Entretien avec le Ministre Borsus

Willy Borsus nous livre ses impressions, son analyse et ses projets sur les dossiers "chauds" de l'agriculture wallonne... Y compris sur ce plan anti-érosion qui pose tant problème. Un article à découvrir dans votre Pleinchamp #11 du 16/03/2023

Au-delà des formalités liées à la déclaration de la nouvelle PAC qui commencent à générer les premiers cheveux blancs chez les agriculteurs, les sujets de questionnement ne manquent pas. Rapide tour d’horizon, non-exhaustif, avec le Ministre Borsus.

Propos recueillis par Ronald Pirlot

Plan anti-érosion

A tout seigneur, tout honneur. Le sujet chaud du moment concerne le Plan anti-érosion. Présent au congrès de la FWA, le Ministre Borsus a pu être le témoin de la détermination de la FWA face aux obligations engendrées par cette mesure.

«Dans la phase actuelle, les discussions sont abouties, mais je propose un certain nombre de choses très précises pour le futur. Tout d’abord, en ce qui concerne les hectares réellement impactés (dont sont exclus les prairies et les cultures d’hiver) et qui représentent 48.745 hectares, on a prévu d’une part que la bande anti-érosion ne soit pas obligatoire le long d’un bois ou d’une praire. D’autre part, on peut mettre du colza sur cette bande. Et enfin, aucune sanction n’est prévue en 2023 et 2024, voire 2024 et 2025 si l’Europe admet notre argument, suggéré par la FWA du reste, que 2023 soit considérée comme une année neutralisée.

Image
erosion

 

L’objectif général doit être poursuivi, nous devons anticiper une probable réitération d’événements climatiques extrêmes. Ne pas prendre de mesures nous conduirait probablement à un ensemble de situations qui amèneraient des pressions beaucoup plus fortes sur le monde agricole. Il faut anticiper et protéger, plutôt que subir. Mais en même temps, il faut rester les pieds sur terre. C’est en cela que j’ai demandé à mon administration d’être complètement à l’écoute des observations et des réclamations des agriculteurs si quelque chose ne va pas (carte.erosion@spw.wallonie.be). Mais aussi d’accompagner au plus près ceux qui sont confrontés aux contraintes les plus importantes. Et enfin de mettre en place un groupe de travail « érosion » avec la Cellule Giser, l’administration, les syndicats agricoles et mon cabinet, pour suivre ce dossier pas à pas et procéder à des modifications ou à des amendements au fur et à mesure, presque hectare par hectare».

Point d’accès aux cours d’eau dont les berges sont clôturées

Mais l’on sait que d’autres obligations posent problème. On le voit avec celle de clôturer les berges des cours d’eau traversant ou longeant les prairies pâturées. En l’espèce, la revendication des agriculteurs est de pouvoir au moins laisser un point d’accès au cours d’eau pour permettre au bétail de s’abreuver. La Ministre Céline Tellier, en charge du dossier, a reconnu la pertinence de certains arguments avancés dans les motions envoyées par plusieurs Communes, au point de ne pas fermer la porte à la réflexion.

Clôture des berges

«J’ai moi-même été sollicité par pas mal d’éleveurs et aussi par pas mal de Communes, notamment en Province de Luxembourg. Pour bien connaître les prairies, je pense qu’il est tout à fait possible d’accepter un aménagement qui permet un accès raisonnable à l’eau pour le bétail. J’ai donc écrit à ma collègue Tellier, seule compétente en la matière, pour effectivement lui demander s’il n’était pas possible qu’elle puisse faire preuve d’ouverture. D’autant que tout ça a un impact en termes de coût pour les fermiers concernés. Je me joins à la voix syndicale et à la voix du bon sens pour dire qu’en deux heures, on peut avoir trouvé une solution si la volonté est là ».

Assurance complémentaire inspirée du modèle français

Pour parer les risques de pertes de rendement liés notamment aux aléas climatiques à répétition, nos voisins de l’Hexagone et du Nord du pays ont mis en place un système d’assurance complémentaire. Qu’en est-il chez nous?

«Je pense que c’est quelque chose d’important, mais j’ai souhaité être prudent dans ce dossier. Pourquoi? Parce que la récurrence des interventions risquait d’avoir des répercussions importantes sur les primes d’assurance pour les agriculteurs ou de décourager les compagnies à se manifester. Je pense que l’on a bien fait de s’inscrire dans cette prudence car le modèle français à lui-même évolué. Et en Flandre, le nombre d’agriculteurs qui souscrivent reste très modeste. Fort de l’évolution observée en France et en Flandre, nous sommes désormais prêts à présenter, et c’est d’ailleurs dans l’accord du Gouvernement wallon, une proposition avant l’été, que je communiquerai bien évidemment aux organisations agricoles et au Gouvernement. Proposition qui s’inspirera largement, mais pas complètement, du modèle français. Mais vous m’autorisez, à ce stade, à ne pas être plus précis» .  

