Sous l’impulsion de l’Union européenne, le Gouvernement wallon a alloué une enveloppe budgétaire exceptionnelle de plus de 10,4 millions d’€ aux producteurs des secteurs agricoles wallon les plus en difficulté suite à l’invasion en Ukraine. Il s’agit des secteurs de la volaille (Bio et qualité différenciée), des caprins laitiers (Bio et conventionnel) et des porcs (qualité différenciée, Bio et conventionnel). Premier bilan après quelques mois de mise en œuvre.

Thomas Demonty

Pour rappel, cette aide est composée d’une enveloppe européenne et d’un co-financement de la Région wallonne. Les montants maximums d’intervention étant fixés dans une décision européenne.

Pour les secteurs conventionnels, ainsi que celui de la volaille dit alternatif (poules sortant à l’extérieur, poules plein air ou des poules au sol), l’obligation de respecter la conditionnalité et le verdissement était requise pour qu’ils soient considérés comme une activité de production éligible. Le contrôle du respect des règles du verdissement et de la conditionnalité s’effectuait donc a priori, c’est-à-dire que les agriculteurs auront droit à leur aide seulement dans le cas où ils respectent les conditions d’octroi de l’aide. Le paiement de cette aide ne requérait aucune action de la part des agriculteurs. L’Organisme Payeur de Wallonie (OPW) devait se charger de déterminer les agriculteurs concernés sur base des informations qu’il détenait.

Une notification préalable a été transmise aux bénéficiaires avec une estimation du montant total de l’aide ainsi que les modalités de recours éventuel dès le 4 août 2022. Ainsi, ce sont 893 notifications d’admissibilité et 95 de non-admissibilité qui ont été envoyées.

Conformément aux dispositions du règlement délégué de la Commission, toutes les aides ont dû être liquidées pour le 30 septembre 2022 au plus tard. 

Plusieurs situations problématiques 

Cependant, le 14 septembre 2022, pas moins de 170 recours avaient déjà été reçus à l’OPW. Ceux-ci avaient trait à: 

  • l’absence de déclaration d’un troupeau auprès de l’OPW de la part de l’agriculteur, notamment dans le secteur de la volaille ;
  • un recensement des caprins absent ou trop tardif ;
  • une prise en compte de la moyenne des visites vétérinaires pour les porcs, alors que certaines visites pouvaient se réaliser lors d’un vide sanitaire ;
  • un recours conditionnalité qui entrave l’admissibilité ;
  • un type d’hébergement des volailles non connu des services de l’administration ;

Au 30 septembre, ce sont 926 producteurs qui ont été payés. Malheureusement, au 12 octobre 2022, 99 recours étaient toujours en cours de traitement avec des issues différentes selon les situations personnelles (cf tableau). Pour certaines situations particulières, le Médiateur de la Région wallonne a été saisi. Certaines personnes ont également désiré demander conseil auprès d’un avocat.

La question de l'intégration

Certaines firmes d’intégration ont demandé aux éleveurs de bien vouloir leur céder l’entièreté ou une partie de cette aide. Suite à cela, le Ministre Borsus à envoyer un courrier aux éleveurs de porcs leur signifiant que cette aide leur était entièrement destinée. Selon le Ministre, il n’y a, sauf dispositions contraires dans le contrat qui lie l’éleveur à l’intégrateur, aucune base légale pouvant justifier la cession de cette aide à la firme d’intégration. Cependant, cette situation reste malheureusement problématique et source de conflit. La FWA ne peut que le regretter et tient à rappeler qu’elle n’est pas à l’origine de ce problème. La FWA n’a pas, non plus, vocation à intervenir dans une relation commerciale entre deux acteurs privés.

Y-a-t-il toujours une place pour l'élevage de porcs en Wallonie ? 

Si l’intérêt d’accorder une aide au secteur porcin dans le cadre de la crise économique liée à la guerre en Ukraine fait l’unanimité, là où cela pose question, c’est lorsque les destinataires de cette aide ont été déterminés par le Gouvernement Wallon. En effet, l’aide a été accordée au cochon gras, plutôt qu’à la truie, en dépit des avis rendus par les organisations professionnelles agricoles… Deux éleveurs porcins nous expliquent leur situation.

Olivia Leruth

Témoignages 

Benoît Renkens, éleveur-engraisseur indépendant en circuit fermé et Président du GT Porcs de la FWA, nous fait part de sa frustration.

«Le plus énervant, c’est que lors de notre discussion en GT Porcs, nous étions tous d’accord, éleveurs comme engraisseurs, pour que l’aide puisse aller plutôt vers le secteur de l’élevage de porcs plutôt que vers celui de l’engraissement à la commission. Sans élevage, il n’y a plus de secteurs porcs en Wallonie! C’est pour ça que nous étions tous partisans d’une indemnisation à la truie plutôt qu’au porc gras, y compris les engraisseurs qui étaient également autour de la table. Car pour eux, même si l’électricité a bien sûr augmenté, les risques sont plus calculés. Malheureusement, la position de la FWA n’a pas été suivie, avec pour conséquence que l’aide accordée va (en partie) partir vers la Flandre. Même avec le courrier du ministre, je redoute que certaines pressions soient tout de même exercées. Du côté de l’élevage, ça devient vraiment compliqué. Personnellement, j’ai dû décider de réduire mon cheptel de 250 à 50 truies, et je ne sais pas encore si ça ne va pas tomber à 0. L’aide n’aurait sans doute pas changé le fond du problème, mais ça n’a certainement pas aidé».

Benoît Renkens
Benoît Renkens 

Bart Van den Abeele, éleveur-engraisseur du côté d’Aubel, lui, n’a même pas eu droit à cette aide. Il nous explique son incompréhension et son questionnement sur la volonté du Gouvernement Wallon de maintenir l’élevage en Wallonie.  

«Quand j’ai quitté la Flandre pour venir m’installer en Wallonie c’était pour pouvoir travailler en circuit ultra-court : nos étables sont toutes situées à proximité directe de l’abattoir d’Aubel, nos porcs parcourent moins de 20 kilomètres avant d’être abattus. Lorsqu’une aide a été accordée pour la situation liée au covid, nous n’y avons pas eu droit pour une grosse partie de nos truies car nous dépassions le seuil de 200 bêtes. Je m’étais déjà adressé au Gouvernement Wallon car je vivais cela comme de la discrimination. Aujourd’hui, ils ont utilisé le prétexte d’une petite erreur dans les calculs de lisier, on parle de 370 ou 390 unités d’azote sur les 15.000 que nous devons évacuer, pour nous refuser l’accès à l’aide pour notre partie élevage. Pour moi tout cela manque de logique, nous manquons de lisier en Wallonie, et pourtant le gouvernement semble favoriser des systèmes dans lesquels les porcs naissent en Flandre et parcourent des centaines de kilomètres plutôt que de favoriser les circuits courts. Certes, nous sommes un élevage qu’ils qualifient d’industriel, mais bien que j’aime beaucoup le Bio et les systèmes de qualité différenciée, on voit bien qu’en cas de crise comme nous en connaissons aujourd’hui, les consommateurs, ce qu’ils veulent, c’est du porc bon marché. Reste à savoir ce que le gouvernement wallon veut garder comme élevage chez nous. Pour ma part en tout cas, nous songeons de plus en plus à arrêter l’élevage pour passer au système d’intégration. C’est dommage et frustrant, mais je ne me sens pas soutenu par les autorités, malgré le soutien constant que je reçois de mes collègues et voisins wallons.»