Alors que l’échéance du 31 décembre 2021 pour la soumission à la Commission européenne des plans stratégiques de transposition de la Politique agricole commune (2023-2027) se rapproche dangereusement, les prises de position en tout genre se multiplient de la part des défenseurs d’une PAC plus verte et d’une transition agricole et alimentaire. A la lecture des éléments de langage que l’on retrouve dans chacune de ces communications comme «lobbies », « erreurs du passé » ou « chantres de l’agriculture industrielle », il est difficile de ne pas croire à une stratégie délibérée et organisée qui couvre aussi bien les débats au Parlement européen sur la stratégie « De la ferme à la table » que les discussions dans les Etats membres sur le contenu des futurs plans stratégiques, relayant le plus souvent des arguments avancés par certaines ONG. Tiens, curieusement, là ce ne sont plus des lobbies !

 

José RENARD

 

Dernière sortie en date : une interview de Jean-Marc Nollet, co-président d’Ecolo, dans l’Avenir de ce 25 octobre dans laquelle il identifie trois rendez-vous importants pour la Wallonie: la transposition wallonne de la PAC, les traités commerciaux et le «Stop béton»,  le tout assorti d’un message politique à destination de ses partenaires de la majorité, message qu’il ne nous appartient pas de commenter. Nous rejoignons certainement le co-président concernant les accords commerciaux internationaux pour rejeter l’importation d’un modèle agricole dont nous ne voulons pas chez nous et/ou de denrées alimentaires que nous pouvons produire chez nous. L’importation de produits obtenus selon des modes de production qui ne correspondent pas aux standards européens et qui placent nos propres producteurs dans des conditions de concurrence non équitables doit être totalement proscrite. Nous partageons également la nécessité de freiner vigoureusement l’artificialisation des sols. Arriver à un véritable stop béton à moyen terme fait partie de longue date des revendications de la FWA.

 

A lire certaines personnes, l’agriculture semble être devenue la cause principale des dérèglements climatiques et une transition radicale du secteur agricole s’imposerait d’urgence pour permettre d’atteindre les objectifs de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) et de neutralité carbone à l’horizon 2030. Certes il est admis que l’agriculture souffre des effets des dérèglements climatiques. Mais pour la FWA, qui reconnaît que le secteur agricole émet des GES, celui-ci constitue d’abord une partie de la solution et il convient aussi de reconnaître les efforts déjà réalisés. A titre d’exemple, une petite comparaison des impacts climatiques de notre secteur en regard, par exemple, de ceux du transport routier nous enseigne que les émissions de GES de l’agriculture (hors combustible) comptent en 2019 pour 8 % du total des émissions en Belgique. Au total (en incluant les émissions du secteur énergie), elles ont diminué de 19 % entre 1990 et 2019, alors que le transport routier, avec une augmentation des émissions de GES de 25 % entre 1990 et 2019, constitue l’un des principaux moteurs de l’évolution des émissions. L’augmentation absolue des émissions de CO₂ du transport routier entre 1990 et 2019 est la plus élevée parmi les principales sources de l’évaluation des tendances (+ 8,01 millions de tonnes d’équivalent CO₂). Or, étonnement, on n’entend peu de voix s’élever pour une transition radicale du secteur du transport routier.

 

Par ailleurs, certaines affirmations et allégations concernant la PAC relèvent des simplismes et raccourcis hâtifs. Elles ont l’apparence, la couleur et l’odeur de contrefeux allumés après notre action du 1er octobre dernier de sensibilisation du Gouvernement wallon concernant les résultats convergents de diverses études et analyses des impacts des objectifs cumulés des stratégies du Green Deal européen et de la future PAC sur notre agriculture et sur l’approvisionnement alimentaire de nos concitoyens.

