La semaine dernière, de nombreux médias, en particulier audiovisuels, consacraient des sujets à la forte hausse des prix au consommateur de la traditionnelle galette des rois, qui serait due à l’explosion des prix du beurre, composant essentiel de la pâte à la base du dessert. Au-delà du côté un peu anecdotique de la chose, aussi dû au ralentissement de l’activité médiatique en cette période de trêve des confiseurs, c’est aussi une belle illustration de ce qu’après l’explosion des prix de l’énergie enregistrée ces derniers mois suit celle des prix des denrées alimentaires avec ses dégâts collatéraux pour le consommateur.

José Renard

 

Des organisations aussi sérieuses que l‘Organisations des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) et le Fonds monétaire international (FMI) n’ont pas attendu le début janvier 2022 pour s’alarmer de la forte hausse des produits alimentaires de base au niveau mondial et ont déjà communiqué sur cette problématique depuis quelques mois. Des hausses de plus de 30 % par rapport à 2020 sont mentionnées. L’origine de cette explosion est à trouver dans la conjonction d’une série de facteurs, aussi bien au niveau mondial qu’au plan local.   Les conditions météo extrêmes vécues en 2021 expliquent très largement cette baisse de la production agricole mondiale tant en volume qu’en qualité qui vient maintenant affecter les marchés : pluie, sécheresse, typhons et ouragans, inondations en Allemagne et en Belgique, sècheresse en Inde, gel au Brésil. La production agricole met en œuvre des êtres vivants et reste soumise aux aléas parasitaires et climatiques. Si notre agriculture était aussi industrielle que ne le présentent certaines visions caricaturales et réductrices, comment n’arrive-t-elle pas à maitriser cette variabilité des rendements ?

 Le deuxième élément d’explication est à trouver dans la globalisation de l’économie et la mondialisation des échanges qui fait qu’au final une sécheresse en Nouvelle-Zélande affecte notre marché laitier européen et quelques fois de manière conséquente. La reprise économique post Covid plus rapide et plus forte que prévu, la forte demande de la Chine tant pour la consommation humaine qu’animale, ainsi des perturbations des chaines d’approvisionnement en particulier suite à la congestion du fret maritime… constituent autant de facteurs qui poussent les prix à la hausse.

Le troisième élément qui devrait retenir notre attention est ce que les économistes appellent la loi de   King du nom d’un statisticien britannique du 18ème siècle qui avait observé les effets sur les prix d'un défaut ou d'un excédent d'approvisionnement des produits agricoles de base (le marché suivi était celui du blé, 1ère source de nourriture). On pourrait traduire cette loi en disant que l'insuffisance ou l'excès de l'offre produisent sur ces marchés des variations de prix beaucoup plus importantes que les variations de volumes constatés et cela dans un contexte de demande des ménages relativement stable. Un déficit d'offre fait monter les prix en flèche, un excès d'offre provoque une chute de prix importante.

Depuis l’époque de King, la part des revenus des ménages consacrée à l’alimentation s’est fortement réduite pour ne plus représenter à l’heure actuelle que 11 % du fameux « panier de la ménagère », confirmant ainsi que le 5ème objectif de la PAC d’assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs est plus qu’atteint. Toutefois, nous avons déjà maintes fois attiré l’attention sur les résultats convergents des études sur les effets des objectifs chiffrés de la stratégie « de la ferme à la table » montrant que la réduction de la productivité et de la production agricole européenne résultant de ces objectifs se traduirait par un affaiblissement de notre indépendance alimentaire, une fragilisation de notre approvisionnement alimentaire et par la hausse des prix à la consommation. Tout autant de messages que la FWA a encore martelé ces dernières semaines lors de ses actions de sensibilisation et en particulier la distribution de pommes dans les ronds-points du 14 décembre, accueillie très positivement par les citoyens et les consommateurs.

Si l’on regarde les autres objectifs de la PAC, celui accroitre la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique est également réalisé, probablement au-delà des attentes des rédacteurs du Traité de Rome. S’ils apparaissent comme acquis les objectifs de garantir la sécurité des approvisionnements et de stabiliser les marchés, sont peut-être plus fragiles que l’on peut le croire. Il est ainsi indéniable que l’abandon progressif des outils de gestion des marchés au gré des réformes successives de la PAC a renforcé le risque de volatilité accrue des marchés et par conséquent des prix, avec des mouvements tant à la hausse qu’à la baisse de plus grande ampleur qui viennent fragiliser la trésorerie des exploitations, en particulier celles avec des charges financières lourdes. Or, il est impératif de garder dans la mise en œuvre de la PAC cette capacité à investir pour accéder à l’innovation et au progrès technologique sources de pérennité des exploitations. Enfin, clairement, l’objectif d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole semble s’éloigner avec la diminution de la part du revenu agricole par rapport au revenu comparable. Ce sont là aussi des constats que nos décideurs wallons doivent bien garder en tête au moment de finaliser le plan stratégique wallon pour la PAC 2023-2027.

