Après trois jours de discussions marathon autour de ce que l’on croyait être l’apanage du Conseil des Ministres de l’Agriculture, les Ministres de l’Environnement et de l’Energie réunis à Luxembourg la semaine dernière ont adopté une série de décisions sur des dossiers importants contenus dans le paquet "Ajustement à l'objectif 55". Ce dernier poursuit l’objectif de permettre à l’Union Européenne de réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre d'au moins 55% d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 et d'atteindre la neutralité climatique en 2050.

José Renard

 

Les Ministres de l’Environnement des 27 États membres ont ainsi arrêté une position commune concernant le système d'échange de quotas d'émission de l'UE (SEQE de l'UE), la répartition de l'effort entre les États membres dans les secteurs non couverts par le SEQE (RRE), les émissions et absorptions résultant de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie (LULUCF), la directive sur les énergies renouvelables (RED), la création d'un Fonds social pour le climat, et les nouvelles normes de performances en matière d'émissions de CO2 pour les voitures et les camionnettes. Le Conseil a marqué son accord sur un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre au niveau de l'UE porté à 40% par rapport à 2005 pour les secteurs ne relevant pas du SEQE, à savoir le transport maritime national, l'agriculture, les déchets et les petites industries.

Le secteur de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie (LULUCF) couvre l'utilisation des sols, des arbres, des plantes, de la biomasse et du bois. Les émissions et absorptions résultant de ce secteur sont prises en compte dans l'objectif global 2030 de l'UE. Le Conseil a confirmé la fixation d'un objectif global de 310 millions de tonnes équivalent CO2 d'absorptions nettes dans le secteur LULUCF à l'horizon 2030 à l'échelle de l'UE. Cela représente une augmentation des absorptions d'environ 15% par rapport aux niveaux actuels. Il est également demandé à la Commission de présenter un rapport, concernant l'inclusion, dans le champ d'application du règlement, des émissions de gaz à effet de serre autres que le CO2 qui proviennent de l'agriculture ainsi que la fixation d'objectifs pour l'après-2030 dans le secteur de l'utilisation des terres. Ledit rapport devra être présenté dans un délai de 6 mois à compter du premier bilan mondial convenu en vertu de l'accord de Paris (qui doit être réalisé en 2023).

Ces décisions, qui viennent s’ajouter à la stratégie «De la ferme à la table», au paquet «Restauration de la nature» et à bien d’autres, produiront des impacts significatifs pour le secteur agricole. Les agriculteurs déjà bien engagés dans de nombreux processus de transition sont bien conscients du rôle qu’ils ont à jouer dans la lutte contre les dérèglements climatiques. Ce n’est pas un slogan, mais bien une conviction forte: bien plus que la source des problèmes, l’agriculture représente une partie significative de la solution. Pensons simplement au processus de photosynthèse qui permet, grâce à l’énergie solaire, la captation de quantités importantes de carbone dans les végétaux en croissance, à la fixation du carbone dans les sols agricoles et en particulier les prairies pâturées, aux engrais de ferme et à l’apport de matières organiques indispensables à la vie des sols provenant de l’élevage, à la production d’énergie et de matières premières renouvelables ou à l’économie circulaire pratiquée depuis des millénaires en agriculture. Et tout cela en continuant à assurer la fonction première de l’agriculture, celle de garantir en quantité et en qualité l’approvisionnement alimentaire de nos concitoyens.

Les objectifs ambitieux de la politique climatique nécessitent, pour devenir réalités, de donner aux agriculteurs les moyens de poursuivre la réalisation de la double performance de garantir l’approvisionnement alimentaire tout en s’inscrivant dans la recherche de toujours plus de durabilité. Il est essentiel que le paquet «Ajustement à l’objectif 55» tienne dûment compte des efforts déjà consentis par l’agriculture et lui assure une certaine stabilité. Les objectifs et les moyens mis en œuvre pour les réaliser doivent reposer sur les données scientifiques et respecter la réalité et la durabilité agronomiques, en particulier quand la question des réductions des émissions de gaz à effet de serre viendra concrètement à l’ordre du jour. Enfin pour la FWA, il ne peut y avoir de véritable durabilité sans durabilité économique, sans agriculteurs qui ont la place qui leur revient dans la chaîne alimentaire et peuvent dégager un revenu décent de leur activité et de la mise sur le marché de leur production. L’agriculture est certes un métier de passion exercé par des passionnés, mais la passion, cela s’entretient! Un revenu décent et le respect du travail fourni constituent les meilleurs garants du maintien de cette passion.