Toute politique doit s’évaluer en fonction de l’atteinte de ses objectifs. La FWA l’a souvent souligné. Non seulement les cinq objectifs agricoles définis dans le Traité de Rome gardent toute leur pertinence pratiquement 65 ans plus tard, mais la majeure partie d’entre eux ont été largement atteints. L’approvisionnement alimentaire de nos populations est plus qu’assuré, en volume, en qualité et en régularité. Et tout cela pour la modique somme de 125 euros par personne et par an, correspondant au budget annuel de la PAC. Quand nos grands-parents consacraient la majorité de leurs revenus pour leur alimentation, pour ne pas parler de l’époque des tickets de rationnement, les dépenses alimentaires des ménages de 2021 ne dépassent plus 11 % de leurs revenus. Enfin, faut-il encore rappeler comment notre secteur agro-alimentaire a démontré toute sa résilience au cours de la crise sanitaire de la Covid-19 et en particulier lors du confinement. Aucune pénurie alimentaire n’a été déplorée, ni aucune rupture de l’approvisionnement.

Un des enseignements les plus inquiétants des études sur la stratégie « De la fourche à la table » mis en avant par l’Université de Kiel est celui du renchérissement des coûts alimentaires de l’ordre de 157 euros/an et par citoyen. Comment parler de la sécurisation de l’approvisionnement alimentaire des plus précarisés avec une telle perspective ? Renvoyer vers les coûts cachés de la malbouffe s’apparente à un rideau de fumée, mais est aussi dénigrant envers l’agriculture conventionnelle qui produit de la qualité. Les rapports annuels de l’AFSCA sont éloquents en la matière. C’est dans le secteur de la production primaire que les résultats de respect des normes sanitaires sont les plus élevés et dépassent de loin les 90 %. Remarquable quand on a une des agricultures les plus contrôlées au monde, où chaque manquement peut se traduire par une réduction, voire la suppression des aides directes de la PAC.

 

Il y a quelques jours, la publication d’une étude de l’ISSEP relative aux résultats de la première phase d’un examen de la présence de certains polluants dans l’organisme des Wallons suscitait un étrange haro sur les produits phytos que la FWA n’a pas manqué de dénoncer. Ici encore, on retrouve les mêmes arguments : nécessaire protection des agriculteurs utilisateurs ainsi que les lobbies de l’industrie du phyto dont les représentants passent toutes les semaines en ferme et poussent à la consommation. C’est totalement méconnaître les efforts réalisés par les agriculteurs en matière de réduction des quantités de matières actives par hectare, de respect des règles de la gestion intégrée des ravageurs traduisant le passage d’une utilisation systématique des produits de protection des cultures à une utilisation uniquement quand cela est nécessaire. C’est aussi oublier que peuvent être utilisées uniquement des matières actives et leurs formulations commerciales agréées après une longue procédure portant notamment sur l’examen de leur éventuelle toxicité qui est un facteur d’exclusion quelle que soit leur efficacité en termes de protection des cultures. En outre l’agrément ne porte que sur des utilisations précises dans des conditions bien spécifiées avec, par exemple, des délais de traitement avant récolte à respecter pour éviter la présence de résidus sur les récoltes, voire des mesures de précaution vis-à-vis de l’environnement de la parcelle traitée. Enfin, l’utilisateur professionnel doit être détenteur d’une phytolicence qui atteste de sa capacité d’appliquer de tels produits dans les conditions requises et est assortie d’une obligation de formation continue. 

Beaucoup d’autres exemples pourraient encore être relevés : les mesures environnementales du 2ème pilier de la PAC représentent 53 % des dépenses publiques pour la programmation 2013-2022 ; 48 % des agriculteurs wallons mettent en œuvre des mesures agro-environnementales, 1901 fermes sont certifiées bio (+ 85 fermes en 1 an), soit 15% des fermes wallonnes pour pratiquement 90.000 ha, soit 12 % de la SAU. Pas vraiment nécessaire d’encore en ajouter pour démontrer que les agriculteurs wallons se sont déjà fortement engagés dans la recherche de la durabilité.

Il y a deux ans, notre Présidente signait un article intitulé « Vers une Wallonie, zéro agriculteur » qui garde toute sa résonnance en 2021. Si c’est cela la volonté, il faudra que les décideurs le disent clairement et en assument toutes les conséquences économiques et sociales. La FWA s’opposera encore et encore au démantèlement de l’agriculture familiale wallonne et à sa transformation en musée !