Il ne se passe pas un jour sans que la presse quotidienne ne s’attarde sur la hausse vertigineuse et quasi exponentielle des prix de l’énergie : gaz, électricité, combustibles de chauffage et autres carburants routiers, et ses répercussions sur la vie des ménages. Il semble même que cette question a constitué une des principales pierres d’achoppement du tout récent conclave budgétaire du gouvernement fédéral. Et déjà, l’on commence à s’inquiéter des risques collatéraux qu’après l’explosion des prix de l’énergie suive celle des denrées alimentaires.

José RENARD

La FAO, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, ainsi que le Fonds monétaire international (FMI) s’alarment de la forte hausse des produits alimentaires de base au niveau mondial. Des hausses de plus de 30 % par rapport à 2020 sont mentionnées. L’origine de cette explosion est à trouver dans la conjonction d’une série de facteurs, aussi bien au niveau mondial que sur le plan local. Les conditions météo extrêmes vécues en 2021 expliquent très largement la baisse de la production agricole mondiale qui vient maintenant affecter les marchés. Pluie, sécheresse, typhons et ouragans, inondations en Allemagne et en Belgique, sècheresse en Inde, gel au Brésil… ont entraîné de mauvaises récoltes.
C’est aussi à chaque fois un rappel très concret des réalités de la production agricole qui met en œuvre des êtres vivants et reste soumise aux aléas parasitaires et climatiques. Si notre agriculture était aussi industrielle que ne le présentent certaines visions caricaturales et réductrices, comment n’arrive-t-elle pas à maitriser cette variabilité des rendements ? Ajoutons-y la forte demande de la Chine tant pour la consommation humaine qu’animale, une reprise économique post-Covid plus rapide et plus forte que prévue ainsi des perturbations des chaines d’approvisionnement, en particulier suite à la congestion du fret maritime… Autant de facteurs qui poussent les prix à la hausse.

Alors, tout bénéfice pour les producteurs agricoles et les autres acteurs de la chaine d’approvisionnement alimentaire ? Que nenni ! Depuis plusieurs mois, les agriculteurs subissent également, au même titre que les autres acteurs de la chaine alimentaire et même parfois plus fortement vu les difficultés de répercuter ces hausses vers l’aval, une forte augmentation de leurs coûts de production. Hausse du prix de l’énergie, pénurie et flambée des engrais azotés, augmentation du tarif du gazole non routier, envolée des prix des céréales et de l’alimentation animale… Auxquelles s’ajoute une hausse des prix des matériaux de construction renchérissant le coût de leurs bâtiments, mais aussi celle des composants électriques, du plastique ou encore des pneumatiques entrant dans leurs équipements.

Bien plus que l’évolution des prix, c’est la situation des marges qui sera déterminante pour le revenu des producteurs. C’est ainsi que les calculs effectués par le Service d’Etude sur la base des données récoltées par nos collègues du CGTA ont bien démontré que, malgré la hausse des prix enregistrée dans le secteur de la viande bovine depuis une bonne année, les marges des éleveurs n’avaient pas progressé du fait de la hausse des coûts alimentaires. La répartition équilibrée des marges entre les différents maillons est une condition impérative de la bonne santé d’une chaine alimentaire qui fonctionne. Raison pour laquelle la FWA plaide depuis longtemps pour la transformation de l’observatoire des prix en un observatoire des marges qui puisse intervenir en cas de déséquilibre.

Les tensions sur les marchés et la nette reprise de la demande entraînent le retour d’un phénomène économique un peu perdu de vue ces dernières années : l’inflation en forte hausse ces derniers mois due essentiellement à l’explosion des prix des produits énergétiques. L’objectif, ici, ne sera pas de disserter sur les effets de l’inflation sur les finances publiques, sur les taux d’intérêt ou, au final, sur la consommation des ménages ou leur indice de confiance envers les perspectives économiques, mais bien de souligner une évolution économique générale mondiale à laquelle n’échappe pas le secteur agricole. L’inflation de l’énergie s’élève à 19,37% en septembre 2021 et tend à s’accroître par rapport aux mois précédents. L'électricité coûte désormais 17,3% de plus qu'il y a un an et le gaz naturel a augmenté de 48,9% sur une base annuelle. Les carburants coûtent désormais 18,5% de plus qu'un an auparavant, renchérissant d’autant les frais de transport.

