Une tournée au goût très amer

Ce lundi 5 juin, la Raffinerie Tirlemontoise entamait sa tournée de 10 réunions dans toute la Wallonie en vue de faire le point avec les planteurs de betteraves sur l’année écoulée, ses enseignements, mais aussi le revenu qu’ils allaient pouvoir dégager de la récolte 2022. Les deux premières réunions, à Ciney puis à Verlaine, se sont soldées par une douche froide pour les betteraviers. Malgré un prix rarement atteint par le sucre, en particulier après quelques années particulièrement difficiles, le prix proposé aux planteurs sera finalement moins bon qu’annoncé. Du côté du syndicat betteravier, on va jusqu’à parler de rupture de confiance. Explications avec Bruno De Wulf, Secrétaire général de la CBB.

Propos recueillis par Olivia Leruth

Pleinchamp: Vous avez participé aux réunions de ce mardi. Pourriez-vous nous expliquer quelle est la situation qui fâche aujourd’hui les planteurs de betteraves?

Bruno De Wulf: Il est important tout d’abord de rappeler le contexte actuel du secteur. En 2017, tout le secteur betteravier a connu une crise sans précédent avec la fin des quotas. Cette crise s’est étalée sur cinq longues années pour les planteurs, qui ont dû faire le gros dos, avec des prix qui permettaient tout juste de couvrir les frais sans réellement gagner sa vie, à moins de faire des rendements extraordinaires, comme ce fut le cas en 2017, année qui est restée une exception. Il faut rappeler que les sucreries, à la fin de ces quotas, avaient pris la décision comme un seul homme d’augmenter la production. Le résultat a été une augmentation de la quantité de sucre, sur un marché mondial déjà saturé, car l’ensemble des pays producteurs avaient fait d’excellentes récoltes. Pendant cette période, nous sommes parfois descendus à un prix en-dessous des 300 euros la tonne pour le sucre, ce que l’on n’avait auparavant jamais imaginé, et il est resté sous la barre des 400 euros pendant les quatre années suivantes.

PC: Mais la situation actuelle a changé?

BDW : Les évènements mondiaux récents, comme le covid, la guerre en Ukraine et la montée en flèche des coûts énergétiques ont eu pour conséquence qu’en 2022, le prix du sucre a plus que doublé. Résultat, on se retrouve aujourd’hui avec des sucreries qui ont vendu leur sucre à des prix particulièrement hauts. On parle en général de minimum 650€ la tonne, mais certains contrats ont été jusqu’à 1.000 euros la tonne, et donc le prix de la betterave est très bon par rapport aux années précédentes.

PC: Si le prix de la betterave est très bon, en quoi cela pose-t-il souci aux planteurs?

Betteraves en tas en hiverBDW: Le souci, c’est qu’au vu des résultats du sucre, cette année, on s’attendait à un prix de plus de 50 euros la tonne pour la betterave. C’est d’ailleurs ce qui avait été annoncé dans une communication de la Raffinerie Tirlemontoise aux planteurs, une communication lancée au moment opportun pour les pousser à implanter plus de betteraves. Mais aujourd’hui, elle nous annonce un prix de 49€, ce qui est le prix calculé sur base du reporting européen, et remet en question l’ajout du «sur-prix», le complément généralement ajouté à cette base. Or, en Allemagne, nos collègues dont les contrats sont du même type que les nôtres ont reçu un sur-prix qui avoisine les 5€. Nous ne nous attendions pas forcément à obtenir le même sur-prix que nos voisins allemands, mais nous en attendions tout de même un aux environs de 3€ par exemple. Mais pour l’instant, du point de vue de Südzucker, on ne peut rien nous donner car en Belgique, nous avons les meilleurs rendements d’Europe et que nos chiffres seront dès lors déjà suffisamment intéressants.

Pleinchamp: Comment la Raffinerie justifie-t-elle ce déséquilibre?

BDW: L’Allemagne a de son côté connu de mauvais rendements cette année, et Südzucker considère qu’il est indispensable de rendre la confiance aux planteurs.

Pleinchamp: Et quelle est la réaction du syndicat betteravier face à ces arguments?

BDW: Cela nous pose évidemment deux problèmes. Le premier, c’est que cela signifie que lorsque l’on est productif, on n’a pas le droit de prétendre au même montant que lorsque l’on produit moins. On devrait s’en contenter, mais c’est inacceptable pour nous. Le deuxième problème, c’est que la Raffinerie Tirlemontoise s’était engagée à un prix plus élevé, il en résulte donc une perte de confiance des planteurs, qui pose question pour l’avenir. En effet, depuis plus de trente ans, les planteurs wallons investissent via la Sopabe-T dans l’actionnariat de Südzucker, justement dans le but de s’assurer que les planteurs restent majoritaires et de garder ainsi un certain respect pour le planteur belge, notamment en ce qui concerne le droit à un revenu correct. Se pose dès lors la question de savoir si cette participation a aujourd’hui encore du sens.

PC: Quel serait selon vous le principal message à faire passer à la Raffinerie Tirlemontoise?

BDW: Si la Raffinerie Tirlemontoise souhaite bien continuer à se développer en Belgique, il faut qu’elle réalise qu’elle est en train de perdre la confiance de ses planteurs, et que celle-ci est difficile à récupérer.  Il est important de se rappeler que pour les agriculteurs, il n’y a pas que la betterave, et il n’y a pas non plus que la Raffinerie Tirlemontoise.