Les positions communes adoptées la semaine dernière par le Conseil de l’Environnement ouvrent la voie à l'ouverture de négociations avec le Parlement européen, dans le cadre du processus législatif de codécision. Il est évident que la FWA et ses services, que ce soit dans les discussions au COPA ou en direct avec nos représentants au niveau européen, resteront particulièrement attentifs aux travaux futurs, sur le paquet «Ajustement à l’objectif 55». Celui-ci doit permettre le développement de l’agriculture durable et innovante au bénéfice de toute la société européenne.

 

europe

Outre les positions communes du Conseil de l’Environnement, rappelons que la Commission européenne a présenté le 22 juin sa proposition de règlement sur l’utilisation durable des produits phytosanitaires, élément clé de la communication sur la stratégie «De la ferme à la table». Les deux principaux objectifs du règlement sont connus depuis la présentation de la stratégie «De la ferme à la table», à savoir réduire de 50% l'utilisation et le risque des produits phytosanitaires chimiques et diminuer de 50% l'utilisation des pesticides les plus dangereux d'ici 2030. Mais, comme le souligne le COPA, la proposition ne répond pas aux interrogations qui surgissent dans ce contexte international, marqué par le défi de la sécurité alimentaire mondiale, ni ne présente de solutions et propositions concrètes pour réaliser ces objectifs. Pour atteindre l'objectif général de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires, les agriculteurs doivent disposer d'outils sûrs, efficaces, disponibles et abordables fondés sur les progrès scientifiques. La période de transition doit être suffisamment longue pour permettre la mise au point d’itinéraires techniques alternatifs et de produits de substitution, tout en tenant compte des besoins spécifiques des cultures moins présentes. A cet égard, le rôle de la recherche scientifique est fondamental pour la mise au point et le développement de méthodes qui permettront la substitution des produits phytosanitaires.  Les pouvoirs publics devront dès lors doter la recherche de moyens budgétaires à la hauteur des ambitions.

La proposition de loi sur la restauration de la nature, présentée également le 22 juin par la Commission européenne, a suscité également son lot d’inquiétudes concernant sa portée, ses effets sur les terrains privés ainsi que les coûts de sa mise en œuvre.

Les initiatives du paquet «Ajustement à l’objectif 55» et des stratégies «De la ferme à la table» et en faveur de la biodiversité s’accumulent de plus en plus, faisant peser un poids toujours plus lourd sur le monde agricole. Les effets de ces réglementations affecteront simultanément et cumulativement nos exploitations. Viennent aujourd’hui s’y ajouter les crises géopolitiques internationales. La FWA l’a souligné à de multiples reprises: les objectifs du Pacte verts ont été décidés avant la crise de la Covid et avant la guerre en Ukraine. Nous soutenons dès lors fermement la demande du COPA de mener une analyse d'impact globale sur les répercussions du Pacte vert pour l’Europe sur l’agriculture car les analyses isolées ne permettent pas de refléter correctement les effets cumulatifs de ces propositions sur le terrain, sur la productivité ou encore sur la sécurité alimentaire. Compte tenu des circonstances géopolitiques actuelles, il est primordial de préserver la stabilité de nos rendements et de produire suffisamment de produits de haute qualité à des prix abordables pour l’ensemble des consommateurs pour contribuer au maintien de la sécurité alimentaire mondiale. La FWA avait déjà attiré l’attention du Gouvernement wallon sur ces questions dès le 1er octobre 2021. Et cette demande d’analyse globale des effets cumulatifs du Pacte vert sur l’agriculture est plus que jamais d’actualité.

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BioIngenieur