Un objectif réaliste ?

À la suite de la COP15 sur la biodiversité, l’émission ertébéenne «Déclic» est revenue sur l’accord visant à réduire d’au moins 50% les risques liés à l’usage des pesticides d’ici 2030. Un objectif réaliste? Débat entre notre secrétaire général, José Renard, et Philippe Baret, ingénieur agronome et professeur à l’UCL-Louvain. 

Parmi les accords intervenus lors de la COP15 sur la biodiversité, qui s’est déroulée du 7 au 19 décembre à Montréal, figure l’ambition de réduire d’au moins 50% les risques liés à l’usage des pesticides d’ici 2030. Un objectif qui rejoint les ambitions initiales européennes du Green Deal, et plus spécifiquement de la stratégie «De la Ferme à la Fourchette». Initiales car l’invasion russe en Ukraine a, semble-t-il, quelque peu lézardé l’unanimité des ministres européens de l’agriculture sur le caractère réaliste de cette ambition, au nom du principe d’une souveraineté alimentaire mise à mal.

«Il existe effectivement une demande très forte pour que soit menée une étude d’impacts globale concernant cette proposition» commente José Renard, en écho aux rapports du dernier conseil des Ministres de l’Agriculture de l’UE.

Une possible volte-face de l’UE qui fait bondir Philippe Baret : «D’un point de vue scientifique, brandir l’argument de la sécurité alimentaire pour dire que nous ne sommes pas prêts à nous passer des pesticides relève de la mauvaise foi. Dire que les rendements vont trop diminuer, au point que l’on ne pourra plus nourrir tout le monde, ne tient pas la route. Parce qu’en fait, une grande partie des productions agricoles aujourd’hui ne sont pas faites pour nourrir les Européens. En Wallonie, plus de 50.000 hectares sont consacrés à faire du biocarburant et plus de 30.000 hectares de pommes de terre sont destinés à l’exportation. Donc on a les marges de manœuvre pour faire face à un problème de sécurité alimentaire». Pour Philippe Baret, il s’agit avant tout d’un jeu où des lobbys influencent les Etats pour maintenir un modèle productiviste favorable aux grandes industries agro-alimentaires. 

Philippe Baret - Bioingénieur et professeur à l'UCLouvain

Besoin d'alternatives

Pour José Renard, il convient de remettre l’église au milieu du village et de reconnaître, chiffres à l’appui, les efforts déjà effectués par le monde agricole en termes de réduction des pesticides, soulignant la prise de conscience des agriculteurs à ne traiter que quand c’est nécessaire, et non de façon systématique «comme des gens de ma génération ont encore pu l’apprendre dans les universités. Mais je pense que la réduction qui est préconisée pour 2030 est trop rapide pour le rythme de l’agriculture. Du moins, il n’est pas réaliste pour toutes les cultures».

Et José Renard de replacer le débat dans le contexte de la réalité agricole. Les produits phytos sont des auxiliaires pour le rendement, mais aussi pour la protection de la qualité. «Pour moi, l’un des problèmes actuels est l’absence d’alternative à ces produits phytos. On craint par exemple de voir disparaître une culture comme le colza en Wallonie, faute de solution acceptable pour le protéger contre certains de ses ravageurs. Sur des cultures comme les céréales, voire la betterave, on peut, moyennant toute une série de progrès que la science peut aussi nous apporter, viser des réductions progressives. Nous avons donc besoin d’objectifs réalistes, réalisables et un calendrier qui le soit tout autant. Mais aussi de cet accompagnement par la science».  

2030 : réaliste ? 

