De l'informatique à l'élevage

Poursuivons en 2024 la série de portraits des membres de l’Assemblée des jeunes de la FWA avec Henri Louvigny. Après quelques années passées dans le secteur informatique, il a répondu à l’appel du grand air et de la nature pour reprendre l’élevage familial de limousines à Bougnimont, marchant dans les pas paternels tracés dans la filière bio. Rencontre avec un jeune homme très sympathique, particulièrement en phase avec son temps.

Ronald Pirlot

C’est dans la verte campagne chestrolaise, à Bougnimont (Libramont) plus exactement, qu’a élu domicile la famille Louvigny.

Henri Louvigny

Une présence dont les premières traces remonteraient en 1792. «Je représente la 7e génération» déclare en toute humilité Henri. Un jeune éleveur posé et réfléchi, qui a embrassé la carrière d’agriculteur sur le tard. «J’avais plaisir à aider mes parents durant les congés scolaires, mais pas au point d’envisager dès mon plus jeune âge de leur succéder» confie-t-il. Des parents – André et Josiane – qui, au demeurant, n’ont jamais poussé leurs progénitures dans cette voie. C’est ainsi qu’après une scolarité dans l’enseignement général, Henri a suivi des études en informatique. Nanti d’une licence obtenue à Louvain-la-Neuve, il débute sa carrière professionnelle derrière un ordinateur. «J’ai travaillé quelques années dans cette société. Le temps de m’apercevoir que l’enfermement dans un bureau et le faible nombre de jours de congé annuels ne me permettait pas de revenir aussi souvent que je le voulais travailler à la ferme».

Vente en circuit court

Il n’en fallait pas plus pour alimenter un sentiment de manque grandissant, accentuer par un vif désir de renouer avec un environnement naturel, au grand air. De sorte que lorsque l’âge de la retraite a sonné pour André, la question d’une reprise de l’exploitation familiale s’est posée avec une rare acuité. Le temps de passer les cours A et B, et Henri reprenait officiellement les bâtiments, le troupeau et le matériel en date du 1er janvier 2015. Ainsi succédait-il à ses parents à la tête de l’élevage de limousines certifiées bio. Un choix opéré par son père en 1997 (voir ci-contre).

L’exploitation comptabilise environ 70 vêlages par an. «Les mâles sont vendus après un an, les femelles sont quant à elles engraissées pour être vendues en circuit court aux consommateurs, à travers la vente de colis de viande de 10kg à retirer chez nous ou livrés à domicile».

Le principe est simple: l’animal est mis en vente sur le site Internet. Lorsque 100% des morceaux de viande ont été vendus, contact est pris avec le boucher pour débiter l’animal, avant de communiquer aux clients la date de retrait de leurs colis.

Artisan de la viande

«Je rêve que le secteur de la viande se calque sur celui du vin» déclare l’éleveur, qui se dépeint comme un artisan de la viande. Et d’énumérer les similitudes entre les deux pans alimentaires, à savoir l’attachement à un terroir, le côté rassembleur dans des moments festifs et conviviaux, l’excellence de la qualité… «Les viticulteurs ont tout compris pour mettre en valeur leur production: de belles étiquettes, de beaux rayonnages spécifiques dans les étals des supermarchés. Pourquoi ne pas s’en inspirer pour notre viande. Nous aussi, nous avons une histoire à raconter derrière le produit que nous proposons. Les consommateurs sont friands de nos paroles. Ils nous font confiance. A nous d’en parler, même si pour certains c’est plus difficile. Ça doit faire partie de notre ADN. Nous sommes les meilleurs ambassadeurs de nos produits, bien avant n’importe quelle agence de communication. Nous devons faire preuve de pédagogie envers le grand public».

Pédagogie et respect

Une pédagogie que cet informaticien distille avec le concours des médias sociaux, dont il maîtrise les codes.

Henri Louvigny

Il possède notamment une page Facebook sur laquelle il poste régulièrement des explications sur la gestion journalière de son exploitation. «Il y a une grande déconnexion du grand public envers les réalités de notre secteur. Il n’y a qu’à lire certaines réflexions de personnes qui, visiblement, souhaiteraient nous apprendre notre propre métier. A nous d’expliquer comment les vaches mettent bas, pourquoi nos cheptels ne sont pas laissés en liberté en période hivernale… Cela passe par beaucoup de pédagogie, mais aussi du respect en nettoyant, par exemple, une route que nous aurions maculée de boue. C’est à partir des efforts mutuels que pourra naître l’harmonie».

Des propos pleins de bon sens, qui résument à eux seuls la sagesse d’Henri.

«30% de bio en 2030? C’est aux consommateurs de décider, pas aux politiques!»

L’aventure du bio a débuté en 1997 pour André Louvigny, le papa d’Henri. Lassé de voir les agriculteurs à chaque fois les victimes au premier chef des crises sanitaires engendrées par des pratiques industrielles, l’éleveur décide, au sortir des crises de la vache folle et de la dioxine, de se convertir au bio. Exit le cheptel de Blanc bleu, place aux limousines. Un choix sociétal qui, à l’époque, ne manque pas d’interpeller certains de ses confrères. Fort d’un partenariat avec Delhaize, plusieurs éleveurs bio parviennent à tirer leur épingle du jeu.

Qu’en est-il aujourd’hui? «J’ai privilégié la vente en circuit court, où la qualité de la viande est davantage prise en compte qu’avec la grande distribution, tout en se réservant une marge en adéquation avec le travail fourni» précise Henri.

Quid de l’avenir du bio qui a connu ces derniers temps une certaine accalmie? «Je suis assez optimiste quant au retour des consommateurs, car le bio correspond aux attentes sociétales. Et ce, même si nous nageons en plein paradoxe, tout le monde voulant à la fois sauver la planète et le contenu de son portefeuille. Mais attention, loin de moi de dénigrer les autres modes de production. Je pense qu’il y a de la place pour tous les types d’agricultures. Pour reprendre l’exemple du vin, les régions viticoles et les terroirs cohabitent très bien ensemble, sans se monter les uns contre les autres». Et l’objectif de 30% de production bio à l’horizon 2030 ? «Ce genre d’objectif est un non-sens, tout simplement parce que c’est aux consommateurs de décider, pas aux politiques!»

«Un syndicat fort pour défendre d’une même voix notre secteur!»

Henri est entré dans la sphère syndicale voici deux ans. «A la demande d’un ami (Dominique Stordeur Ndlr) en qui j’ai pleinement confiance vu ses connaissances du monde agricole». C’est ainsi qu’il a intégré l’Assemblée des jeunes de la FWA. «J’ai toujours porté un intérêt sur les autres, et encore plus lorsqu’ils font autre chose que moi. Je me suis rendu à l’AJ avec une vraie curiosité de connaître les idées des jeunes de ma génération confrontés à d’autres diversifications que la mienne. Et j’avoue avoir été très positivement surpris car l’AJ brasse beaucoup d’idées. Et les jeunes, c’est l’avenir!».

Un avenir dans lequel la FWA a un grand rôle à jouer. «Je suis convaincu de la nécessité d’un syndicat fort pour porter haut la voix des agriculteurs» conclut Henri, avec conviction.