Le plan stratégique wallon pour la Politique Agricole Commune (PAC) 2023-2027 adopté en première lecture par le Gouvernement wallon a été soumis, pour avis, le 17 mars 2022, à la Commission européenne. Celle-ci dispose d’une période de 3 mois pour transmettre ses observations concernant le plan. Il est donc très probable de devoir encore attendre un mois pour savoir si des adaptations sont nécessaires. Mais ces délais d’examen permettent aussi aux observateurs extérieurs de procéder à des analyses comparatives fort instructives.

José Renard

 

Le plan stratégique wallon a été transmis à la Commission européenne pratiquement 3 mois au-delà du délai imparti du 31 décembre 2021. Ce retard traduit la longueur et l’intensité des discussions au sein du Gouvernement wallon sur le contenu du plan. La nouvelle architecture verte ainsi que le maintien des aides couplées au secteur de l’élevage figuraient au centre des débats. Il faut rappeler à ce sujet l’intense mobilisation de la FWA et de ses membres tout au long du mois de décembre dernier. Il s’agissait en premier lieu de rappeler aux décideurs wallons nos revendications concernant, d’une part, le maintien des aides couplées indispensables à la pérennité de notre élevage bovin et, d’autre part, la nécessité de prévoir des éco-régimes accessibles au plus grand nombre de producteurs.

Nous avons aussi sensibilisé nos décideurs sur les résultats convergents des études indépendantes sur les effets des objectifs du Pacte vert européen et en particulier de la stratégie «de la ferme à la table», montrant les effets désastreux pour l’agriculture européenne. Enfin nos actions ont aussi permis de montrer à nos consommateurs comment certains choix politiques contiennent des risques d’insécurisation de leur approvisionnement alimentaire.

Que ce soit au niveau européen dans les travaux en trilogue pour définir la législation de base de la Politique Agricole Commune (PAC) européenne comme au niveau wallon dans l’élaboration du plan stratégique, l’ambition environnementale de la PAC a cristallisé les débats. Ou plus exactement, une déferlante de critiques très virulentes, issues d’une stratégie de communication bien préparée et utilisant les mêmes éléments de langage que certaines ONG, s’est abattue sur les décideurs concernant la future architecture verte de la PAC et son prétendu manque d’ambition.

Depuis plus de 60 ans, la PAC est un partenariat entre le secteur agricole et la société, entre l’Europe et ses agriculteurs. Les 5 objectifs assignés à la PAC par le Traité de Rome gardent aujourd’hui encore toute leur pertinence et leur nécessité. En premier lieu, la PAC doit veiller à assurer un approvisionnement alimentaire régulier, en volume suffisant et à des prix stables aux citoyens européens. Le secteur agricole et alimentaire a démontré sa capacité de résilience pendant la crise de la Covid 19 et aucune interruption de l’approvisionnement alimentaire n'a été constatée. Cependant, les conséquences de la guerre en Ukraine viennent nous rappeler chaque jour que cette sécurité alimentaire n’est pas un acquis gravé dans le marbre pour l’éternité.

A la différence de la plupart des autres activités de production, l’agriculture met en œuvre des êtres vivants et est exposée aux aléas climatiques, aux attaques des maladies et des ravageurs, aux incertitudes commerciales et à l’impact environnemental. Ces facteurs, entre autres, justifient l’intervention de l’UE pour les agriculteurs. Mais la PAC, première et pratiquement la seule politique européenne intégrée ne reste pas figée et n’est pas une politique du passé.

Les instruments de la PAC ont évolué et continuent d’évoluer. C’est ainsi que la nouvelle PAC, basée sur 9 objectifs qui couvrent le développement durable, se veut plus verte, plus juste et plus flexible.

La PAC sera un levier important pour atteindre la neutralité carbone que se fixe l’UE à l’horizon 2050. Elle est, dans sa nouvelle configuration, assurément plus verte au terme de compromis fondamentalement démocratiques entre les États membres, le Parlement européen et la Commission. Les aides seront attribuées directement par les États sur base des orientations validées dans leurs plans stratégiques nationaux. Les agriculteurs recevront ainsi un soutien financier à condition qu’ils adoptent des pratiques bénéfiques pour le climat et l’environnement. Ainsi au moins, un quart des aides de la PAC doit être dédié aux éco-régimes, des dispositifs rémunérant les pratiques agro-écologiques allant au-delà des exigences actuelles. Rappelons aussi que la législation européenne sur la PAC 2023-2027 contient des instruments pour viser une distribution plus égalitaire du soutien aux agriculteurs. En outre, le renouvellement générationnel est encouragé grâce à un soutien des installations de jeunes agriculteurs et une augmentation des moyens du 1er pilier destinés à soutenir les jeunes et les nouveaux arrivants dans le secteur agricole.

