Crise financière, attaques terroristes, lutte contre le dérèglement climatique, famines, immigration, crise sanitaire du covid 19, épizooties, inondations effroyables en province de Liège, impact de la relance économique post covid sur les prix de l’énergie et des matières premières, attaque russe contre l’Ukraine, migration du peuple ukrainien fuyant la guerre,… le début de ce siècle nous réserve, comme le précédent, son lot de problèmes et de drames humains. Et ce, sans oublier un fonctionnement sociétal fortement basé aujourd’hui sur la dualisation de la société et des systèmes.

Marianne Streel

 

Dans la gestion des défis qui se présente à notre secteur ainsi que dans ses revendications, la FWA a toujours essayé avec réalisme et pragmatisme de défendre notre agriculture wallonne dans son entièreté en lui permettant de continuer à remplir ses rôles nourricier et sociétaux de façon toujours plus durable. Ceci nous est souvent reproché par certaines mouvances, qui essayent de nous discréditer en nous nommant « lobbies» de l’agro-industrie ou secteur uniquement préoccupé par les rendements et le profit.

Cette semaine, les sorties médiatiques répétées de certains responsables politiques nous ont, à cet égard, laissés sans voix : accuser ceux qui alertent sur la crise de souveraineté alimentaire qui est déjà là et ne fera sans doute, hélas, que se renforcer de « tirer parti de la crise en Ukraine », c’est vraiment pousser trop loin le cynisme et l’opportunisme politique ! Que ceux qui s’expriment en ces termes aient le courage de regarder en face les populations déjà touchées aujourd’hui par cette crise, et celles qui le seront demain, et leur tienne donc ce discours déconnecté des réalités ! Qui utilise cette crise, on se le demande !

Fort malheureusement, en effet, l’invasion de l’Ukraine prouve une fois encore que la souveraineté alimentaire, la règle économique de l’offre et de la demande, la préoccupation de la capacité financière des consommateurs, la famine dans certaines zones du monde ne sont pas des notions obsolètes. Ce ne sont pas des épouvantails qu’on a reprochés au monde agricole d’agiter dans le but de faire entendre ses revendications. Ce sont, hélas, des réalités qui se rappellent à nous de façon très brutale et dont il est urgent de se préoccuper.

Non! Comme le marché ne règlera pas tout, ne baser nos politiques que sur le climat ne règlera pas tout non plus, on peut le voir aujourd’hui. Nous avons l’obligation de produire durablement en trouvant un équilibre entre qualité, quantité et sans nuire à l’environnement. Nous avons l’obligation éthique de trouver un équilibre entre tous les défis qui se présentent à notre société.

Nous vivons dans un monde en crise humainement, économiquement, socialement, environnementalement, climatiquement, sanitairement. Nous vivons une crise globale et mondiale grave et profonde. Il est plus que temps de se réveiller et de repenser les politiques de façon transversale et pragmatique. La FWA n’a cessé de le proclamer haut et fort pendant les longs mois de discussions PAC. Ce changement de paradigme vaut pour toutes les activités humaines et tous les secteurs économiques. Il faut « penser large » : notre volonté qu’on prenne en compte la productivité agricole autant que le rôle environnemental du secteur n’est pas une vision étroite, c’est tout le contraire, et c’est CE changement de paradigme qui est plus qu’urgent !

Sans avoir l’attitude de Caliméro, je ne peux que regretter certains propos tenus dans les médias ces derniers jours. Je ne peux accepter que pour certains, dans tous les débats, les discours tenus donnent l’agriculture comme seule variable qui va, si on en change radicalement les pratiques, régler tous les problèmes climatiques, de biodiversité ou environnementaux! Pourtant, ce sont les autres secteurs qui nous achètent du carbone ou qui viennent chez nous chercher des compensations environnementales, et non l’inverse! Il est plus facile et plus populiste de demander à un pourcent de la population, surtout s’il est peu présent dans son électorat, de modifier ses pratiques que de demander au reste de la population de changer de mode de vie, de déplacement, de réduire son impact climatique...

