Ces derniers temps, à la lecture ou à l’audition de diverses interventions politiques ou d’ONG, mon sang n’a fait qu’un tour! Les «lobbys» tentent d’influencer la PAC, entend-t-on à tout bout de champ. Mais qu’est-ce qu’un lobby, finalement? Quel est son rôle? N'y aurait-il quelques nuances à apporter? Je vous invite à une petite réflexion à ce sujet.

 

Marianne Streel

 

Les lobbys… j’ai fait l’exercice d’en chercher la définition. «Un lobby, ou groupe d'intérêt, groupe de pression, groupe d'influence, est un groupe de personnes créé pour promouvoir et défendre des intérêts, privés, en exerçant des pressions ou une influence sur des personnes ou des institutions publiques détentrices de pouvoir

Parmi les exemples de lobby, les syndicats, dont la FWA fait partie, donc. Car même si elle représente des indépendants, des entrepreneurs, ce n’en sont pas moins des travailleurs.

Je ne peux m’empêcher de me demander comment, en quelques années, l’activité essentielle qui vise à défendre les intérêts d’un secteur, d’examiner le cadre légal qui l’entoure, et de s’assurer qu’il corresponde aux réalités vécues par les travailleurs de ce secteur, s’est retrouvée qualifiée de «lobby». Le terme est loin d’être neutre! Un lobby, pour beaucoup d’entre-nous, évoque l’idée d’un groupe défendant des intérêts économiques d’une entreprise ou d’un secteur, dans une relative discrétion, dans le but de d’influencer les responsables politiques. Pire, pour beaucoup, l’idée rappelle les heures noires que nous avons connues dans notre histoire, où certaines entreprises tentaient d’influencer la décision politique par des petits avantages en nature, dont nous espérons tous qu’il ne peut plus être question aujourd’hui.

Bref, je m’interroge… A quel moment l’activité d’un syndicat, qui défend en toute transparence l’intérêt de ses membres, en communiquant très clairement sur ses revendications peut-il être «amalgamé» avec les pratiques décrites ci-dessus?

Et surtout, pourquoi instille-t-on cet amalgame dans l’esprit de nos concitoyens?

Derrière cette stratégie, j’ai bien peur qu’il y ait une volonté de discréditer le travail syndical, qui est notre quotidien et notre engagement premier vis-à-vis de nos membres. Je trouve cette technique surprenante car, à mon sens, l’existence d’organisations représentatives de nos secteurs et de leurs travailleurs est un contre-pouvoir essentiel dans une démocratie équilibrée.

Depuis quelques semaines, je constate avec tristesse et effarement un certain acharnement sur notre agriculture wallonne. Quand une étude scientifique nous explique que le sang de 100% de nos nouveau-nés présente des traces de plomb, voilà qu’on commente avant tout les traces de glyphosate retrouvées chez un quart de nos adolescents. Entendons-nous bien, je ne dis pas que ce chiffre ne mérite pas qu’on s’y intéresse… Au contraire, j’aimerais que l’on creuse cette question, et qu’on identifie clairement ce qui, dans le mode de vie de nos ados, explique ce résultat. Par contre, qu’on mette le coup de projecteur médiatique sur cet aspect, en omettant d’aborder le reste de l’étude, me semble relever de la stratégie plutôt que de la volonté d’informer objectivement!

Lorsqu’un président de parti francophone est interrogé sur une radio très écoutée, et qu’en matière de climat et de COP 26, il pointe la PAC comme priorité absolue… mon sentiment d’assister à la mise en place d’une stratégie se renforce. En effet, c’est assez difficile à comprendre, lorsqu’on voit que notre agriculture belge arrive à nourrir la population en produisant seulement 8% des gaz à effets de serre émis dans l’ensemble du pays. Pourquoi cette priorité absolue sur une réforme totale de notre modèle agricole, qui a réduit ses émissions de 19% en 30 ans, alors que le transport routier, lui, est en hausse constante (un quart de GES en plus sur ces 3 mêmes décennies)?

