La pluie, le beau temps, l'arc-en-ciel

À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre l’homophobie du 17 mai, nous avons voulu lever le rideau sur un sujet rarement évoqué en ruralité : l’homosexualité. Puisque l’agriculture est avant tout une histoire d’amour, qu’est-ce qui empêcherait un agriculteur ou une agricultrice d’être gay ou lesbienne ? Ils ne sont pourtant pas légion, ces agriculteurs homosexuels... Alors, est-ce difficile d’assumer sa sexualité en agriculture ? Reportage au sein d’une profession qui vit de la pluie et du beau temps mais ne connait pourtant pas toujours les couleurs de l’arc-en-ciel.

Anne-Laure Michiels et Florian Mélon

Drapeau LGBT arc-en-ciel« C’est plus facile d’être homosexuel quand on est fils de danseur ou de dramaturge que quand on est fils d’agriculteur ». Les mots sont forts, lourds de sens, ils dressent le portrait d’un milieu qui, à l’image de son agriculture, est en pleine transition et où l’homosexualité a longtemps été taboue. Là, dans nos campagnes et nos villages, on ne connaît pas toujours cette « autre » sexualité, cet amour qu’on voit parfois à la télé mais rarement dans les prés.

Mais pourquoi serait-il plus compliqué de s’assumer gay ou lesbienne quand on est agriculteur ou agricultrice ? Nous avons posé la question à des agriculteurs, à des personnes de la communauté LGBT et à des ruraux. Des demandes souvent restées sans réponse, preuve que le sujet reste sensible, mais qui ont apporté leur lot de belles rencontres, de découvertes et de belles paroles, comme celle-ci, lâchée au détour d’une interview : « Être homosexuel, ce n’est pas une maladie, c’est un choix du cœur ! »

« Qu’est-ce que les voisins vont dire ? »

Faire son coming out, c’est un acte fondateur importantissime pour de nombreux homosexuels, un processus très personnel et intime pour la personne qui le traverse. Il permet de pouvoir se trouver soi-même, de savoir qui on est réellement en tant que personne, y compris sexuellement. Mais le coming out, c’est aussi le fait de se confronter aux autres et de savoir assumer sa « différence », c’est donc quelque chose qui peut être extrêmement difficile à vivre dans un milieu où l’anonymat n’existe pas, ou si peu. « Dans un village, tout le monde se connaît, tout se sait très vite, nous dit Céline Billion, la coordinatrice de la Maison Arc-en-ciel de la province de Luxembourg. Si on est différent, tout le monde est au courant. C’est très difficile de se fondre dans la masse quand on sort de la norme sociétale. On dénote plus vite que dans une ville, c’est peut-être pour ça que de nombreux gays et lesbiennes partent dans des grandes villes, pour un temps ou pour y rester, afin de pouvoir assumer son identité dans un monde où tout se sait vitesse grand V. »

arc-en-ciel au-dessus des champs

Un avis que partage Etienne Deshoulières, le président du festival des Fiertés Rurales organisé en France. « En ruralité, les relations interpersonnelles peuvent avoir plus d’importance qu’en ville parce que la ville vous offre l’anonymat. Beaucoup de gens ne sont pas out* à la campagne à cause de cela… Mais aussi parce que le monde rural manque cruellement de représentation pour les personnes LGBT. Cela peut-être difficile de s’accepter quand on n’a pas de figure de référence, de preuve qu’on peut être soi-même tout en étant rural ou agriculteur. Il y a pourtant, contrairement à ce qu’on croit souvent, moins d’homophobie à la campagne qu’à la ville ! »

« L’agriculture, ça reste un milieu très familial avec un schéma ultra-classique : un papa, une maman, des enfants »