Je me demande comment ces politiques et ONG vont gérer auprès de la population, le fait que ces crises vont, non seulement au niveau énergétique mais également alimentaire, faire exploser leur budget ou lui dire qu’il va falloir, pour raison économique, changer de façon de vivre! De nombreuses familles vont devoir faire des choix de consommation. La population attend des politiques qu’ils posent des actes forts en urgence afin de pouvoir traverser ces crises! Le monde agricole également, car ces citoyens sont nos consommateurs, et nous ne pourrons pas éviter l’effet «boule de neige».

La situation de guerre des campagnes ukrainiennes, en pleine période de semis, et les sanctions justifiées contre la Russie mettent la sécurité alimentaire mondiale en danger. Tant l’Union Européenne que notre pays doivent impérativement revoir leurs ambitions agricoles au nom de la solidarité internationale. Cela ne peut se faire sans prise en compte du défi climatique. Il est inadmissible de prétendre que la protection de l’environnement ne peut aller de pair qu’avec des surfaces de non production. La prairie en est le plus bel exemple: pour être d’une efficacité maximale en captation de CO2, elle doit être broutée par un nombre de ruminants suffisant. Les interventions contre les maladies et ravageurs, tant sur nos végétaux que sur nos animaux, sont non seulement une question de bonne santé de nos productions mais également une bonne gestion de nos ressources, car c’est ainsi que nous diminuons les pertes agricoles. Nous devons retrouver une vision pour notre agriculture: une vision basée sur les 3 piliers de la durabilité, mais également sur des notions agronomiques et vétérinaires bien trop souvent ignorées.

Les objectifs du Green Deal en sont la preuve. Dès la communication de ceux-ci, les organisations agricoles en ont expliqué les conséquences tant sur les qualités que les capacités des productions, que sur la durabilité économique des exploitations et l’augmentation du prix de l’alimentation pour les consommateurs.

Nos analyses ont été négligées, voire moquées. Pourtant, 5 études, dont 3 émanant d’instituts universitaires indépendants, ont mis quelques mois plus tard ces mêmes conséquences en exergue!

Le stress face à l’augmentation de nos coûts de productions due aux prix de l’énergie, des engrais, des aliments, du matériel agricole, ainsi que les prévisions de pénuries des engrais, de certains intrants, augmente dans nos fermes quelles que soient nos spéculations ou modes de productions.

Afin de préserver notre agriculture familiale wallonne et la souveraineté alimentaire, la FWA exige:

  • des décisions politiques courageuses et rapides ;
  • une prise en compte de la souveraineté alimentaire pour l’Europe autant que pour le reste du monde ;
  • une solidarité humanitaire, envers les Ukrainiens comme les autres populations du monde qui subissent déjà durement la hausse du prix de certaines matières premières alimentaires ;
  • une atténuation de la diminution de la capacité productive de l’Europe, notamment via une adaptation de la PAC, avec la suppression des 4% de zones non productives, et via un ajustement des objectifs du Green Deal ;
  • une harmonisation des décisions au niveau de tout le territoire de l’UE, et pas seulement des recommandations ;
  • un soutien aux PME pour compenser les fortes augmentations des coûts énergétiques, des matériaux, et des intrants, et plus spécifiquement pour notre secteur, toutes ses spéculations et modes de production ;
  • une répartition équitable de l’augmentation des coûts de production au sein des divers maillons de la filière ;
  • un mécanisme de soutien aux familles qui sont aussi fortement touchées par cette crise, via des réductions de taxes sur certains biens de première nécessité, ou via la délivrance de chèques-alimentations pour les ménages les plus fragilisés.

Nous vivons des moments d’une grande gravité sur le plan humain, économique, climatique… Il est capital que toutes les composantes de la société politique et civile se montrent responsables, courageuses et centrées sur les priorités essentielles à la préservation de la sécurité et du bien-être du plus grand nombre.