La rediffusion ce week-end de  l’interview d’un ancien grand patron du secteur énergétique en Belgique, où il pointait une série d’erreurs stratégiques dans la vision du marché énergétique et en particulier du marché de l’électricité, m’a immédiatement amené à établir le parallèle avec notre approvisionnement alimentaire. N’a-t-on pas commis les mêmes erreurs ?

José RENARD

Dans les années 1990, régnait le dogme de la main invisible du marché qui devait tout régler sans heurt. C’est ainsi que le marché de l’électricité a été complètement libéralisé. Après quelques années d’un certain confort d’énergie abondante et peu coûteuse, nous en payons aujourd’hui chèrement le prix avec des multiplications par 5 voire par 10 de la facture énergétique. A la même époque, il a été demandé aux agriculteurs de répondre aux signaux du marché. Jusque-là, il était surtout attendu qu’ils intègrent le progrès technique pour augmenter leur productivité et donc la production alimentaire globale pour répondre aux besoins croissants de la population.

Que ce soit pour l’électricité comme pour l’alimentation, la notion de régulation des marchés a été complètement occultée. Ce concept apparaissait comme complètement dépassé voire était vu comme un frein au développement économique général. Et pourtant, comme la FWA le défend depuis 30 ans dans les réformes successives de la Politique agricole commune (PAC), les marchés agricoles et alimentaires ont un besoin vital de régulation. Il est indispensable de maintenir des filets de sécurité efficaces pour freiner la volatilité des marchés et les fluctuations de prix qu’elle provoque. Les pics de prix, tant à la hausse qu’à la baisse, sont néfastes car ils mettent à mal la trésorerie d’exploitations économiquement et techniquement performantes. En outre, une véritable compétitivité exige des conditions de concurrence loyales et équitables. Comment être compétitif avec la production alimentaire provenant d’autres parties du monde quand les normes et exigences sont différentes ? Les standards européens, bien plus élevés pour répondre aux attentes de notre société, garantissent des produits irréprochables. Nous pouvons en être fiers mais il y a un prix à payer pour cela. Et cette charge ne peut pas être placée uniquement sur les épaules des agriculteurs.

La guerre en Ukraine nous rappelle que l’approvisionnement alimentaire, comme l’approvisionnement énergétique, sont devenus des enjeux géopolitiques majeurs pour la stabilité mondiale, enjeux que le marché laissé à lui-même n’est pas en mesure de réguler. Quelles seront les conséquences de l’annonce par la Russie ce 29 octobre de de sa sortie de l’accord sur les couloirs maritimes en Mer Noire ? Ceux-ci avaient permis de faire sortir 10 millions de tonnes des stocks ukrainiens. Des inquiétudes fortes de renforcement de la crise alimentaire mondiale se font déjà entendre avec des perspectives d’anticipation entrainant de nouveau les prix des céréales vers le haut.

Un des enseignements que nous pouvons retirer de ces crises c’est de ne pas répéter les erreurs du passé et croire que le marché va tout résoudre. Aussi bien pour notre fourniture d’énergie que pour notre approvisionnement alimentaire, le renforcement de notre indépendance constitue un enjeu stratégique essentiel.