La Commission européenne a présenté le 05 avril dernier son projet de révision de la directive de 2010 sur les émissions industrielles. Parmi les modifications proposées figure une importante extension du champ d’application de la directive vers les exploitations d’élevage. Tout élevage au-delà de 150 Unités Gros Bétail (UGB) serait désormais considéré comme élevage industriel et tomberait sous les obligations prévues par la directive. Les répercussions en termes de normes et d’alourdissement de la charge administrative et de la contrainte bureaucratique pourraient s’avérer très lourdes pour nos élevages aussi du fait que seul le nombre d’animaux est pris comme critère.

José Renard

 

La directive relative aux émissions industrielles (2010/75/UE, dite directive 'IED') fixe le cadre législatif applicable aux activités industrielles (et agricoles) pouvant être à l’origine de pollutions, en particulier la pollution atmosphérique. Selon son communiqué de presse, la Commission européenne a présenté une proposition visant la modernisation et le renforcement de la directive dans le cadre des objectifs du «Green deal» européen. Entre autres, la révision, proposée dans le cadre d'un paquet législatif sur les émissions polluantes, élargit le champ d'application de la directive pour couvrir davantage de grandes installations industrielles et de grandes exploitations d'élevage intensif.

La Commission européenne propose d'étendre le champ de la directive aux élevages bovins et d'abaisser les seuils pour le secteur porcin et avicole déjà couverts depuis 2010. Actuellement, les exploitations porcines possédant plus de 2 000 places (ou 750 truies) et aux élevages avicoles de plus de 40.000 emplacements tombent dans le champ d’application de la directive. Concrètement, les amendements proposés par la Commission pour le secteur agricole concernent un changement des seuils au-dessus desquels les élevages de porcs et de volailles sont considérés comme des agro-industries, ainsi que l’intégration des élevages bovins dans le champ d’application de la Directive IED.

Dans ses propositions, la Commission voudrait fixer une limite de 150 Unité Gros Bétail (UGB) à partir de laquelle les élevages porcins, volaille et bovins seraient soumis aux contraintes de la Directive IED. Seraient ainsi soumises à cette directive toutes les exploitations possédant des porcs et/ou des volailles et/ou des bovins pour un total de 150 UGB. Concrètement, des élevages de 150 UGB représentent des fermes de 10.714 poules pondeuses ou de 5.000 poulets de chair. Des élevages de 300 truies reproductrices ou de 500 porcs d’engraissement. Et des fermes familiales de 100 vaches et 80 jeunes bêtes, ce qui représentent la majorité des élevages laitiers et viandeux wallons. Toutes ces structures familiales gérées par une ou deux personnes seraient soumises aux mêmes obligations que des multinationales du secteur de la sidérurgie ou de l’industrie textile. De très nombreuses exploitations agricoles familiales entreront dans le champ d'application de cette directive et sont de facto classées par la Commission comme «installations agro-industrielles».

La révision aurait pour effet de multiplier par 10 le nombre d'exploitations bovines, porcines et avicoles soumises aux contraintes de la directive, ciblant les exploitations familiales catégorisées comme des "installations agro-industrielles". Ainsi que le souligne le COPA, «dans l'état actuel des choses, cette révision obligerait des milliers d'élevages familiaux à se conformer à un protocole d'émissions coûteux destiné avant tout aux grandes entreprises. Quelques jours seulement après les communications des institutions sur le besoin d'autonomie stratégique alimentaire de l'UE, ce protocole comptable, idéologique et déconnecté de la réalité agricole est ressentie par les éleveurs comme un coup dur porté dans toute l'Europe».

Le bien connu vice-président exécutif chargé du Pacte vert européen, Frans Timmermans, a tenu à préciser en conférence de presse que «ce n'est pas une proposition contre les éleveurs; elle concerne toutes les installations les plus polluantes». Et d'ajouter que les agriculteurs bénéficieront d'une procédure d'autorisation allégée, que la PAC les aidera et que la transition ne se fera pas du jour au lendemain. La mise en application aurait lieu au plus tôt en 2027, avec une période transitoire de deux ans pour les opérateurs, permettant à ces derniers de se préparer à la pleine application de la législation entre 2030 et 2034.