Pour revenir aux propos introductifs, la volatilité du prix du beurre et celle des produits laitiers en général est une réalité depuis une quinzaine d’années, renforcée par l’abolition des outils de maitrise de la production et dramatiquement vécue par l’entièreté des producteurs lors des chutes de prix de 2009 (qui avait succédé à une forte hausse en 2007) et de 2015-20216. C’est aussi une belle illustration de la pertinence de la loi de King : des variations parfois minimes des volumes à la hausse ou à la baisse, se traduisent par des mouvements beaucoup plus importants des prix. La hausse actuelle des cotations du beurre s’explique par une demande en hausse. Nous ne pouvons voir que d’un bon œil le retour en grâce du beurre, tellement décrié face aux matières grasses végétales il y a 20 ou 30 ans. S’y ajoutent la demande croissante dans les économies émergentes d’une part et une certaine diminution de la production d’autre part. Rappelons qu’il n’y pas si longtemps que cela, de nombreux observateurs indiquaient la matière grasse comme principal problème du marché des produits laitiers alors qu’un avenir radieux devait s’ouvrir devant les fromages et surtout les produits frais. 

Rappelons aussi que cette hausse de certains produits alimentaires est bien loin de constituer tout bénéfice pour les producteurs agricoles et les autres acteurs de la chaine alimentaire. Depuis plusieurs mois, les agriculteurs subissent également, au même titre que les autres acteurs de l’économie et même parfois plus fortement vu les difficultés de répercuter ces hausses tant vers l’aval que vers l’amont, une forte augmentation de leurs coûts de production. Explosion des prix de l’énergie, pénurie et flambée des engrais azotés, hausse des prix des matériaux et des équipements, envolée des prix de l’alimentation animale sont autant d’ingrédients d’un cocktail qui suscite énormément de craintes pour la santé financière de nombreuses exploitations. Comme en témoigne, la rencontre avec le Ministre fédéral de l’Economie P-Y Dermagne, la FWA actionne tous les leviers possibles pour tenter d’atténuer les conséquences de cette situation.

Bien plus que l’évolution des prix, c’est la situation des marges qui est déterminante pour le revenu des producteurs. Les calculs effectués par le Service d’études de la FWA sur la base des données récoltées par nos collègues du CGTA et présentés lors du Comité directeur du 14 décembre dans le cadre d’une analyse de la situation des différents secteurs agricoles wallons ont bien démontré que les marges des producteurs n’avaient pas progressé du fait de la hausse des coûts. Ceci vaut pour tous les secteurs de la production et nous devons accorder une attention toute particulière à la détresse que vivent nos producteurs de porcs.

La répartition équilibrée des marges entre les différents maillons est une condition impérative de la bonne santé d’une chaine alimentaire qui fonctionne. Raison pour laquelle la FWA plaide depuis longtemps pour la transformation de l’observatoire des prix en un observatoire des marges qui puisse intervenir en cas de déséquilibre. Rappelons aussi deux caractéristiques de la transmission des prix dans la chaine alimentaire. D’une part le délai pour que des variations de prix de revient se répercutent et d’autre part et plus important à signaler d’un point agricole : l’asymétrie de cette transmission. Ce qui signifie: plus rapidement et plus complètement quand il s’agit de faire pression sur les prix à la production ; beaucoup moins quand il s’agit de faire bénéficier le producteur d’une partie de l’embellie des prix à la consommation.

Pour conclure, une situation complexe bien plus complexe que ne pourrait le laisser croire un sujet de quelques secondes dans un JT. Mais surtout, beaucoup de réflexion indispensable sur la globalité des questions, beaucoup de communication nécessaire et des arguments renforcés pour une FWA bien présente et active au sein d’instances comme la concertation de chaine pour y rappeler à tous nos partenaires que les agriculteurs subissent aussi ces hausses de coûts et que l’augmentation des prix à la consommation ne se traduit aucunement par une amélioration du revenu des producteurs.