Eric BlondiauEric est agriculteur. Sa ferme, il est la cinquième génération à y travailler. La dernière aussi, parce qu’il est gay et ne veut pas d’enfant. « Après moi, c’est fini… Mais je m’en fous », nous dit-il à demi sérieux. Parce qu’il sait que, si lui a pu assumer sa sexualité très tôt, beaucoup d’autres ne savent pas le faire car en agriculture, il faut transmettre sa ferme. « Ce n’était pas calculé mais j’ai fait mon coming out après la reprise de la ferme familiale. Est-ce que mes parents m’auraient transmis l’exploitation s’ils avaient su que j’étais gay avant ? Je ne sais pas… » C’est que, plus que dans d’autres milieux, l’agriculture est une histoire de famille. Avoir un enfant, c’est assurer la continuité de l’exploitation. Une pression familiale qui peut pousser des gays à ne pas s’assumer et à s’installer avec femme et enfants. « Sincèrement, je les plains. Ils ne sont pas à 100% heureux ». Lui, il est marié avec un homme et n’a pas d’enfant… Et pourtant il est heureux, souriant, fier d’être agriculteur et amoureux de cette ferme qu’il n’a jamais su quitter « sauf trois jours en 2002 ».

Comme Eric, Antoine (nom d’emprunt) pense que de nombreux gays n’ont pas (encore ?) osé franchir le pas. Lui, pourtant, n’a jamais eu aucun souci à être agriculteur et homosexuel. S’il avoue que la profession est peut-être moins gay friendly qu’ailleurs, ça ne l’empêche pas d’y être heureux tant personnellement que professionnellement. Il n’a d’ailleurs jamais eu à faire de coming out à proprement parler, tout s’est fait de manière naturelle, à son rythme… Au rythme de la campagne. Et s’il aurait voulu être activiste pour la cause homosexuelle, son emploi du temps ne le lui permet pas. Son truc à lui, c’est les légumes. Il les cultive sur ses terres pour ensuite les vendre dans son magasin à la ferme, où là aussi tout se passe bien. « Peut-être que ça en a dérangé certain mais je n’ai pas à me justifier, il n’y a rien d’anormal, je ne me sens ni anormal ni handicapé, je suis juste un agriculteur. » Et s’il reconnait le manque de représentativité du milieu LGBT en ruralité, pour Antoine, l’important, c’est de vivre pleinement. « Le modèle, c’est vous-même. Si vous vivez votre vie à vous, vous êtes bien avec vous-même. C’est peut-être ça le plus dur : s’accepter, s’assumer. Si on arrive à s’assumer, on peut tout faire ! »

« Les choses sont en train de changer dans toute la société »

On se plait à dire et à rappeler que l’agriculture wallonne est une agriculture en transition. Il en va de même pour les agriculteurs, ils ne sont pas comme leurs parents, et leurs enfants seront eux aussi différents. Cela concerne les techniques agricoles, les modèles, les outils mais aussi les mœurs, qui évoluent à grande vitesse. Les personnes que nous avons interviewées sont unanimes : les mentalités changent et la nouvelle génération est bien plus ouverte sur les questions de sexualité que ne l’était celle d’avant. C’est en partie grâce à Internet, qui permet justement de discuter et d’échanger sur ces questions mais aussi de se rencontrer malgré des distances souvent bien plus importantes qu’en ville.

« Il y a 50 ans, on n’aurait jamais vu un homosexuel à la télé et maintenant on a Drag Race, nous illustre Céline Billion, c’est la preuve que les mentalités changent et ça amène de nouveaux repères, ça va permettre de s’affirmer même à la campagne. » Même son de cloche chez Antoine, pour qui « les jeunes vont amener le changement. » Quant à Eric, il note une belle évolution des mentalités et pousse les gens à s’affirmer : « On ne va pas passer à côté de sa vie à cause du qu’en-dira-t-on ! »

Bien que l’homosexualité continue souvent de se vivre cachée dans le monde agricole, on sent que le vent du changement est en train de souffler sur un secteur toujours fortement hétéronormé. Et si la sexualité des autres continue d’animer les cafés de village, le tabou semble s’estomper de plus en plus. On en parle, on s’affirme, on vit sa vie d’agriculteur homosexuel. Parce que l’agriculture, au-delà d’être un métier, est une passion qui n’a rien à voir avec la sexualité de ceux qui la pratiquent. Et ça, il faut parfois savoir le dire.