Peut-on vraiment y croire? De telles propositions vont gravement affecter les petites exploitations wallonnes et réellement mettre leur viabilité en question. L’analyse bénéfices/coûts de la Commission est complètement déconnectée des réalités du secteur agricole. Elle surestime les gains obtenus pour l’environnement en incorporant le secteur agricole dans la directive IED. A l’instar des objectifs chiffrés de la stratégie de «la ferme à la table», le seuil fixé de 150 UGB relève plus d’un arbitrage politique que d’une vision équilibrée et globale de la durabilité, traduisant une approche ultra-simpliste de la question. Les déclarations du Commissaire européen Janusz Wojciechowski, à l’issue du Conseil des Ministres de l’Agriculture de l’UE du 07 avril, nous laissent pantois concernant ce seuil et viennent confirmer son caractère politique: «Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’ai demandé d’augmenter le seuil minimal de 100 à 150 UGB. Ce qui signifie que le nombre d’exploitations et d’élevages concernés a été réduit de moitié. L’on est passé de 160.000 à 80.000 exploitations dans l’UE».

Bien plus que ce seuil démagogique, c’est le fait de se voir qualifier «d’élevages agro-industriels», cet amalgame entre agriculture et industrie qui choque et révolte une majorité d’éleveurs. Comment ne pas partager la réaction très forte du ministre français de l’Agriculture, Julien Denormandie, qui parle «d’aberration et de non-sens». L’agriculture n’est responsable que de 12,2% des émissions de GES en Belgique. Par contre, l’industrie représente 29,5% des émissions belges de GES, le transport routier 24,1% et le résidentiel 16,2%. N’est-ce pas se tromper de cible que d’encore une fois cibler le secteur agricole qui fait déjà énormément d’efforts afin de réduire ses émissions de polluants? Les agriculteurs wallons mettent quotidiennement en place des actions pour limiter leurs émissions polluantes. De plus, l’ensemble des agriculteurs wallons sont déjà contraints par différents décrets réduisant déjà les sources de pollutions sur les exploitations (directive Sol, directive nitrates, décret permis d’environnement). Une fois encore, ces efforts ne sont pas reconnus et sont passés sous silence.

Le niveau élevé des normes et standards européens conjugué au savoir-faire de nos agriculteurs permet à l’agriculture européenne d’assurer cette double performance d’être la moins polluante de la planète et d’assurer à pratiquement 500 millions de consommateurs un approvisionnement alimentaire stable avec un très haut standard de qualité. Il est dès lors tout à fait inacceptable et incohérent de vouloir imposer de nouvelles contraintes législatives au secteur agricole, alors que les accords commerciaux bilatéraux qui autorisent l’importation de viande de pays tiers issue d’animaux élevés dans des feedlots de 30.000 bovins et où l’usage d’hormones de croissance est tout à fait autorisé, continuent d’être négociés.

Sur le plan économique, les coûts additionnels engendrés par l’application de l’IED seront colossaux pour des petites structures telles que la majorité des fermes wallonnes, qui risquent de tomber sous le joug de cette nouvelle proposition. La mise en œuvre de cette directive pour les élevages déjà concernés coûte des milliers d’euros par an en dossier de demande de permis et frais de rapportage et d’enregistrement des émissions.

Enfin, à un moment où le renforcement de la complémentarité entre agriculture et élevage est mis en avant comme promotion de l’économie circulaire et comme source de fixation de carbone dans les sols, cette proposition soulève des questions sur la cohérence globale de l'approche de la Commission européenne en ce qui concerne le bétail de l'UE. Il y a quelques semaines à peine, cette même Commission affirmait dans son plan d’action REPower EU que l'élevage a un rôle crucial à jouer dans le développement d'un secteur énergétique européen résilient et indépendant. Et maintenant, elle vient avec une proposition qui risque de mettre à mal à la fois les exploitations d'élevage existantes, en particulier les exploitations à taille humaine et familiale et d’hypothéquer sérieusement les projets à venir. Cherchez la cohérence! Le futur de notre agriculture ne peut en aucun cas s’envisager dans cette espèce de jeu des 7 erreurs.

Avec ses collègues européens, la Fédération Wallonne de l’Agriculture attend des co-législateurs, membres du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne qu’ils révisent en profondeur cette proposition de directive aux effets si néfastes et qu’ils y remettent un minimum de bon sens. Nous appelons la Commission européenne à la raison, à revenir les pieds sur terre et à se reconnecter aux réalités du monde agricole. Il en est plus que temps.