L'après-manifestation

Pour la première fois en 2024, les agriculteurs ne sont pas sortis manifester en ce mois d'avril, que ce soit à Bruxelles, à Namur ou dans les provinces. Après un début d’année où le monde agricole a crié sa détresse et sa colère aux hommes et aux femmes politiques, les agriculteurs ont – enfin ! – pu travailler leurs terres et s’occuper de leurs bêtes un mois entier. Mais cela signifie-t-il que la colère a laissé place à la satisfaction ? Entre attente, questionnements, réalisme et envie de plus, 4 agriculteurs nous parlent de l’après-manifestation. 

Florian Mélon

Janvier 2024 : manifestation dans toute la Wallonie, à Namur et à Bruxelles. Février 2024 : la Belgique est secouée d’actions en tout genre tandis que les agriculteurs débarquent dans la capitale à l’occasion du conseil des ministres européens de l’Agriculture. Mars 2024 : les blocages et actions continuent dans toute la région tandis que les agriculteurs retournent faire entendre leur voix à Bruxelles. Avril 2024 : après la Wallonie et la Belgique, c’est au tour de l’Europe d’entériner une (première) série d’avancées en faveur des agriculteurs. De sorte que, pour la première fois de l’année, les agriculteurs ne sont pas sortis (ou si peu) ce mois-ci et ont pu se concentrer sur leurs terres, leur ferme ou leurs animaux. Mais ces agriculteurs, que pensent-ils des récentes avancées en faveur du secteur ? Après avoir entendu la voix des hommes et femmes qui légifèrent aux différents niveaux de pouvoir, Pleinchamp a tendu son micro à celles et ceux qui nourrissent leurs concitoyens au quotidien pour savoir ce qu’ils pensent de ces premières avancées politiques. Avec une question en toile de fond : le système se remet-il doucement dans le bon sens ou avons-nous simplement appris à marcher sur la tête ? 

Remettre la ferme au milieu du village

Pointons d’abord un fait que tous s’accordent à citer comme inédit : jamais l’agriculture n’avait à ce point été écoutée et considérée par les différents niveaux de pouvoir. De la Wallonie au Conseil de l’Europe en passant par le fédéral ou le parlement de l’Union, toutes et tous se sont mis au diapason de la colère des agriculteurs. C’est que, de la France à l’Allemagne en passant par l’Italie ou la Pologne, pour ne citer que ceux-ci, la mobilisation a été presque sans précédent. Manifestations, actions de grogne ou symboliques, blocages et revendications ont éclairé les froides journées de l’hiver 2024 comme jamais au niveau européen. Et si les revendications n’étaient pas partout les mêmes (la question de l’azote aux Pays-Bas, les importations ukrainiennes en Pologne, taxes sur les carburants en Allemagne,…), toutes ces manifestations avaient un point commun et une cible en ligne de mire : les législations européennes, et plus particulièrement les dérives de la PAC. 

Message reçu par les différents niveaux de pouvoir qui ont juré de tout faire pour remettre l’agriculture au centre des priorités européennes et la ferme au milieu du village. Nouvelle preuve ce jeudi 25 avril avec l’entérinement des premières réformes PAC au niveau européen. Une réforme qui suit les précédentes promesses ou actions, de la suppression des 4% non productifs à la fin de cette agriculture de dates tant décriées en passant par divers assouplissements, par de nouvelles dérogations ou par une meilleure prise en compte de la réalité agricole dans le processus décisionnel (et administratif).  

Si une certaine quiétude semble être revenue en ce début de printemps au sein du monde agricole, que pensent ceux et celles qui étaient sur le terrain les mois précédents ? Ces premières avancées sont-elles de bon augure ou sont-elles insuffisantes ? Et ces élections qui arrivent ? Parole aux agriculteurs. 

