductrice de la ruche, son rôle est donc essentiel : elle est nourrie par les ouvrières qui lui fournissent de la gelée royale. Une reine mal nourrie, c’est donc une reproduction qui se passe moins bien. Si les ouvrières sont touchées par une pathologie qui les affaiblit, elles fourniront une gelée royale de moindre qualité.

 

PC- Qu’est-ce qui peut « affaiblir » une colonie ?

BC- Des maladies, d’abord, comme la varroa, qui est très répandue chez nous. C’est un acarien qui se développe et qui provoque des maladies chez les abeilles. D’autres maladies ou ravageurs peuvent aussi causer des dégâts. Le manque d’alimentation, notamment en hiver, peut aussi provoquer une famine dans la colonie avec les conséquences qu’on imagine. Que faire pour remédier à ces divers problèmes ?

Il est clair que l’agriculture a un rôle à jouer. La présence de bandes fleuries, de haies…. les MAEC, c’est évidemment un élément clef, car c’est vrai que des parcelles de grande taille sans une zone mellifère, c’est l’un des éléments qui renforcent les difficultés de la ruche à trouver son alimentation.

Par ailleurs, la très grande majorité des apiculteurs sont des hobbyistes. Cela implique qu’il y a parfois un net déficit de formation, qu’il est important de combler. Ainsi, il est clair que lorsqu’on récolte le miel qui est au départ la réserve de nourriture de la ruche pour l’hiver, il faut remplacer ce miel par un complément nutritif et de qualité. Comme pour tous les animaux, le système immunitaire est très lié à la qualité de la flore intestinale, et donc il faut adapter l’alimentation, la varier, pour renforcer cette flore chez les abeilles, et ainsi développer leurs défenses immunitaires.

 

PC- D’autres conseils aux agriculteurs ?

BC - Outre l’importance du maillage écologique, il y a aussi un besoin de plus de dialogue entre agriculteurs et apiculteurs. Je vais prendre l’exemple du colza, qui est une plante très mellifère d’une part, donc utile aux apiculteurs, et fécondée via le butinage, ce qui implique que les abeilles sont essentielles à un bon rendement. Les méligèthes, qui sont des ravageurs du colza, ne s’attaquent plus aux plantes dès lors qu’elles ont fleuri. Il est donc important que l’agriculteur et l’apiculteur proche dialoguent.  Un traitement contre les méligèthes n’est plus utile dès la floraison, et les abeilles n’interviennent qu’ensuite. L’agriculteur et l’apiculteur pourraient se mettre d’accord pour que le traitement soit appliqué au bon moment pour l’agriculteur, c’est-à-dire avant floraison, et pour que l’apiculteur sache qu’il doit fermer ses ruches à ce moment-là. Bref, les deux secteurs doivent davantage collaborer pour qu’une dynamique positive s’installe, ce qui au final sera favorable aux deux parties.

 

PC- De votre côté, vous avez un projet qui vous tient à cœur…

BC- Oui, comme je l’ai dit, le milieu de l’apiculture est surtout formé d’hobbyistes qui, en plus de la formation, manquent d’un encadrement vétérinaire adapté. En réalité, le plus souvent, lorsqu’un cas de mortalité important se présente dans une ruche, l’apiculteur n’a de contact qu’avec l’AFSCA. Or, il est important de pratiquer des analyses très rapides après le décès des abeilles, si on veut pouvoir en déterminer la cause, et notamment exclure la responsabilité de l’usage de pesticides.

L’UPV, dont je suis secrétaire, a lancé un groupe de travail sur l’apiculture, et nous souhaiterions mettre en place un modèle proche de celui qui existe en France et qui est soutenu par l’Europe et le Ministère de l’Agriculture. Il s’agit des OMAA (observatoires de la mortalité aigüe des abeilles). C’est un système de garde vétérinaire qui intervient lors de soucis majeurs dans un rucher, précisément pour réaliser des analyses et déterminer les causes et les solutions possibles. Cela aura globalement, un effet positif sur la mortalité des abeilles, en nous donnant l’opportunité de définir les principales menaces qui pèsent sur nos colonies. En France, l’année dernière, on a constaté que sur 250 cas de mortalité aigüe, moins de 10 pouvaient être imputés à une intoxication aux pesticides…

Par ailleurs, cela permettra aussi de développer le conseil vétérinaire aux apiculteurs, ce qui est un point capital, notamment pour lutter contre le varroa en appliquant des traitements efficaces, et en attirant l’attention des apiculteurs sur le délai de latence à respecter pour utiliser le miel, les doses applicables… Les résidus d’un traitement mal dosé ou mal choisi peuvent en effet rester présents dans la cire, ce qui n’est évidemment pas une bonne idée. Le secteur apicole a vraiment besoin d’un suivi vétérinaire plus appuyé, et je plaide pour qu’on le mette en place rapidement.

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