Dégâts de gibier

Lors de la dernière foire de Libramont, le Ministre Borsus annonçait un plan ambitieux de réduction du nombre de sangliers, voire d’éradication des populations au Nord du sillon Sambre-et-Meuse. Or, les témoignages de dégâts continuent à affluer…  

«Il faut d’abord rappeler que les espèces protégées relèvent de la compétence de ma collègue, Céline Tellier. Je ne vais donc pas me situer par rapport à cela, mais on sait qu’on a de gros problèmes par rapport aux corvidés ou aux blaireaux. Et donc il y a là tout un travail à faire pour faciliter les autorisations de destruction et, peut-être pour certaines espèces, de prendre certaines mesures pour la modification de la loi sur la Conservation de la nature. Je plaide pour qu’on puisse rapidement traiter cette question.

sanglier

Mais pour revenir à ce qui concerne ma compétence, à savoir les sangliers principalement, nous avons fait dans un premier temps des plans de tir volontaire, c’est-à-dire négociés entre le DNF et les conseils cynégétiques.

En 2019-2020, 15 conseils cynégétiques ont participé à ces plans de tir. En 2020-2021, ils étaient 20 conseils et ont prélevé 79% des 15.042 sangliers fixés dans l’objectif de tir. En 2021-2022, 24 conseils cynégétiques ont prélevé 94% des 24.756 sangliers fixés dans l’objectif. Pour cette saison 2022-2023, le DNF a fixé un objectif ambitieux avec 25.432 sangliers, dont 7.765 laies de plus de 30kg vidées. Nous devons encore attendre les chiffres. Mais je remarque des situations très contrastées, avec des endroits où l’effet des prélèvements se fait sentir, d’autres où les sangliers sont encore surabondants. Dès que j’aurai les résultats de cette année, je pourrais avoir une vision globale et proposer au Gouvernement – et c’est imminent – les mesures pour éradiquer au Nord du Sillon Sambre-et-Meuse, singulièrement avec des mesures de destruction, le tir de nuit, voire dans certains cas le piégeage. Ça c’est pour le Nord du Sillon. Et puis je suis en train de mener des discussions avec les partenaires pour envisager la diminution du nourrissage, complémentairement aux plans de tir. A cela s’ajoute un problème plus spécifique: les sangliers qui vont se réfugier dans des réserves naturelles».

L’objectif de 30% de bio toujours tenable?

«Il est clair que l’année dernière a été difficile pour le secteur bio, tout comme pour un certain nombre de producteurs en circuit court. Mais les chiffres que j’ai en ce début d’année traduisent une embellie et semblent indiquer que le phénomène de 2022 est derrière nous, même s’il convient de rester prudent à cet égard. Avec ma collègue, on a pris des mesures complémentaires pour soutenir le secteur: valorisation des circuits courts, la consommation de produits bio dans les cantines scolaires… Je veux donc garder une vraie détermination par rapport à cet objectif bio, même si, de nouveau avec la même sincérité, je mesure bien que cet objectif de 30% est sous pression».

L’avenir du cheptel bovin

Les éleveurs bovins ont l’impression d’être dans l’œil du cyclone et qu’il existe une volonté de réduire leur cheptel. Quel message pouvez-vous leur adresser? 

vache

«Le message est très clair: je me suis battu pour maintenir le soutien couplé. J’ai rencontré personnellement le Commissaire, les autorités européennes… Si on a maintenu un soutien couplé à 21,3% dans le premier pilier – ce à quoi personne ne croyait et moi-même je n’étais pas certain du tout de pouvoir garder cette ampleur qui constitue une exception européenne -, c’est bien évidemment la reconnaissance de l’importance de l’élevage chez nous. Je mesure tout ce que représente l’activité d’élevage, qui est un fleuron de l’agriculture wallonne, que ce soit dans le Blanc Bleu et d’autres races, ou dans le laitier. La Wallonie est au top de l’élevage et celui-ci a toute sa place chez nous. Il correspond à l’expertise d’un grand nombre d’agriculteurs et je le défends.

Il convient également de savoir qu’il existe une diminution naturelle du nombre de têtes de bétail. Dans notre Plan stratégique, nous l’avons projetée sur base de la diminution des années antérieures. Et par ailleurs, on a mis, en ce qui concerne les aides, des plafonds qui ont été âprement discutés. On les a liés à l’unité de travail pour tenir compte de la réalité de certaines fermes. Donc, quand je vois les 21,3% d’aides couplées, quand je vois le soutien global qu’on a pu obtenir dans le cadre des plafonds que je viens de mentionner, souvent on me dit dans les fermes que l’élevage s’en sort bien!»  

Simplification administrative ???

Souvent évoquée mais jamais aboutie, la simplification administrative apparaît comme un vœu pieux. Et la nouvelle PAC n’est pas pour le contredire. Comment infléchir la tendance?

«Après la mise en œuvre de cette PAC, mon intention est d’ouvrir le débat pour voir comment travailler afin, notamment, d’utiliser toutes les données aujourd’hui disponibles pour éviter qu’on ne doive les réintroduire, comment travailler plus sur le principe de confiance…J’en profite d’ailleurs pour suggérer à la FWA que l’on puisse se voir à la fin de l’année 2023 et voir quelles sont les mesures, les procédures et les éléments où il y aurait un espace de simplification administrative possible. J’y suis naturellement favorable, bien entendu, tout en gardant à l’esprit que l’on se trouve dans un espace balisé par les contraintes légitimes imposées par l’Europe».