Selon plusieurs sources statistiques, il faut généralement deux à trois trimestres pour qu’une hausse des prix des matières premières alimentaires se répercute sur les consommateurs, notamment parce que les contrats conclus dans le passé doivent encore être exécutés. Les effets de l’explosion des prix énergétiques ne sont pas encore complètement visibles sur les prix alimentaires mais il faut s’attendre à une augmentation. En outre, il faut disposer d’une période d’observation suffisamment longue pour éviter certains effets conjoncturels. A titre d’exemple selon une publication toute récente de Statbel, l’indice global agricole des prix au producteur a diminué de 13,7% entre juillet et août 2021. Cette évolution résulte essentiellement de la baisse de l’indice des prix à la production des produits végétaux agricoles (-46,5%). En août, l’indice des plantes sarclées est à nouveau calculé sur base des prix des pommes de terre de conservation et non plus des pommes de terre primeurs. L’indice des animaux et produits animaux perd, quant à lui, 2,5%. Seuls les prix des veaux (+6,9%) et du lait (+0,8%) ont progressé dans ce groupe de produits. Enfin, l’indice horticole recule de 3,8%. Si les indices des légumes et produits horticoles non-comestibles progresse, l’indice des fruits chute de 20,9%. Sur la base de cette seule observation, l’augmentation des prix agricoles à la production n’est pas encore réalité.

Les économistes qui s’intéressent à la chaine alimentaire mettent en avant deux caractéristiques de la transmission des prix dans cette chaine. D’une part le délai pour que des variations de prix de revient se répercutent et d’autre part, et plus important à signaler d’un point agricole, l’asymétrie de cette transmission. Ce qui signifie: plus rapidement et plus complètement quand il s’agit de faire pression sur les prix à la production ; beaucoup moins quand il s’agit de faire bénéficier le producteur d’une partie de l’embellie des prix à la consommation. De façon beaucoup plus imagée et plus concrète, c’est « l’effet cornet de frites » dont le prix s’aligne sur l’augmentation du prix des pommes de terre, mais ne se réduit pas quand le marché des patates est déprimé. Ensuite, alors que la part de l’alimentation dans les dépenses des ménages n’a jamais été aussi basse, le maintien d’un approvisionnement alimentaire de qualité et en quantité suffisante à des prix abordables pour la quasi-totalité de la population constitue un enjeu politique majeur aussi bien dans les pays en développement, où l’alimentation des villes est d’importance cruciale pour la stabilité économique et sociale, que dans nos sociétés occidentales pourtant mieux nanties et avec des mécanismes de sécurité sociale efficaces. C’est aussi un de messages que nous avons voulu rappeler au Gouvernement wallon lors de notre rencontre du 1er octobre quand nous avons attiré son attention sur les résultats des études, en particulier celle de l’Université de Kiel, sur les effets des objectifs de la stratégie « de la ferme à la table » sur les prix à la consommation. Enfin, l’extrême concurrence entre les différentes enseignes de la distribution et la politique du moins disant sur les prix qui en résulte, en particulier pour les produits alimentaires souvent considérés comme des produits d’appel, n’est bénéfique pour personne et conduit à une impasse. La FWA a moult fois dénoncé cette situation. Il est fondamental que chaque acteur puisse répercuter la hausse de ses coûts dans ses prix de vente.

Situation complexe, donc. Mais surtout, beaucoup d’arguments pour que la FWA soit bien présente et active au sein d’instances comme la concertation de chaine pour bien y rappeler à tous nos partenaires que les agriculteurs subissent aussi ces hausses de coûts, que l’augmentation des prix à la consommation ne se traduit jamais par une amélioration du revenu des producteurs et qu’il est impératif d’arriver à des prix de vente rémunérateurs qui couvrent les coûts de production, même quand ceux-ci augmentent en raison de la conjoncture mondiale.