Daniel Debarsy : « Manifester, c’est un mal nécessaire ! »

« Quand on reste chez soi, on peut râler tant qu’on veut, on ne se fera jamais entendre. C’était normal de sortir. On voit les premières retombées, surtout au niveau de la simplification administrative. Il faut encore laisser le temps au temps…

Daniel Debarsy

Mais sur le terrain les gens sont impatients. On voulait des mesures concrètes rapidement mais, aujourd’hui, on ne les a pas. Mais ce qui est important, c’est que les politiciens commencent à avoir conscience que notre métier doit être dirigé par l’agronomie. Par contre, je suis déçu au niveau du revenu parce qu’on l’a mis en avant encore et encore mais ça ne bouge pas. L’Europe devait nous aider mais on se rend compte que l’Europe a complètement foiré. On a connu une inflation terrible et nos aides n’ont pas été indexées… Pire, elles ont été revues à la baisse, c’est vraiment une erreur. Et il reste la question des marges, quoi qu’en dise COMEOS. Les marges doivent revenir sur la table. Si on veut que les Belges puissent nourrir la Belgique, avec une alimentation de qualité, on va devoir revoir les prix à la hausse, c’est certain. Il va falloir que ça bouge après les prochaines élections. » 

Maurice Taelman : « C’est en prenant du temps qu’on va pouvoir faire bouger les choses »

« On voit que beaucoup de choses se mettent en route ou se sont mises en route. Qu’on avance sur certains dossiers.

Maurice Taelman

On est d’accord que les choses prennent du temps mais du temps, il en faudra toujours si on veut du concret. Quand ça va trop vite, ce n’est jamais bon. Et on a besoin de trouver des solutions pour l’avenir si on veut garder des fermes chez nous et une production locale. L’avenir, c’est nous autres, les jeunes, qui devons nous retrousser les manches, pour nous et pour nos anciens… Il n’y a rien à faire : il faut avancer, c’est le moment ou jamais. Alors oui, ça ne m’étonnerait pas qu’on doive rebouger. Mais c’est maintenant qu’il faut se battre. Et arrêter de prendre l’agriculteur pour une secrétaire : nous, ce qu’on veut, c’est travailler notre terre et élever nos bêtes. » 

Gérard Rixhon : « Les avancées, c’est mille fois rien ! »

« Je trouve qu’on n’a pas eu assez malgré les manifestations. On a eu des petites choses, comme les 4% de jachère, mais ce n’est pas assez.

Gérard Rixhon

On demandait des choses légitimes. Il faut oser parler de la rémunération agricole. Et ça signifie parler avec les grandes surfaces. Elles disent ne pas avoir assez mais elles sont quand même gagnantes. Nous, par contre… Il ne faut pas oublier qu’un agriculteur est en perpétuel investissement. On rachète, on répare, on investit parce que nos outils vieillissent, parce qu’on modifie notre manière de travailler ou parce qu’on a toujours de nouvelles règles et obligations qui nous tombent dessus et nous demandent de nous adapter. Ce qui signifie investir… Alors que nos efforts ne sont pas mieux rémunérés. Alors oui, la solution va peut-être passer par le travail de l’observatoire des prix, on verra. Mais il faudra probablement sortir à nouveau. Et le faire tous ensemble. Il ne faut pas jouer à Standard – Anderlecht quand on parle de l’équipe nationale. Le secteur agricole dans son ensemble, c’est les diables rouges. » 

Elise Verhaeghe : « Mon papa a travaillé toute sa vie pour ne rien avoir à lui »

« On est parti manifester pour améliorer le revenu des agriculteurs. Mais concrètement, depuis notre ferme, on ne voit pas beaucoup de choses bouger.

Elise Verhaeghe

On a reçu un sondage puis quoi ? On nous a parlé d’un système d’alerte sur les prix pour nous assurer un revenu décent… Mais si on est sorti manifester, c’est qu’on est déjà dans l’alerte rouge ! Ce qui est positif, c’est qu’on a renoué le dialogue avec les politiques. On voit qu’ils font des efforts. On sait qu’ils ne peuvent pas tout décider directement mais il y a encore beaucoup de boulot qui attend. On verra pour après les élections mais on va certainement devoir ressortir car il n’y aura pas que ceux qui sont du côté des agriculteurs qui vont être élus. On sent que l’agriculture n’est pas prioritaire alors qu’il faut la refinancer. On a parfois l’impression qu’il faudrait une petite catastrophe pour faire revenir l’agriculture au premier plan des mentalités. C’est malheureux à dire. »