L’AG a connu un moment d’intense émotion lors du duplex établi avec Mariia Dudikh en direct de Kiev. La directrice du Forum national agraire ukrainien (UNAF) a témoigné de la situation agricole de son pays, des besoins et des perspectives. Une lueur d’espoir marquée du sceau de la combativité dans un contexte de ténèbres.

Ronald Pirlot

 

La voix combative malgré une fatigue physiquement perceptible, Mariia Dudikh a témoigné en direct de Kiev de la situation agricole que vivait son pays suite à l’invasion russe. Un témoignage émouvant de la directrice de l’UNAF, cette organisation rassemblant 6 unions agricoles et représentant 50% de la production agricole ukrainienne. 

«Malgré la guerre et malgré certaines difficultés climatiques, la campagne de semis est en cours. Nous prévoyons que le semis se fera sur 70% du territoire agricole. La guerre impacte fortement notre fonctionnement, mais nos agriculteurs continuent à travailler la nuit et le jour, parfois dans des conditions extrêmement difficiles et dangereuses».

 

Problème prioritaire: le carburant!

Des agriculteurs qui doivent composer avec d’importants problèmes de logistique. Notamment au niveau des transports et des ravitaillements. «Notre besoin crucial concerne le carburant, parce que celui-ci est bien évidemment utilisée prioritairement à des fins militaires par l’armée. Et les agriculteurs rechignent à stocker beaucoup de carburants chez eux au vu de la dangerosité que cela représente, les entrepôts étant ciblés par les Russes. De sorte qu’une majorité d’agriculteurs questionnés indiquent avoir une autonomie d’une semaine tout au plus», témoigne Mariia Dudikh.

Dans certaines zones du pays, l’absence de carburant ou de transport a causé des problèmes au niveau de la fourniture des semences et des engrais. «Mais encore une fois, on a réussi à trouver des solutions, de nombreux fermiers ayant pu anticiper leurs achats d’engrais. Et cela fonctionne plus ou moins bien». Ce sens de l’anticipation et de la débrouillardise ne pourra toutefois pas, selon Mariia Dudikh, contrecarrer complètement une baisse attendue des rendements. 

 

Ports bloqués, le salut par le rail?

Par ailleurs, un certain nombre d’agriculteurs ont bouleversé leurs plans, remplaçant les cultures de maïs par du tournesol et du soja. L’explication est toute simple, selon Mariia: vu les problèmes de transport (et notamment d’exportation en raison de la fermeture des ports), les fermiers sont davantage intéressés par des productions moindres en termes de volume de production à l’hectare, mais avec une rentabilité économique accrue.

Il convient en effet de savoir que plus de 95% des exportations ukrainiennes transitaient par les ports. La Russie en a fait un objectif prioritaire. De sorte que ces ports sont fermés et que les voies maritimes sont minées. «Nous disposons de stocks, mais comment les exporter? Aujourd’hui, nous commençons à recourir aux chemins de fer, mais les infrastructures ferroviaires ne sont pas suffisantes pour assurer les besoins du secteur agricole et en même temps transporter les passagers, l’aide humanitaire… Sans compter qu’il existe également des différences dans les largeurs de rails aux frontières qui imposent de transvaser toutes les marchandises d’un train à un autre. Tout cela engendre des files d’attente très importantes qui nous empêchent d’exporter nos stocks».

Les autorités sont en quête de solutions. L’une d’elles mène au transport routier. Une autre à la simplification des procédures aux frontières. «Des accords en ce sens ont déjà été conclus avec la Hongrie, la Roumanie, la Moldavie», ajoute Mariia. «Nous envisageons également la construction d’une ligne ferroviaire avec la Lituanie pour accéder à leurs ports et pouvoir acheminer la production par voie maritime».

 

Besoins financiers

En matière d’élevage, Mariia indique que des fermes sont entièrement détruites. D’autres ont été obligées de cesser leurs activités faute d’aliments pour nourrir les animaux, d’autres ont volontairement réduit leur production laitière car il n’était plus possible de commercialiser le lait. «Là où les exploitations (laitières, volailles…) sont toujours possibles, il y a actuellement un besoin des soins vétérinaires, de vaccins...», précise Mariia.

Au-delà de ces nécessités matérielles, il y a un besoin financier car les petites exploitations (à l’échelle de l’Ukraine, c’est jusqu’à 150Ha) n’ont plus accès aux crédits pour financer leurs semis. Or, l’importation des produits de l’étranger est non seulement longue, mais également coûteuse. «J’ai appris que l’acheminement de 1kg d’aide humanitaire coûte 3€! D’où notre demande: si vous souhaitez nous aider, il est préférable de nous soutenir financièrement et d’ainsi nous permettre d’acheter nos produits directement en Ukraine, lorsque c’est possible». Et Mariaa de conclure, sous des applaudissements nourris, que venant à Bruxelles cette semaine, elle est prête à rencontrer quiconque le souhaite pour discuter des initiatives à mettre en place.

«Au niveau de la FWA, avec le Copa, nous avons lancé diverses actions auprès de nos producteurs. Et nous continuerons tant pour ton peuple qui vit une crise humaine horrible, que pour tes agriculteurs à faire passer les messages et à faire de notre mieux. Je ne peux t’envoyer, au nom des agriculteurs wallons, toute notre amitié, du courage et, si j’ose le dire, le meilleur possible pour vous», lui a adressé Marianne Streel. «Merci et gloire à l’Ukraine», a conclu Mariia, au terme d’un échange particulièrement émouvant.