 

Les Fiertés Rurales sont un événement festif organisé dans le petit village de Chenevelles, en France. Plus qu’une fête LGBT, c’est un événement rassembleur pour clamer sa fierté d’être fils et filles de la campagne. Il apporte de la représentativité et de l’ouverture au monde rural. Plus d’infos sur https://www.fiertes-rurales.org/

Festival fiertés rurales

Les Maisons Arc-en-ciel sont des associations LGBTQIA+ actives sur toute la Wallonie. Celle de Luxembourg se situe à Virton mais possède des antennes sur toute la province. Plus d’infos sur http://www.lgbt-lux.be/

* outer : action de faire son coming out, de révéler son homosexualité

À coeur ouvert 

Antoine (nom d’emprunt) : gay et agriculteur, et alors ?

Antoine est agriculteur. Il exerce son métier de cœur en cultivant des légumes qu’il commercialise en vente directe depuis le magasin de sa ferme. Rien de bien extraordinaire nous direz-vous. Pourtant, Antoine a la particularité d’être en couple avec un homme, quelque chose qui demeure jusqu’à présent hors de la norme dans le milieu agricole.

Être gay et agriculteur, et alors? C’est un peu la philosophie d’Antoine. Pour lui, pas de coming out au sens de la grande annonce que l’on peut lui connaître auprès de la famille et des proches. «J’avais 22 ans quand je me suis mis avec mon premier compagnon, avec qui je suis resté durant 7 ans. Je l’ai un peu imposé aux autres en étant avec mon compagnon à l’époque, c’était comme ça et voilà. Les gens s’en rendent compte d’eux-mêmes, parfois ils se détournent, mais ça ne change rien pour moi.» Pour notre interlocuteur, le principal n’est pas d’en faire une grande annonce mais de vivre en phase avec soi-même. Le milieu agricole n’a d’ailleurs présenté aucun obstacle particulier pour Antoine dans son épanouissement personnel : «quoi qu’on fasse, assumer qui on est et s’accepter supprime tous les obstacles qui se présentent à nous. En s’acceptant tel que l’on est, rien n’est impossible.»

arc en ciel parapluie

Si notre homme ne se cache pas, il reconnaît que le monde agricole ne regorge pas de repères LGBT. Antoine ne connaît d’ailleurs aucun autre agriculteur gay: «et Dieu sait si j’ai côtoyé le milieu gay quand j’étais jeune.» nous confie-t-il. Et de poursuivre:  «Nous ne sommes pas légion, ou en tout cas, ce n’est pas quelque chose qui passe très bien dans le milieu agricole. Cela reste un milieu très patriarcal, avec le schéma classique ‘papa, maman et les enfants’. Peut-être que le milieu est encore plus traditionnaliste que les autres. Ce que je veux dire, c’est qu’on est peu nombreux dans le milieu agricole alors que dans d’autres domaines, on l’est beaucoup plus. La profession n’est peut-être pas très gay-friendly.» 

Et s’il n’est pas activiste pour la cause LGBT, notre agriculteur remarque recevoir dans son magasin à la ferme un peu plus de clients LGBT qu’ailleurs, «même si je n’ai pas vraiment de point de comparaison. Sinon, je n’ai jamais eu de remarque ou de réaction des autres clients. Les rapports clients-commerçants sont assez neutres, professionnels. Peut-être que cela en a dérangé certain·e·s et que cela m’a fait perdre des clients mais j’ai envie de dire ‘tant pis’».

