Impossible de faire autrement !

Depuis cinq ans, Pierre Philippe, agriculteur à Gerpinnes, a clôturé les 3km de berges le long du Saint-Pierre, ce petit cours d’eau qui serpente ses prairies. Mais l’agriculteur n’en démord pas: «Je laisserai un point d’accès pour le bétail s’abreuver et aller de part et d’autre de ma prairie! C’est impossible de faire autrement».  

Ronald Pirlot

 

Le poids des années a beau avoir endolori ses articulations, Pierre Philippe n’en reste pas moins un agriculteur passionné du haut de ses 72 printemps. La ferme familiale, sise en bordure du village de Gerpinnes, s’apparente à un havre de paix entouré de prairies serpentées par le Saint-Pierre. Un petit ruisseau local qui donne son nom à l’une des marches qui fait la renommée du patelin. Et qui s’avère par la même occasion source de réjouissances pour l’agriculteur, fidèle marcheur s’il en est avec 68 participations au compteur!

Clôturé depuis 5 ans

Mais pour l’heure, le ruisseau s’apparente davantage à une source de tracas que de réjouissances. En cause, l’obligation de clôturer les berges des sections qui traversent les parcelles pâturées par le bétail. «Je ne conteste absolument pas la mesure. D’ailleurs, sachant qu’elle serait inéluctable, je l’ai déjà anticipée en la réalisant voici cinq ans, à une période où l’on pouvait obtenir des subsides pour les aménagements. C’est ainsi que j’ai procédé à l’installation d’une clôture électrique de chaque côté du cours d’eau» précise Pierre Philippe. Soit sur une distance totale de plus de 3km qu’il lui faut chaque année entretenir. Ce qui, soit dit en passant, n’est pas une mince affaire le long des bois et des haies. «Là où je ne suis pas d’accord, c’est avec l’interdiction de laisser un point d’accès au cours d’eau pour permettre au bétail de s’abreuver!» fulmine l’agriculteur. Lequel a testé la pompe à museau comme alternative pour désaltérer ses bêtes. «Le filtre est sans arrêt obstrué» déplore Pierre.

Cela fait 5 ans que Pierre Philippe a clôturé les berges du Saint-Pierre, preuve qu’il est de bonne composition
Cela fait 5 ans que Pierre Philippe a clôturé les berges du Saint-Pierre, preuve qu’il est de bonne composition

 

Point d’eau et gué

Sans compter que ce point d’accès sert de gué historique pour rejoindre l’autre partie de la prairie. «Vous imaginez que, pour aller de l’autre côté du ruisseau, il me faut construire un pont sur pilotis ou déplacer à chaque fois mes bêtes avec une bétaillère! Mais où va-t-on?» s’exclame l’agriculteur. Un problème encore plus criant dans une autre prairie où l’agriculteur nous emmène. «Ici, le ruisseau se trouve à 2m en contrebas du niveau du sol. Auparavant, il y avait 3 gués naturels. Je n’en ai gardé qu’un seul. Mais sans cela, impossible de rejoindre l’autre partie de la prairie car elle est enclavée entre des bois et des terres qui ne m’appartiennent pas! Ce serait 2Ha qui deviendraient ainsi inaccessibles».

Pour l’agriculteur, sa bonne volonté affichée avec la clôture des berges et ses démarches entreprises en faveur de la biodiversité (voir ci-après) font désormais face à une ineptie. «Et je n’entends pas céder! Ce gué de 4m restera ouvert pour les bêtes aller s’abreuver et rejoindre l’autre partie de la prairie».

Si l’adage veut que les voies du seigneur soient impénétrables, la voie du Saint-Pierre, à Gerpinnes, le restera!

L’entretien des clôtures se révèle, dans certaines configurations, fastidieuses
L’entretien des clôtures se révèle, dans certaines configurations, fastidieuses

 

Au temps où les poissons cohabitaient avec les vaches!

Moult exemples à l’appui, l’agriculteur de Gerpinnes montre son affection pour la défense de l’environnement et de la biodiversité. Au-delà de l’entretien au cordeau des abords du chemin d’accès à la ferme, l’intéressé nous propose une visite du propriétaire. «Là, nous avons planté un verger hautes tiges. Et là, après les inondations, nous avons replanté une haie le long du cours d’eau. Quant à ces anciennes haies, nous les avons toujours maintenues, à une époque où la tendance était plutôt à l’arrachage. De même, nous avons préservé cette zone humide en bordure d’une prairie». Moment que choisit une aigrette pour s’envoler, comme si elle voulait déclarer, devant témoin, toute sa gratitude au fermier particulièrement attentif à la préservation du cadre naturel.

L’agriculteur n’en démord cependant pas: il laissera libre ce point d’accès à l’eau, également gué pour rejoindre l’autre partie de la prairie
L’agriculteur n’en démord cependant pas: il laissera libre ce point d’accès à l’eau, également gué pour rejoindre l’autre partie de la prairie

«D’un point de vue écologique, on exagère!» 

«Mais ici, il y a clairement, selon moi, de l’exagération écologique» fulmine l’agriculteur, dont les souvenirs le ramènent à sa prime jeunesse. «Je me souviens qu’à l’époque, il y avait des poissons dans le Saint-Pierre. Et la cohabitation ne posait pas de problème avec les vaches qui pâturaient dans les prairies et pouvaient accéder à leur guise au ruisseau. Ce ne sont pas elles qui ont détérioré la qualité de l’eau» pointe l’agriculteur, le regard tourné vers la poussée immobilière sur les terrains surplombant le cours d’eau, à une époque où les eaux usées, indique-t-il, ne faisaient pas l’objet de la même attention qu’aujourd’hui.

