Le vendredi 10 juin, après l’interruption due à la situation sanitaire, la FWA a renoué avec la tradition initiée par notre commission Bio et le Service d’études, d’organiser une conférence-débat dans le cadre de la semaine Bio organisée partout en Wallonie pour mieux faire connaître au grand public l’ensemble des acteurs du secteur. La FWA avait choisi pour sa journée de discussions de débattre de l’influence de nouvelles décisions politiques et des réglementations qui en découlent, sur le développement de l’agriculture biologique. Nous y reviendrons ultérieurement dans les pages Bio de Pleinchamp. Mais il est pertinent de rappeler quelques éléments-clés de la vision de la Fédération Wallonne de l’Agriculture concernant ce mode de production.

José Renard

 

Nous le savons, les objectifs politiques de développement de l’agriculture biologique sont très ambitieux. La Déclaration de Politique régionale wallonne pour la législature 2019-2024 vise à atteindre 30% de production biologique à l’horizon 2030. Dans son Pacte vert et plus particulièrement la stratégie «de la ferme à la fourchette», la Commission européenne ambitionne de parvenir à un niveau de 25% toujours en 2030. Les derniers chiffres-clés de la production bio en Wallonie confirment la progression du secteur: 1.969 producteurs bio (68 nouveaux producteurs bio en 2021) soit 15,5% des fermes wallonnes, 92.008 ha bio (+2% en 2021) soit 12,4% de la surface agricole utile wallonne et 11% des terres sous contrôle bio sont en période de conversion. La FWA soutient cette évolution et s’en réjouit. Toutefois, pour atteindre les objectifs annoncés, d’importants efforts devront être réalisés pour «booster» le développement du secteur. Pour la FWA, ces efforts ne peuvent pas être fournis à n’importe quel prix et il est nécessaire de fixer des objectifs réalistes et réalisables, qui s’appuient sur des évaluations scientifiques et économiques fondées et qui ne relèvent d’une estimation «au doigt mouillé». Le développement d’un secteur ne peut en outre pas se limiter à la seule stimulation de la hausse des volumes produits.

 

En premier lieu, il est indispensable de renforcer la structuration des filières depuis le champ jusqu’à l’assiette. De ce préalable nécessaire, doivent découler toutes les actions menées dans le secteur. Ce n’est pas normal que des produits respectant tous les éléments du cahier des charges de l’agriculture biologique se retrouvent commercialisés dans les circuits conventionnels au prix du conventionnel comme cela est régulièrement le cas en viande bovine. On sait également que dans le secteur du lait, l’équilibre entre produits bios et non bios reste fragile. L’exemple des situations vécues en France, même si tout n’est pas comparable, doit nous inciter à la prudence. Cela signifie également qu’en termes de décisions politiques, l’accent devrait être mis sur le renforcement des filières déficitaires. La crise grave vécue par les éleveurs de monogastriques, porcs et volailles, suite à l’invasion russe en Ukraine, vient souligner toute l’importance d’augmenter notre propre production d’aliments du bétail et autres matières premières certifiés issus de l’agriculture biologique. Je pense en particulier au développement de la production de protéines végétales.

 

Des filières mieux structurées permettront de renforcer la cohérence entre les différents acteurs, qu’ils soient producteurs, transformateurs ou distributeurs. La connaissance des marchés s’en trouvera améliorée. Et surtout, cela contribuera à créer plus de confiance entre l’ensemble des maillons de la chaine.