S’il avait un message à faire passer aux jeunes en quête d’identité, Antoine leur dirait «qu’il faut s’écouter soi-même, s’accepter pour vivre sa vie. Je trouve les évolutions de la société positives même si c’est sûr que les obscurantistes sont toujours présents. On reste marginalisés, après tout, les allemands nous déportaient pendant la guerre. Je connais pas mal de gens qui sont refoulés et vivent avec femme et enfants. Il n’y a pas vraiment de case dans laquelle il faut se ranger. Ce qui compte, c’est de savoir qui on est. Vivre caché? Ce n’est pas mon truc en tout cas. Les jeunes s’assument désormais, cela évolue de génération en génération. Ils vont amener le changement.»

Éric: pourquoi ne pas vivre sa vie ?

Eric Blondiau

C’est tout sourire qu’Éric, agriculteur à Soignies, nous a accueillis pour cette interview. Ému d’avoir été contacté, il nous confie trouver la démarche touchante et importante. Son exploitation, Éric l’a reprise de ses parents et de son oncle en 1995. Il est la 5e génération d’agriculteurs à occuper la ferme familiale. Une histoire somme toute banale dans le milieu agricole, si ce n’est qu’Éric est marié à son époux depuis maintenant 8 ans. «J’ai toujours été gay, aussi loin que je puisse m’en souvenir.»

Sur son exploitation, Éric élève ses vaches laitières avec beaucoup d’affection et elles le lui rendent bien, en témoignent les clichés de notre reportage. Au quotidien, Éric a le soutien de son mari qui lui donne un coup de main le matin avant d’aller travailler, mais aussi pendant ses congés. Il nous confie tout de même souhaiter de tout cœur avoir un repreneur sûr: «Je suis vraiment attaché à la ferme, c’est pour ça que j’aimerais avoir quelqu’un qui en fera quelque chose de bien, pour que tout le travail effectué sur la ferme durant toutes ces années ne serve pas à rien. Quand on passe une vie pour obtenir ce que l’on a, on n’a pas envie que cela disparaisse.»

Agriculteurs de père en fils, Éric est donc né dans le milieu. Néanmoins, il n’a pas rencontré l’amour en soirée FJA comme la majorité des jeunes agriculteurs. Son mari, il l’a rencontré sur Internet. «Pourtant, dans le milieu agricole, il y a aussi des homos. Regardez, dans ‘L’Amour est dans le Pré’, il y en a encore un cette année! Il y en a plus qu’on ne le pense, je crois. Je connais aussi un autre agriculteur qui devait l’être. Il est maintenant assez âgé mais il n’a jamais vécu son homosexualité, il fait sa vie et a vécu avec une femme.» Pour Éric, il est clair que le milieu agricole n’est pas le plus représenté au niveau LGBT. Et pourtant, il n’a jamais rencontré de réticences professionnelles à cause de son orientation: «Que ce soit avec les marchands de bêtes, les représentants de firmes, ou même des confrères agriculteurs, je n’ai jamais eu de problème.» Il souligne tout de même, malgré l’évolution des mentalités, le côté encore très traditionnel de l’agriculture: «c’est vrai que pour celui qui veut un successeur de génération en génération, l’homosexualité de son enfant va peut-être moins bien passer.»

Drapeau LGBT arc-en-cielSon coming out, Éric l’a fait dans sa jeunesse: «quand on est jeune, on fonce. On n’y réfléchit pas. Peut-être que si j’avais dû le faire plus tard, j’aurais réfléchi à deux fois. Quand on est plus âgé, on voit davantage le danger. Mais pourquoi ne pas vivre sa vie au final? En tout cas, on n’est pas à 100% heureux quand on ne vit pas en étant soi.» Aujourd’hui, Éric vit en étant lui-même, bien dans ses bottes. Son mariage a été célébré à l’hôtel de ville de Soignies par un de ses voisins qui y était échevin, «on a fait une fête comme tout le monde» sourit-il avant de poursuivre : «quelque part, c’est aussi une sécurité, une reconnaissance du fait que l’on est comme n’importe qui d’autre. Ça compte et c’est une bonne chose de pouvoir le faire.» Le message principal d’Éric pour les jeunes, peu importe leur orientation, c’est avant tout «vis ta vie».