Changement de rythme ?

Qu’on dise qu’il pleuve, qu’il drache ou qu’il flotte, qu’on parle d’averses, de giboulées ou de pluies printanières, une chose est sûre: les nuages et leurs torrents de gouttes ne nous ont pas vraiment épargnés depuis le début de l’année. Exceptionnelle, cette météo? Eh bien… À la fois oui et non. Car si on ne peut que constater un réel surplus de précipitations par rapport à la moyenne pluviométrique belge, on reste néanmoins dans la lignée des précipitations de ces dernières années. Alors, le ciel nous tomberait-il sur la tête ou notre météo a-t-elle simplement décidé de changer de rythme? Analyse avec Damien Rosillon, attaché scientifique auprès du CRA-W.

Florian Mélon

L’adage qui dit que «En Belgique, le ciel est toujours pleut» se vérifie maintenant depuis de longs mois. Depuis début octobre, pour être précis. C’est à cette date que commencent les relevés qui nous intéressent ici. Pour la station de Libramont par exemple, les précipitations s’élèvent à 885 mm, ce qui représente un surplus de 38% par rapport aux précipitations attendues (640 mm). À Sombreffe, on observe un surplus de 39%, à Alleur: 47%, à Tournai: 33%... Et la liste peut continuer ainsi pour l’ensemble des 30 stations du réseau météorologique Pameseb du CRA-W.

Les précipitations de la station de Libramont entre octobre et avril montrent une pluviométrie supérieure à la moyenne

«Quand on regarde les statistiques depuis octobre, on voit clairement que nous dépassons à chaque fois la moyenne pluviométrique de nos stations, nous explique Damien Rosillon, attaché scientifique du CRA-W. L’excédent de pluie est marqué partout, et encore plus au nord du pays. Ce n’est donc pas qu’une impression…»

C’est qu’avec une météo aussi changeante que la nôtre actuellement, il est impossible de prédire ce qui va se passer dans une semaine, un mois ou même une saison. Les récoltes vont donc dépendre de la météo des prochaines semaines, sans aucune certitude ni du côté de la pluie ni du côté du beau temps.

Un début d’année humide qui ne présume pas de la suite

Si la situation actuelle peut sembler problématique avec des pluies conséquentes et les impacts que celles-ci peuvent avoir sur les cultures ou l’agriculture, une vue plus large nous montre que cette situation est quasiment semblable aux années 2020 et 2023. En effet, si l’on s’intéresse à la période allant du 1er janvier au 9 avril, on observe que les cumuls de pluie en 2024 sont similaires à ceux de 2020 (année de sécheresse) et 2023 (année humide). À l’inverse, le cumul pour l’année 2021, pourtant marquée par de violentes pluies et des inondations catastrophiques, était inférieur à celui de 2024.

«…Mais l’analyse de la période 2020/2024 montre que la situation de Libramont n’est pas pour autant exceptionnelle

 «La plateforme Agromet.be s’est enrichie d’un nouveau module «BCGMS web». Grâce à cet outil, on peut avoir une vue plus globale des statistiques agricoles de notre région. On voit ainsi que les rendements ont augmenté continuellement depuis 1968 – date des débuts des statistiques de Statbel disponibles – avant de ralentir au début des années 2000, analyse Damien Rosillon. Les rendements ont progressé grâce aux avancées technologiques, grâce à la mécanisation, grâce aux meilleures semences…  Mais depuis les années 2000, la croissance s’est stabilisée à cause des changements climatiques, de la variabilité du climat. La technologie nous permet de maintenir nos rendements, mais plus d’avoir la courbe de croissance que nous avons connue. Ce nouveau climat nous prive de meilleurs rendements qu’on aurait pu avoir…» De quoi considérer comme normal ce début d’année pluvieux? Peut-être bien…

Quid pour les mois à venir ?

Si la situation actuelle peut être problématique, entre autres en ce qui concerne les semis de printemps, l’épandage ou le stockage du fumier, il est difficile de prédire la suite des événements d’un point de vue agronomique ou météorologique. Cependant, rien n’est perdu… La saison ne fait que commencer et la suite dépend de la météo des semaines à venir, selon le chercheur du CRA-W.

«Un point positif de la météo actuelle est qu’elle a pu recharger des nappes phréatiques mises à mal ces dernières années. Ça ne veut pas dire qu’on va éviter un épisode de sécheresse, mais cela devrait être positif pour notre région. Actuellement, la pluie n’est donc ni exceptionnelle ni problématique… J’ai davantage peur pour les arbres fruitiers puisqu’ils ont besoin d’un certain nombre d’heures de froid sur l’hiver pour leur développement. Il n’y a qu’en Ardenne ou en Lorraine belge où le seuil des 1.500 heures de froid a été atteint cette année.»

La situation est donc autant exceptionnelle… Qu’elle ne l’est pas. Il faut donc savoir relativiser et «laisser faire les choses» sans paniquer. Serait-on arrivé dans un nouveau paradigme météorologique belge? C’est possible. Va-t-on devoir s’habituer à semer plus tard? Là aussi, c’est possible… Mais seul l’avenir nous le dira. Parce qu’après la pluie vient le beau temps, même en Belgique.

BCGMS.web, l’outil statistique du CRA-W

BCGMS.web, c’est le tout dernier module de la plateforme Agromet.be développé par le CRA-W permettant de fournir des données et des indicateurs expliquant la production agricole en Belgique. Outil d’analyse mis en ligne à l’occasion du livre blanc des céréales de 2024, le point fort de BCGMS.web est de permettre la comparaison entre régions agricoles ou entre années pour les différentes cultures, en fonction de la météo, des pluies, des rendements, etc. Un outil statistique intéressant pour comprendre l’évolution de la production agricole et de ses différentes composantes, à découvrir sur Agromet.be, onglet «BCGMS web».