Il y a un mois, en pleine période de ralentissement estival, la Commission européenne publiait, avec une communication réduite au strict minimum, un rapport technique réalisé par le Centre commun de recherches de l’Union européenne (CCR) pour mesurer les effets d’une mise en œuvre ambitieuse de certains objectifs quantitatifs des stratégies « de la ferme à la fourchette" et en faveur de la biodiversité. L’étude a été menée en testant les objectifs grâce au modèle CAPRI (système de modélisation de l’impact régionalisé de la PAC). La grande discrétion qui entoure la publication de ce rapport et l’absence de réponse aussi bien de la Commission européenne que du CCR sont particulièrement interpellantes et ne peuvent que conduire à une impression de vouloir cacher voire enterrer les résultats de l’étude technique.

José Renard

J’aurais vraiment voulu pouvoir consacrer tout le présent édito aux quelques jours d’été enfin là qui ont permis de terminer la récolte des céréales, de rentrer les pailles et de réaliser une nouvelle coupe de fourrages dans de bonnes conditions. Soleil et chaleur enfin retrouvés ont présidé au déroulement de la Foire Agricole de Battice le week-end dernier renforçant ainsi le plaisir qui se lisait sur tous les visages de pouvoir à nouveau se rencontrer en vrai et pas derrière un écran d’ordinateur. Encore une fois, félicitations et respect au Conseil d’Administration de la Foire qui a pris le risque et la responsabilité d’organiser cette foire 2021 et grand bravo  à l’équipe de bénévoles qui en a permis le déroulement harmonieux. C’est une véritable réussite. Merci également aux différents services de la FWA pour notre stand pour la première fois sur la foire, merci pour leur présence et leur dynamisme dans l’accueil de tous les agriculteurs.

Malheureusement, cet enthousiasme annonciateur de rebond et de choses positives dont nous avons tous besoin après cette année et demie faite de crises sanitaire et climatique, est fortement tempéré par la sortie quasiment « en stoemelings » comme on dit à Bruxelles du rapport du Centre commun de recherches de l’Union européenne (CCR) perdu dans les méandres du site internet de la Commission.

Nous avons déjà parlé à de multiples reprises du Pacte vert pour l’Europe et des stratégies « de la Fermee à la fourchette » et en faveur de la biodiversité qui y sont liées et viendront peser sur les choix à prendre dans le plan stratégique de mise en œuvre de la future PAC réformée. A l’instar de nos collègues du COPA et de la Cogeca, la FWA partage l’objectif d’une transition vers des systèmes et méthodes de production plus durables. Mais la FWA rappelle aussi avec vigueur qu’il ne peut y avoir aucun développement agricole durable sans durabilité économique et sans revenu décent pour les agriculteurs.  Dans ce contexte, l’ensemble des organisations agricoles européennes a demandé à la Commission de mener une analyse d’impact exhaustive des différents objectifs et mesures proposés pour l’agriculture. À cet égard, les propos du Vice-président exécutif Frans Timmermans lors de ses rencontres avec le COPA sont loin d’être rassurants, renvoyant les études d’impact aux futures propositions législatives alors que les organisations professionnelles ont un besoin crucial de statistiques officielles et d’informations basées sur les faits pour pouvoir apprécier la pertinence réelle de l’approche adoptée par la Commission. En outre quand les orientations politiques seront prises, il sera trop tard car les propositions législatives formelles ne feront que les traduire en termes juridiques.

Or à ce jour, la Commission n’a publié aucune analyse d’impact exhaustive de ses stratégies «De la ferme à la fourchette » et en faveur de la biodiversité, laissant aux différentes parties prenantes le soin de présenter leurs premières analyses. À cet égard, il est à tout le moins piquant de constater que la première analyse d’impact connue est celle menée par le ministère américain à l’Agriculture.