 

La demande doit tirer le marché. L’équilibre entre l’offre et la demande reste un des piliers fondamentaux de toute activité économique. Il est fréquemment rappelé qu’une partie importante de la demande des consommateurs wallons en produits bios n’est pas rencontrée et qu’il est fondamental de répondre à cette évolution de la demande par la croissance de la production régionale. Toutefois, selon les derniers chiffres de l’observatoire de la consommation piloté par l’APAQ-W, la part de marché du bio en Wallonie représente 5,44% du marché du frais. La progression de la consommation est donc beaucoup moins spectaculaire et plus lente que celle de la production. A cet égard, la chute de demande subie par de nombreux producteurs depuis la reprise post-Covid, conjuguée au très fort amenuisement du différentiel de prix qui existait en faveur des produits bios, place de nombreux producteurs dans des situations très difficiles et les amène à s’interroger réellement sur la pérennité de leur activité. On peut toujours rétorquer que ce sont d’abord les prix du conventionnel qui ont augmenté, partant le plus souvent d’un niveau sous-payé, et qu’a contrario les prix des produits bios semblent moins exposés aux fluctuations du marché mondial, et que ceux-ci sont plus stables sur le long terme. Reconnaissons que, quels que soient les modes de productions, les coûts de l’énergie et des matières premières ont explosé et que les marges des producteurs ne se sont pas améliorées.

 

Toujours selon l’observatoire de la consommation, 2/3 des dépenses en produits bios se font dans les supermarchés et les magasins bios (respectivement 40,4% et 26,6%, soit un total de 67%). Certaines enseignes de la grande distribution répondent à la demande croissante par de l’importation de produits certifiés issus de toutes les parties du monde et toujours dans une optique de prix les plus bas possibles. Cela nous paraît complètement contradictoire avec la philosophie générale de la consommation de produits bios. Pour la FWA, un produit local et de saison issu d’une production raisonnée reste toujours préférable à un produit bio venu des antipodes.

 

On le voit, le rôle du consommateur est déterminant pour le développement du secteur bio. Les choix d’achat du citoyen/consommateur sont cruciaux. Il est indispensable que les bonnes intentions déclarées dans les sondages, du type «je suis prêt à payer plus pour des produits répondant plus aux attentes sociétales (locaux, bio,..)», se traduisent en actes concrets d’achats. A cet égard, le contexte d’explosion généralisée des prix de l’énergie et d’inflation à un niveau élevé suscite de nombreuses inquiétudes tant pour les choix des consommateurs que pour la possibilité des plus fragilisés de s’approvisionner en une alimentation de qualité.

 

Pour la FWA, le choix du bio doit rester un acte volontaire aussi bien pour le producteur qui décide de sa conversion que pour le consommateur. Tous les opérateurs doivent pouvoir choisir d’être certifiés bio pour leurs produits. Le plus important pour le producteur doit être la rentabilité de son activité et la juste rémunération de sa production. Ceci vaut aussi bien pour la production respectant le cahier des charges de l’agriculture biologique que pour la production conventionnelle, elle aussi guidée par de nombreux cahiers des charges et certifications (IPM, Vegaplan,…). Dès lors, à la FWA nous pensons, disons et répétons à chaque fois que nécessaire, qu’il est vain d’opposer les différents modes de production ou même les destinations (alimentation humaine, alimentation animale, non food) à l’intérieur d’une filière de production. Il faut développer les complémentarités et la circularité pratiquée depuis des siècles en agriculture. Ce qui est développé pour le bio peut trouver son utilisation et sa place en agriculture conventionnelle. Songeons au développement du matériel de désherbage mécanique, aux cultures en association ou à la recherche de plus d’autonomie fourragère.

 

Nos agriculteurs sont toujours prêts à s’adapter pour répondre aux demandes des consommateurs et aux nouvelles attentes de la société. Mais la production issue de ces évolutions doit être rémunérée à un prix juste et stable assurant la rentabilité des exploitations. Et pour cela, comme l’ont bien montré les discussions lors de la journée d’études de la FWA, la législation et les réglementations doivent créer le cadre pour permettre et soutenir le développement et le renforcement des filières, viser une réelle simplification administrative, apporter de la cohérence entre actions et stimuler la confiance entre les acteurs de la chaine alimentaire ainsi que celle du consommateur. Tout un programme, aussi ambitieux que les objectifs chiffrés annoncés en début d’édito et auquel la FWA, avec ses élus et ses services, veut contribuer de façon constructive exerçant complètement son rôle de force de proposition.