Un constat

Le constat est implacable. Les bouleversements énergétiques engendrés par l’invasion russe en Ukraine ont fortement influé sur les factures. Le prix de l’électricité en particulier s’est véritablement envolé, mettant à mal la rentabilité de bon nombre de secteurs professionnels. Les producteurs agricoles ne sont pas les derniers. Rencontres avec un éleveur laitier et un fruiticulteur qui, face à l’inconnue de l’évolution des prix, ont opté pour l’autonomie énergétique en hâtant les modes alternatifs de production électrique.

Ronald Pirlot

La micro-biométhanisation pour alimenter les robots-trayeurs

Nichée en plein cœur de la Gaume, dans le verdoyant village d’Houdemont (Habay), la ferme de l’Association Starck-Godenir est spécialisée dans la production laitière. Ce sont 170 vaches Holstein qui sont quotidiennement traites. Une tâche effectuée par trois robots trayeurs dont le fonctionnement est assuré 24h sur 24, 7 jours sur 7. Autant dire que l’évolution des coûts de l’électricité a été durement ressentie. «D’autant que la malchance a voulu que notre contrat fixe arrive à échéance au moment de l’invasion russe en Ukraine» précise Alexis Godenir.

 

Alexis Godenir
Alexis Godenir

Facture multipliée par 3,5

Le résultat n’a pas tardé. La facture liée à la consommation électrique mensuelle a été multipliée par 3,5, rognant ainsi une part non-négligeable de la marge bénéficiaire de l’exploitation. «Dans un premier temps, elle était quelque peu compensée par le prix attractif du lait. Mais désormais, ce dernier redescend… sans que l’on constate un quelconque mouvement à la baisse de l’électricité» avoue Alexis. Et d’ajouter : «Avant ces aléas, nous envisagions déjà de faire une microstation de biométhanisation en l’alimentant par le lisier de l’exploitation. Au prix où est l’électricité depuis un an, nous avons décidé de réaliser cet investissement le plus vite possible». 

La pertinence de la biométhanisation

Le choix de la biométhanisation n’a rien d’anodin. Il correspond en effet aux besoins de fonctionnement des robots trayeurs. «La biométhanisation nous garantit une production continue, au contraire du photovoltaïque qui ne produit que le jour. Or, la fréquentation des robots-trayeurs est similaire la nuit et le jour. Selon nos calculs, cette unité, d’une puissance de 22 KW/h (soit 5X mois que la plus petite des unités de biométhanisation industrielles) nous permettra de couvrir entièrement nos besoins électriques». Et ainsi tendre vers cette autonomie énergétique de nature à se prémunir des aléas d’une évolution géostratégique que nul ne peut prédire.

«Nous avons hâté l’installation de panneaux photovoltaïques»

Bien connue à Gembloux où elle fait figure d’institution fruiticole, La Pommeraie produit une vingtaine de variétés de pommes et de poires bio qu’elle vend en direct et en gros. Autant dire qu’il lui faut assurer des conditions de conservation idéales pour conserver ses produits jusqu’à leur écoulement jusqu’en hiver. Pour ce faire, rien de tel que des chambres froides.

Guillaume Berbers, le gérant, nous invite dans l’un des frigos. Immense tant en surface qu’en hauteur, il offre des volumes impressionnants pour garantir la conservation des pommes et des poires. «Nous en avons trois comme celui-ci, qui fonctionnent en permanence de la fin août à la fin février, voire au début mars».

Alimentés par l’électricité, ils garantissent chacun une température de 2-3 degrés. Dans le contexte actuel, l’on peut aisément imaginer le coût financier que ce seul poste représente. «Notre  chance, c’est que nous étions liés par un contrat fixe qui court toujours actuellement. L’augmentation des coûts électriques ne s’est pas encore traduite sur la facture. Mais pour ceux qui avaient un contrat variable, je pense que ça a été compliqué. C’est ainsi que l’on a vu fleurir çà et là des initiatives comme des auto-cueillettes où les gens se servent eux-mêmes à un tarif avantageux afin d’écouler la marchandise sans qu’elle ne doive transiter par le frigo».

Guillaume Berbers
Guillaume Berbers

 

Anticiper le contrat variable

Guillaume sait que tout contrat possède une échéance. En prévision du terme de son contrat, il a décidé de franchir le pas du photovoltaïque. «Ce projet d’installer des panneaux était déjà dans les cartons. Juste avons-nous décidé d’hâter les démarches» précise Guillaume qui, par l’intermédiaire de la FWA, a pris contact avec Broptimize pour l’aider dans ses démarches. «Ils sont venus sur place, ont réalisé un audit pour dresser notre profil de consommation. Puis ils ont envoyé le cahier des charges à l’adresse de plusieurs soumissionnaires en matière d’installation photovoltaïque. J’avoue être satisfait de leurs services» ajoute Guillaume, qui n’a désormais plus qu’à signer le bon de commande. «J’espère que d’ici le début de l’été, l’installation sera opérationnelle».

Un investissement énergétique accompagné par le CGTA

Ces dernières semaines, le Centre de gestion technique agricole (CGTA) de la FWA a reçu un certain nombre de demandes d’accompagnement dans le montage des dossiers d’aide à l’investissement destiné à la transition énergétique. Rencontre avec son directeur, Christian Dawance.

Les frigos de La Pommeraie
Les frigos de La Pommeraie

 

Pleinchamp: Qu’en est-il des inquiétudes énergétiques au sein du monde agricole ?

Christian Dawance : «On constate clairement que le monde agricole s’interroge fortement sur l’augmentation du coût énergétique et ses conséquences, en ce compris sur le prix des engrais. Bien évidemment, la réflexion se concentre essentiellement sur les dépenses électriques, seul poste à ce jour sur lequel les agriculteurs peuvent modifier la donne. Essentiellement, l’on voit émerger des projets d’installation photovoltaïques, moins lourd en termes d’investissement, mais aussi davantage accessibles par des agriculteurs ne disposant pas des ressources en lisier nécessaire pour une unité de biométhanisation».

PC: Quel secteur d’activités est-il tout particulièrement visé et pourquoi ? 

CD : «Le secteur laitier, aussi que les exploitations orientées vers des productions nécessitant un stockage en frigo (pommes de terre, fruits, …), en tant que gros consommateurs d’électricité, se détachent. Les projets d’alternative sont bien évidemment motivés par une prise de conscience que l’objectif d’autonomie électrique les mettra à l’abri des fluctuations des marchés internationaux. Mais ce n’est pas l’unique motivation. On sent également une réelle prise de conscience du rôle à jouer par l’agriculture dans le contexte du changement climatique».

PC : En quoi le CGTA peut-il aider les agriculteurs dans l’accompagnement de leur projet ?

CD : «En premier lieu, nous leur proposons de prendre contact avec Broptimize pour les conseiller sur la solution la plus adaptée à leur exploitation, via la réalisation d’un audit énergétique et d’une analyse de projet. Dès qu’ils ont défini ce dernier, nous leur proposons de les accompagner pour obtenir des aides à l’investissement. Nous pouvons aussi apporter en parallèle une expertise énergétique au regard de leur comptabilité de gestion et de l’évolution de leur consommation d’énergie».

Plus d’infos auprès du CGTA : 081/60.00.60.