La transparence voulue par la Commission européenne dans l’examen des 28 plans stratégiques nationaux permet de retrouver l’ensemble de ces plans sur un site spécialement dédié. Ce qui donne la possibilité d’effectuer des comparaisons entre les différents plans. C’est ainsi qu’une analyse de la répartition des enveloppes financières attribuées à chaque grande action délivre des résultats intéressants sur les grandes orientations des plans. Par ailleurs, connaître où l’on se situe par rapport aux voisins, ce que l’on appelle le benchmarking en langage managérial, s’avère toujours très utile. Où se situe donc le plan stratégique wallon dans le concert européen?

Les montants alloués aux éco-régimes en Wallonie s’élèvent à 26% du total alors que la moyenne européenne est de 23,7% et que le législateur avait prévu un minimum de 25%. Seuls 7 plans dépassent ce seuil. S’agissant du 2ème pilier de la PAC, la part consacrée aux mesures environnementales, climatiques et de bien-être animal (MAEC, Bio, mesures climatiques, zones défavorisées) atteignent chez nous 67,43% du total des dépenses pour une moyenne européenne de de 48,79% et une obligation minimale de 35%, soit une des proportions les plus élevées dans les 28 plans.

Si la Wallonie n’est peut-être le meilleur élève à ce sujet, elle n’est donc pas non plus loin s’en faut le cancre de la classe en matière de mesures environnementales. Et il n’est pas non plus correct d’affirmer sans base fondée que le plan stratégique wallon manque d’ambition environnementale! La part des montants consacrés à ces mesures atteste du contraire.

Le plan stratégique wallon manque-t-il le coche en termes sociaux et d’équité dans la distribution des aides comme cela a aussi été prétendu? Rappelons que déjà sous la PAC 2014-2020, la Wallonie appliquait sur une base volontaire le paiement redistributif qui permet de sur-primer les 30 premiers hectares de l’exploitation et ce, à hauteur de 17% de l’enveloppe globale du premier pilier. Pour la nouvelle programmation, le paiement redistributif wallon est renforcé et porté à 19,50% du total, soit encore une fois un des niveaux européens les plus élevés quand un minimum de 10% est exigé et appliqué par la majorité des Etats membres. La Wallonie sera aussi un des rares Etats membres à appliquer le plafonnement et la dégressivité des aides au-delà d’un montant de 75 000 euros. Soulignons aussi l’importance des aides en faveur des jeunes dans le 1er pilier ainsi que les aides à l’installation.

Autant d’éléments factuels qui viennent illustrer la prise en compte des dimensions environnementale et sociale dans le plan stratégique wallon. La FWA doit le répéter encore et encore. Les agriculteurs européens, et a fortiori wallons, sont bien conscients du rôle capital que leur secteur joue en matière de gestion de l’environnement et de réponse au défi climatique. La FWA souligne depuis longtemps que l’agriculture constitue une partie de la solution dans la lutte contre le dérèglement climatique. Les agriculteurs sont déterminés à relever ces défis et à jouer pleinement leur rôle à cet égard, comme ils le font déjà depuis très longtemps. Pour la FWA, les décisions sur la réforme de la PAC ne pouvaient cependant pas être le prétexte à une révolution verte qui viendrait méconnaître tous les efforts déjà consentis par nos agriculteurs depuis de nombreuses années.

Pour rappel, 53% des moyens du plan wallon de développement rural (PWDR) 2014-2020 sont consacrés à des mesures à effet environnemental, pratiquement la moitié des agriculteurs wallons ont souscrit des engagements agri-environnementaux, un agriculteur wallon sur neuf applique les méthodes de l’agriculture biologique. Chaque année, la conditionnalité appliquée à l’ensemble des aides directes attribuées à une exploitation conduit à des réductions parfois importantes, voire même la suppression, des aides suite à des constats de manquements à certaines exigences réglementaires ou bonnes conditions environnementales. Il est assez insupportable de s’entendre sans cesse dire «doit faire mieux» sans reconnaissance des efforts délivrés pour assurer cette double performance de maintenir une production économique tout en progressant constamment vers plus de durabilité. Les accusations de «green washing», cela suffit! Mettre en avant le chemin parcouru et les efforts en cours, ce n’est pas faire preuve de ringardise, ni être un dangereux suppôt réactionnaire de l’agri-business. Les agriculteurs européens devront trouver des solutions pour relever de multiples défis sans pour autant d’ailleurs que les moyens financiers correspondants suivent. Il serait plus que temps qu’on reconnaisse leurs mérites et qu’on leur accorde les moyens financiers à la hauteur des missions qu’ils remplissent!