Et José Renard de poser la question du timing: «ne doit-on pas attendre d’avoir quelques mesures alternatives solides pour avancer plutôt que de dire, comme on l’entend souvent en Europe : on avance, on décide, on sera les éléments vertueux et on va tirer tout le monde dans ce sens. Nous avons coutume de dire à la FWA que la durabilité repose sur trois piliers, avec l’image du tabouret qui devient bancal si l’un des pieds est raboté. Et qu’il n’y a pas de durabilité sans durabilité économique. J’ai parlé tout à l’heure de qualité. Les agriculteurs ont des dictionnaires entiers de normes de qualité de la part de l’industrie de la transformation. Et quand des pommes de terre ne correspondent pas à ces normes, elles sont déclassées» indique José Renard.

Pour Philippe Baret, «la solution pour les agriculteurs, c’est de faire alliance avec la société. Il faut que les acteurs de l’agriculture reconnaissent que la société a un projet dont ils font partie. Et à l’intérieur de ce projet, ils doivent trouver un équilibre entre la production et les impacts sur l’environnement et la santé. Et je suis d’accord sur le tabouret à trois pieds, mais cet équilibre doit être défini par la société, avec les agriculteurs et les agricultrices. Auparavant, la PAC était discutée entre agriculteurs. Désormais, c’est devenu un enjeu de société».

Et l’ingénieur agronome de conclure: «l’Europe a montré l’exemple avec le Green Deal. On a une trajectoire qui fait sens. L’ambition de réduction des risques liés à l’usage des pesticides à l’horizon 2030 est difficile à atteindre. Je suis tout à fait d’accord sur ce point avec M. Renard. Raison de plus pour ne pas tergiverser. Si on ne s’y met pas tout de suite, on ne va certainement pas y arriver».

José Renard, Secrétaire Général de la FWA dans Déclic sur la RTBF

À qui les bénéfices des ressources génétiques de la nature?

Lors de ce même débat télévisé, le journaliste Arnaud Ruyssen est revenu sur un sujet largement débattu lors de la COP15 à Montréal. Il tourne autour de trois lettres: DSI (Digital sequence information). En d’autres mots, la nature dispose de solutions qui inspirent la recherche, voire que cette dernière copie. Concrètement, des chercheurs peuvent séquencer génétiquement une plante pour en retirer une propriété utilisée à des fins médicales, cosmétiques ou agroalimentaires. «La question qui se pose, c’est quand une société, une entreprise va copier la nature et développer des bénéfices sur base de ce dont elle va s’inspirer dans la nature, à qui doivent aller les bénéfices? Car au-delà des entreprises bénéficiaires, il y a également des pays qui ont préservé la biodiversité, voire des populations autochtones, comme par exemple les populations amérindiennes qui utilisaient déjà la stévia avant que cette plante ne soit utilisée comme édulcorant par les fabricants de soda. Ce qui a rendu possible l’émergence de ces solutions géniales» soulève Arnaud Ruyssen. Lequel rappelle que le précédent accord prévoyait un partage des bénéfices entre l’industrie et le pays d’origine de la plante au centre d’un séquençage génétique. Mais depuis, l’utilisation de ces séquençages s’est démultiplié, de même que l’accès à leurs données. De sorte qu’il n’est plus obligatoire d’aller dans le pays pour en prendre connaissance. Ce qui déséquilibre fortement les rapports entre les industries bénéficiaires, largement situées dans l’hémisphère Nord, et les pays du Sud qui ont su préserver des havres de biodiversité.

Un nouvel accord est donc survenu à Montréal, à savoir «la mise en place d’un mécanisme mondial de partage des avantages découlant de l’utilisation des informations sur les séquences numériques des ressources génétiques, y compris un fonds multilatéral». En d’autres mots, il s’agira d’un pot commun dans lequel sera déposée une partie des bénéfices générés par ces ressources génétiques, qui sera redistribuée entre pays qui contribuent à fournir ces plantes. Un accord qui aurait pu constituer une réelle avancée… si les différents pays participants de la COP15 s’étaient entendus sur ses modalités de mise en œuvre. Qui paiera, combien et pour quels bénéficiaires? Ça, ce sera pour la COP16, dans deux ans, normalement! La nature humaine a encore visiblement beaucoup à apprendre de dame Nature.