Le projet du Gal «Agriculture et Biodiversité» du Parc naturel Burdinale-Mehaigne, point de rencontre entre la Hesbaye liégeoise et la vallée de la Meuse, bénéficie d’un large réseau d’agriculteurs actifs dans la préservation de la nature. Jacques Anciaux est l’un d’entre eux. Il vient de mettre au point une barre d’effarouchement destinée à équiper les tracteurs lors des travaux de fauche des fourrages et bandes enherbées, mais aussi lors de la destruction des couverts hivernaux. Autant d’opérations qui constituent souvent un piège mortel pour les petits habitants des champs. Installée sur le relevage avant de la machine, cet outil, qui s’inscrit dans une logique de développement durable, est dédié à la préservation de la faune sauvage et de la richesse des plaines agricoles wallonnes. Une démarche, mais aussi beaucoup d’autres, qui tend à faire coïncider agriculture et nature, productivité et biodiversité. 

Marie-France Vienne

Sur l’exploitation de 78ha à Héron qu’il a entièrement reprise en 2000, Jacques Anciaux s’est lancé dans les MAE dès 1999 avant d’arrêter le labour en 2003 puis l’élevage de Blanc-Bleu-Belge voici deux ans.

Partenariat entre les agriculteurs et le Parc naturel

Il fait partie de ces agriculteurs qui sont soucieux du respect de la faune et de la flore. Entre eux et le personnel du Parc naturel, le courant passe bien, notamment avec Hadrien Gaullet, chargé de mission sur le projet GAL «Agriculture et Biodiversité», lancé en mai 2017 et financé par les fonds européens Leader, qui vise à préserver la petite faune des plaines. C’est dans ce cadre qu’il travaille avec les acteurs du secteur agricole à la mise en place de MAEC et de mesures alternatives afin de protéger la biodiversité des champs. Il poursuit l’objectif de sensibiliser et de nouer un partenariat avec les quelque 150 agriculteurs répartis sur les communes de Braives, Burdinne, Héron et Wanze pour développer des aménagements sur le terrain. Aujourd’hui, déroule Hadrien Gaullet, 60 d’entre eux se sont investis dans cette démarche, dont Jacques Anciaux avec qui il a créé la barre d’effarouchement.

 

Un outil connu outre-Quiévrain

Alors que le Parc naturel était jusqu’alors essentiellement orienté sur des initiatives naturalistes, «Agriculture et Biodiversité» constitue le premier projet lancé à destination des agriculteurs. Il a rendu possible, malgré quelques réticences initiales, la création d’un lien avec le secteur agricole qui a permis de travailler sur différentes thématiques, telle que la réduction des produits phyto. Mais c’est à l’issue d’un atelier de réflexions organisé en novembre 2019 que Jacques Anciaux a relevé un défi spécifique, et s’est lancé dans la construction d’une barre d’effarouchement en se basant sur des photos et des vidéos. Car si cet outil est bien connu en France, il l’est beaucoup moins en Wallonie où aucun plan n’est encore disponible. Sa réalisation permettra donc de mettre un tutoriel à disposition des agriculteurs wallons désireux de se lancer dans ce projet, détaille Hadrien Gaullet. La barre d’effarouchement est désormais finalisée mais n’a pas encore été testée en période de gibier, explique Jacques Anciaux, qui s’est inspiré des modèles français pour élaborer son prototype qu’il a décidé de mettre gratuitement à la disposition de ses collègues agriculteurs.

 

Dents, chaînes, peignes et vibrations

Les cultures de fourrages et de CIPAN accueillent des animaux qui y logent leurs nichées. C’est le cas des perdrix, des faisans mais aussi des mammifères comme les lièvres, les chevreuils, qui face à la menace d’un prédateur ou d’une machine, adoptent un comportement de mimétisme en se fondant dans le milieu pour mieux s’y camoufler. Il est dès lors très compliqué, pour les agriculteurs, de les repérer, précise Hadrien Gaullet. La barre d’effarouchement, attelée à l’avant d’un tracteur se déplaçant à une vitesse inférieure ou égale à 12km/h, est constituée d’une barre horizontale garnie de dents, de chaines ou de peignes d’andaineur qui raclent le sol. Le bruit et la vibration qu’elles produisent dans le couvert effarouchent les animaux avant le passage de la machine, favorisant ainsi leur fuite. Si ce système ne permet pas de supprimer entièrement la mortalité de la faune, elle est à même de la réduire de 60%. Jacques Anciaux, qui a déjà utilisé son outil en janvier lors de la destruction de ses couverts hivernaux, espère que d’autres agriculteurs y auront recours. Pour l’heure, précise Hadrien Gaullet, qui peut non seulement apporter un appui technique au niveau des plans mais aussi un soutien financier, deux agriculteurs du Parc se sont d’ores et déjà manifestés pour en construire une.