 

De mon point de vue de «lobbyiste» du secteur agricole (j’ironise!), je vais clarifier mes priorités. Oui, la FWA défend les intérêts du secteur agricole: c’est sa raison d’être, et nous ne nous en cachons pas, c’est un combat légitime, essentiel à nos familles agricoles, mais aussi à l’ensemble de notre société. Défendre notre secteur agricole wallon, c’est aussi agir pour la préservation de notre souveraineté alimentaire, et l’accès de nos concitoyens à une alimentation de qualité, produite localement.

En ce moment, la hausse du prix de l’énergie fait frémir de nombreux ménages, et on les comprend! Faut-il rappeler que cette situation est due en grande partie à notre dépendance énergétique? Veut-on en arriver là aussi, en matière d’alimentation?

Etre en mesure de nourrir sa population, c’est capital! La souveraineté alimentaire est un enjeu stratégique, vecteur de bien-être, de santé et de paix pour une nation. La perdre, c’est risquer aussi d’exporter la production de gaz à effet de serre. La gestion du problème climatique dépasse largement les frontières de notre petit royaume, et plus encore de la Wallonie. C’est un problème mondial. Et je le dis avec fierté, un kilo de viande, de blé, un litre de lait, produits chez nous, dans le cadre strict de nos législations, sera toujours meilleur pour notre planète qu’un steak argentin, qu’un blé américain ou qu’un lait néo-zélandais. Parce que nous produisons dans de meilleures conditions, d’une part, et qu’une production locale, c’est moins de kilomètres et d’énergie fossile.

Lors d’une conférence qui s’est tenue à la Commission européenne la semaine dernière sur «De la fourche à la fourchette», la plupart des intervenants soulignait que les objectifs de cette stratégie prenaient en compte les changements alimentaires qui ne manqueront pas d’intervenir chez les Européens. Vraiment? Lorsqu’on observe le secteur bio de beaucoup de pays d’Europe, on remarque déjà un décalage entre la demande, qui stagne, et l’offre, encouragée à se développer! Veut-on mettre ce secteur en difficulté? La situation économique de notre région n’est pas florissante, en cette période de covid et avec les inondations qui ont causé de tels dégâts que beaucoup peinent à s’en relever.

Je ne suis pas catastrophiste, lorsque j’évoque la crainte d’une perte de notre souveraineté alimentaire! Je suis préoccupée de voir qu’alors que cela devrait être une évidence depuis des années, certains n’ont toujours pas compris qu’une durabilité solide repose sur 3 piliers (environnemental, social et économique).

Nous avons déjà largement abordé les stratégies du Green deal, et les impacts potentiels qu’elles pourraient avoir sur notre agriculture, parmi lesquels une Europe importatrice nette de produits agricoles. 

Le Green Deal compte, parmi ses priorités, la nécessité de «ne laisser personne au bord du chemin». Je veux insister sur le fait que cette noble intention doit aussi concerner nos familles agricoles!

Nos familles agricoles, parlons-en… Peut-on examiner avec objectivité leur incroyable flexibilité? Leur capacité, au fil des ans et des objectifs changeants de la PAC, de toujours s’adapter à ce qu’on attend d’elles? Notre sécurité alimentaire, je dois bien le dire une fois encore, ne sera préservée que si notre agriculture familiale persiste dans ses missions. Bien sûr, nous devons encore évoluer, et nous le ferons! Mais avec un revenu atteignant péniblement 40% du revenu comparable, combien de temps pourrons-nous encore assurer? Les coûts de production augmentent violemment (énergie, engrais, alimentation animale), et nos marges s’écrasent.

C’est ça, le vrai sujet de préoccupation qui devrait concentrer l’attention de tous nos responsables politiques. Une agriculture exsangue ne pourra pas s’attaquer au défi climatique! Or nous voulons, et nous devons nous y attaquer!

Il y a presque deux ans, j’ai écrit un texte qui décrivait l’état d’une Wallonie «zéro agriculteurs». C’était une provocation, pour pousser à la réflexion ceux qui ne mesureraient pas les conséquences de leurs discours ou de leurs décisions.

Pour que ce texte reste une fiction, il est temps que nos responsables se réveillent, et voient enfin notre agriculture wallonne et les familles qui la font vivre pour ce qu’ils sont: des alliés du plus grand des combats que nous ayons eu à mener, celui de la lutte contre le changement climatique!