La semaine dernière, quelques organes de presse ont repris et commenté les résultats d’une toute récente enquête mesurant la présence de traces de produits phytosanitaires dans les chambres à coucher des citoyens européens. Et c’est reparti… haro sur les phytos ! Il y a beaucoup à dire sur cette enquête, et sur le débat qu’elle réveille et qui revient périodiquement dans les colonnes de nos journaux et les programmes de nos chaînes télé. Positivons ! Le retour de ce sujet dans nos médias a au moins un mérite : il nous offre l’opportunité de réexpliquer encore une fois comment travaillent les agriculteurs.

Anne Pétré

Revenons avant toute chose sur l’enquête récente dont les résultats ont été publiés dans plusieurs journaux ces derniers jours. Celle-ci est menée et publiée par Pan-Europe, un consortium d’ONG environnementales européennes qui visent à remplacer l’utilisation de pesticides. Dès l’introduction et la description de la méthode utilisée, on comprend toute l’objectivité de cette étude. Comment a-ton procédé ? En sélectionnant « une maison privée par pays, située dans une zone où l’on pratique l’agriculture intensive ». UNE maison… Vous avez dit étude scientifique ? Bref, soyons clairs, on peut bien évidemment débattre de l’utilisation des produits phytosanitaires en agriculture, voire il faut en débattre, mais pas sur base d’une étude partiale voire militante qui ne laisse aucune chance à la nuance.

Le débat, il a notamment eu lieu sur le plateau de la chaîne d’info LN24 ce lundi 27 septembre, où Marianne Streel était invitée à défendre le point de vue du terrain face à 3 interlocuteurs convaincus de la nécessité d’en interdire l’usage : Martin Dermine (coordinateur de Pan Europe, initiatrice de l’enquête), Alain Peeters (Secrétaire général d’Agroecology Europe) et Philippe Baret (Professeur au Earth and Life institute de l’UCL).

A cette occasion, notre présidente a pu rappeler quelques réalités. Tout d’abord, non, les agriculteurs ne sont pas accrochés à leurs produits phytosanitaires comme des moules à leur rocher, sans se poser de questions ! Les agriculteurs ont évidemment évolué, au fil des progrès de la recherche et du développement d’un encadrement professionnel axé sur la lutte intégrée et une approche réactive et ciblée de l’usage de ces produits, plutôt que systématique et préventive.

Oui, les agriculteurs sont conscients des enjeux écologiques, et ils l’ont largement montré par leur capacité à « empoigner » et mettre en œuvre les nombreuses normes environnementales qui leur sont imposées depuis plus de 30 ans. Ce n’est pas à vous, lecteurs informés des réalités agricoles, qu’il faut rappeler tout ce qui a été mis en place ces dernières décennies pour diminuer l’usage et limiter l’impact des produits phytosanitaires : contrôle des pulvérisateurs, phytolicence, normes de remplissage et de nettoyages des pulvérisateurs, mises en place de zones de non traitement et de bandes tampons buses anti-dérives, agriculture de précision…

Non, les agriculteurs ne repoussent pas le débat de l’usage des produits phytosanitaires sans se remettre en question. Il y a quelques années, le Ministre régional de l’Environnement en fonction avait imaginé un projet de chemin (express !) vers une Wallonie zéro phytos, on s’en souvient. Comment avons-nous réagi ? En organisant le débat, précisément, et en rassemblant autour de ce questionnement, filière par filière, tous les acteurs concernés, de la production à la transformation.

A quelle conclusion en sommes-nous arrivés, toutes filières confondues ? Que nos filières ne sont pas demandeuses. Qu’en prenant la décision d’aller vers le zéro phyto, on met en danger notre agriculture wallonne. Qu’on prend le risque de voir nos transformateurs se tourner, plus qu’ils ne le font déjà, vers des productions étrangères.

L’agriculture biologique se développe, et c’est une bonne chose. Un peu plus de 12% de la surface agricole wallonne y est déjà consacrée. Mais comme pour les filières de transformation, la question clé est qu’il faut que la demande suive. Or, on constate que pour certaines de nos productions, la tension est déjà bien présente sur le marché, comme en viande bovine par exemple.

Par ailleurs, avant d’imposer des restrictions, il faut d’abord penser aux alternatives. Si l’on veut comparer avec une situation vécue par nos concitoyens dans leur vie quotidienne, on pourrait dire qu’on ne peut limiter trop strictement l’usage de la voiture tant que l’offre en transports en commun ne permettra pas de s’en passer. C’est pareil en agriculture ! Se passer de produits phytosanitaires, oui, pourquoi pas ? Nous savons tous, nous qui pratiquons l’agriculture, qu’ils sont chers et contraignants. Mais pas sans alternative ! Pas sans qu’on trouve un autre moyen de protéger nos cultures, ou autrement dit, de préserver notre revenu et la souveraineté alimentaire de nos concitoyens.

Rappelons-le, il est bien là l’enjeu : si l’on veut poursuivre sur le chemin vertueux que nous avons déjà emprunté depuis de nombreuses années, c’est en étant soutenu par une recherche agronomique qui se tient à nos côtés, et qui s’appuie sur une ferme volonté d’évoluer environnementalement, dans un contexte économique et social réaliste.

Pour conclure, il faut enfin rappeler dans quel paysage agricole nous nous trouvons en Wallonie. Celui d’une agriculture familiale qui lutte pour survivre et obtenir un revenu décent pour son travail, pour convaincre la jeune génération de reprendre le flambeau, une agriculture fortement encadrée par des normes d’une sévérité peu commune ailleurs dans le monde et qui assure bon an mal an, l’approvisionnement alimentaire de la population de sa région. Il faut en effet le redire, pas pour pleurnicher, mais simplement pour souligner le danger qui se cache derrière cette critique constante et trop souvent mal documentée, de nos pratiques : si notre agriculture s’affaiblit plus encore, si elle disparaît, que mangerons-nous ? Les analyses de l’AFSCA le montrent : 99% des productions agricoles que l’on trouve chez nous sont sans résidus… On ne peut en dire autant des productions importées.

Pensons-y et rappelons-le : nous devons continuer à évoluer, c’est vrai, et nous le ferons avec l’aide de la recherche. Mais nous devons aussi être fiers du chemin parcouru et de la capacité de nos fermes familiales à assurer leurs missions essentielles dans un contexte économique pourtant bien difficile !