 

Plots à alouettes

Outre ce projet, le Gal «Agriculture et Biodiversité» mène d’autres actions au niveau agricole comme la pose de nichoirs dans les parcelles ou encore le développement de MAEC. Les porteurs de projet ont également développé un catalogue de mesures innovantes pour préserver les oiseaux des plaines. Parmi celles-ci, le «plot à alouettes», oiseaux emblématiques des paysages agricoles, qui consiste à libérer un espace de 15m² dans les champs de céréales. L’alouette, explique Hadrien Gaullet, se nourrit d’insectes et de larves en été et de végétaux tels que des graines de renouées, des crucifères, des feuilles de céréales le reste de l’année. Elle réalise son nid au sol dans les céréales dès le mois d’avril et produit de deux à cinq oisillons par nichée. Des champs trop denses lui empêchent l’accès au sol, d’où l’idée, poursuit le chargé de mission, de libérer des pistes d’atterrissage afin de leur maintenir un accès à la terre pour trouver les insectes et larves dans les céréales. Pour optimiser leur efficacité, les plots sont installés à plus de 200m des éléments verticaux tels que poteaux, arbres, haies et hors des lignes de pulvérisations qui sont des couloirs à renards. La mesure, déroule Hadrien Gaullet, est très facile à mettre en œuvre et requiert peu de contraintes au niveau de l’itinéraire cultural.

 

Générations Terre

Mais le Gal «Agriculture et Biodiversité», c’est également un projet pilote lancé en 2019 par le Ministre René Collin, qui vise une diminution progressive de 30% puis de 50% à un horizon de 5 ans des pesticides en agriculture. A terme, explique Hadrien Gaullet, l’objectif serait d’arriver à une suppression totale de ces produits avec l’idée de développer des alternatives accompagnée d’une solution économique. Le travail est mené avec les agriculteurs, dont Jacques Anciaux, autour de l’agriculture de conservation. La force de cette démarche réside dans l’interconnexion des expériences menées par des agriculteurs innovants. Le projet englobe aussi une analyse de l’itinéraire cultural et une comparaison des stratégies en matière de phyto pour déterminer la stratégie idoine à la fois au niveau économique et environnemental. Cela concerne également la lutte auxiliaire et un atelier de construction de nichoirs à rapaces à destination de la buse variable ou du faucon crécerelle qui peuvent consommer jusqu’à 200 campagnols des champs par an.  

 

Non-labour, TCS, association de cultures 

La réduction du travail du sol favorise la multiplication des mulots dont les galeries ne sont pas perturbées, précise à cet égard Jacques Anciaux qui est désormais en non-labour depuis la multiplication des épisodes de sécheresse qui frappent le territoire wallon. Avec trois collègues réunis en Cuma sur Hannut, il s’oriente vers une simplification du travail du sol. Tous les trois envisagent d’ailleurs de semer leurs prochains couverts avec des semoirs à bandes. A condition de l’avoir respecté, moins le sol est travaillé, mieux il se porte, conclut Jacques Anciaux qui s’est par ailleurs aussi récemment lancé dans l’association de cultures. En même temps que son colza, il sème ainsi des féveroles, du trèfle blanc, du trèfle d’Alexandrie, du lin et du fénugrec dans le but de perturber les insectes dès l’automne pour éviter de recourir à un insecticide sur le colza. Une fois le colza récolté, détaille-il, le trèfle blanc se développe, moment où il sème alors du froment en semis direct avec un semoir à disques qui ne perturbe pas le sol.

 

Agriculture de conservation

L’agriculteur a également associé du froment et du pois protéagineux lui permettant de réduire de moitié l’apport en azote, de se passer d’insecticide et de raccourcisseurs. Jacques Anciaux s’intéresse enfin aux travaux menés par Greenotec, retrait des néonicotinoïdes oblige, sur la culture de betteraves associée pour lutter contre les pucerons. Leurs essais se sont concentrés sur l’association avec des féveroles semées en TCS, une orientation qui semble avoir un impact positif sur la présence d’auxiliaires, et ainsi, sur la réduction du nombre de pucerons. Mais pour Jacques Anciaux, l’agriculture de conservation a encore de beaux jours devant elle, tant ce champ est loin d’avoir été entièrement exploré. L’avenir est à nous, conclut-il…