En outre, les multiples précautions oratoires prises par les auteurs du rapport lors de sa discrète sortie viennent encore renforcer ce sentiment de chose cachée.  En effet ces auteurs précisent que « le rapport ne constitue pas une analyse d’impact en soi »  car leur travail basé sur « l’outil de modélisation CAPRI », présente de nombreuses limites : en particulier l’étude concerne uniquement quatre des objectifs des stratégies « De la ferme à la fourchette » et en faveur de la biodiversité et ce modèle ne prend pas en considération la totalité des autres politiques ayant un impact sur la transition.

Sans entrer dans les détails de l’étude, comme indiqué ci-dessus, elle analyse les effets de 4 objectifs inclus dans les stratégies « De la ferme à la fourchette » et biodiversité: baisse des phytosanitaires de 50% d’ici 2030, recul de 20% des engrais, augmentation des surfaces bio à 25% de la SAU et 10% d’infrastructures écologiques. L’impact de ces mesures est analysé selon trois scénarios. Rappelons au passage que nous avons très souvent souligné que l’ampleur de ces objectifs relevait plus de choix politiques que d’une approche basée sur des évidences scientifiques. 

Malgré toutes ces limites, ce rapport prédit d’emblée une diminution de la production allant de 5 à 15 % (selon le produit ou le scénario envisagé) et une augmentation de 10 % des coûts de production, chiffres qui ont donc été clairement sous-estimés auparavant. Toutes les productions seraient en recul en volume à l’horizon 2030, les plus affectées étant les productions carnées avec un recul jusqu’à 15% pour la volaille, le porc et le boeuf. Le secteur laitier perdrait plus de 10% de production, les céréales environ 13%.  Encore une fois, l’élevage serait le secteur le plus durement touché !

Un résultat qui n’est pas sans rappeler les simulations réalisées dès le début de l’année 2021 par le Département américain à l’Agriculture qui tablaient sur une réduction de 12% de la production européenne et une hausse de 17% des prix alimentaires. En résumé, l’étude du CCR prévoit que la stratégie de la Ferme à la fourchette et le plan biodiversité, accompagnés de la nouvelle PAC, conduisent à une baisse de production agricole européenne et à une hausse des importations et viennent ainsi confirmer les craintes exprimées par les organisations agricoles.

Par ailleurs, le rapport ne prend pas en considération les conséquences des effets cumulés d’autres mesures comme le renforcement des exigences en matière de bien-être animal. Et faut-il encore rappeler tous les dommages attendus des décisions sur le cadre budgétaire européen et la réduction en termes réels des moyens de la PAC ? Quelle est la rationalité d’affaiblir la souveraineté alimentaire européenne et la garantie de notre approvisionnement alimentaire alors que celles-ci constituent des enjeux stratégiques d’importance cruciale ?

Reconnaissons que le rapport prévoit effectivement des bénéfices environnementaux, notamment une diminution de 28,4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le meilleur des cas. Toutefois, il indique également que, quel que soit le scénario envisagé, plus de la moitié de ces gains sera contrebalancée par un volume équivalent d’émissions de gaz à effet de serre dans les pays tiers. Est-ce vraiment cela la durabilité de l’agriculture européenne voulue par le Pacte vert ? Il est tout à fait clair en tous cas qu’on y oublie les piliers sociaux et économiques, avec des répercussions des mesures envisagées sur les rendements et les volumes de production, les prix et les revenus qui sont clairement sous-estimées.

Encore une fois, une citation de Christiane Lambert présidente du COPA et de la FNSEA, résume parfaitement le non-sens de certaines orientations européennes « Une baisse de la production agricole de 10 à 15 %, est-ce raisonnable, si c’est pour importer ensuite du carbone émis ailleurs ? »  La FWA appelle vraiment les décideurs européens à remettre du bon sens (oserait-on parler de bon sens paysan ?) dans leurs décisions et à rendre le Pacte vert soutenable pour et par leurs propres agriculteurs. Une des premières actions devrait amener plus de cohérence entre les décisions environnementales et les stratégies commerciales. Il est urgent de protéger les agriculteurs qui assurent cette transition voulue par tous, en exigeant des produits importés qu’ils répondent aux mêmes normes qu’on nous demande de respecter !