Par ces propos, l’agriculteur n’entend pas se dédouaner d’un quelconque écot à apporter par la profession à la cause environnementale, juste le souhait de remettre l’église au milieu du village. Pour arrêter de faire continuellement porter la responsabilité de tous les maux sur l’élevage! À commencer par la disparition des… poissons du cours d’eau.

Sans ce gué, ce sont 2 hectares de prairie qui deviennent inaccessibles
Sans ce gué, ce sont 2 hectares de prairie qui deviennent inaccessibles

 

Facture salée avec 4.000€ de clôture, l’entretien et la perte de superficie

Avec plus de 3km de berges (les deux côtés confondus), Pierre Philippe s’est retrouvé avec une note salée. «Comptez 700 piquets de bois à 5€ le piquet, ça fait 3.500€. Ajoutez-y du fil à 50€ les 500m, les isolateurs pour environ 200€, la pile électrique à 180€, plus la pile à changer tous les ans». Le calcul est vite fait. «Sans compter les heures d’entretien avec des parties envahies par les ronces, les buissons… Avant, quand les vaches pouvaient y accéder, elles procédaient en quelque sorte au nettoyage des bandes. Désormais, ce sont des journées à devoir débroussailler».

À ces coûts s’ajoutent le manque à gagner des bordures non-exploitées. «Si je fais le compte avec les 3km de berges, cela fait 70 ares de perdu. Ces terrains avec cours d’eau possédaient jadis une plus-value. Désormais, c’est devenu une tare. Alors, que nos décideurs soient cohérents jusqu’au bout et diminuent le revenu cadastral de la valeur du terrain. Pour quelqu’un au forfait comme moi, ce serait nettement plus logique!»

Pierre Philippe a multiplié les aménagements pour la biodiversité. «Mais avec l’interdiction d’un point d’accès à l’eau, on exagère »
Pierre Philippe a multiplié les aménagements pour la biodiversité. «Mais avec l’interdiction d’un point d’accès à l’eau, on exagère »

 

Témoignages

«Il faut laisser un point d’accès à la rivière»

Julien Maréchal, agriculteur à Tenneville

Julien Maréchal

«J’ai déjà clôturé une partie des berges qui traversent mes parcelles pâturées, mais j’attends avant de faire le reste qu’une position définitive soit prise. Par position définitive, j’entends de savoir s’ils vont rencontrer notre demande de laisser un point d’accès de 3-4 mètres de large et de 2 mètres dans le ruisseau, car les solutions alternatives ne nous conviennent pas. Nous avons regardé pour installer une pompe à eau. Mais il suffit qu’une crasse se place dans le filtre pour que les bêtes soient totalement privées d’eau. Avec les chaleurs estivales de ces dernières années, imaginez les dégâts que cela peut engendrer! De plus, nous obliger à pomper de l’eau dans les nappes phréatiques alors qu’il y a de l’eau de ruissellement à disposition à quelques mètres s’avère un non-sens. Franchement, où serait l’avantage écologique? De même, ils ne nous permettent pas de faire un gué avec des tuyaux de canalisation car, m’ont-ils dit, ils ont peur que des branches viennent s’y accumuler et créent des inondations. Et leurs castors alors? Et les ragondins dont les excréments altèrent la qualité de l’eau? Il faut absolument que la raison revienne car s’ils ne changent pas leur fusil d’épaule, ils vont dégoûter plus d’un éleveur à continuer leur activité professionnelle. Alors que le nombre de bovins est déjà en nette diminution… Nous avons envoyé un mail à la Ministre Tellier en ce sens. À ce jour, nous avons reçu un accusé de réception accompagné d’un mot indiquant que la réflexion se poursuit. L’espoir demeure…»

«6 km, qu’il me faudrait reclôturer tous les 2 ans!»

Yves Zacharie, agriculteur à Chiny

«La situation est simple: j’ai 6km de berges à clôturer! Je veux bien le faire, mais avec les crues de la Semois telles que nous les connaissons et qui rabotent chaque fois un peu plus les berges, on devrait réinstaller la clôture tous les 2 ans! Des berges qui, soit dit en passant, ne sont aucunement fragilisées par les vaches, mais bien par les castors et les rats d’eau qui pullulent en toute impunité. De même, dire que ce sont les vaches qui polluent est scandaleux, sachant que les eaux usées des villages aux alentours sont directement rejetées à la rivière, faute de station d’épuration».

Pour Yves, une autre difficulté d’importance se pose : «Depuis plusieurs générations et jusqu’à présent, les vaches vont boire dans trois abreuvoirs naturels, à même la rivière. Si je ne peux plus le faire, je devrai apporter quotidiennement 20.000 litres d’eau à 5 ou 6 places différentes! C’est quasi impossible. Sans compter qu’au vu de la taille du château d’eau local, si nous prenons cette quantité d’eau sur la conduite, les villageois vont se retrouver à sec. Autant dire que l’on risque une fois de plus d’être stigmatisé». Et Yves de se demander si ce n’est pas justement l’objectif. «Il y a quand même clairement une volonté de cibler l’élevage. Pourtant, si l’on y regarde bien, on fait vivre un tas de gens!»