Retour dans l'actualité

Problématique prise à bras le corps par la Fédération depuis plusieurs années, les assurances multirisques climatiques reviennent dans l’actualité depuis la semaine passée. En effet, ce mardi 09 janvier, une présentation du SPW était faite aux parlementaires de la Commission de l'économie, de l’aménagement du territoire et de l’agriculture du Parlement de Wallonie. L’occasion de décrypter ce qui a été présenté et de refaire un bref historique de ce dossier.

Benoît Thomassen, Directeur CAP Conseil, Analyse et Politique (CAP)

Partant du constat que le fonds des calamités agricoles arrivait en bout de course, le Gouvernement wallon a inscrit cette priorité dans sa déclaration de politique générale sous ces termes: «le Gouvernement soutiendra la mise en place progressive d’un nouveau système plus solidaire d’assurance production, permettant à l’agriculteur de profiter d’une meilleure réactivité quant à la perception de l’indemnisation et de s’assurer préalablement à un phénomène météorologique dangereux pour ses cultures. Il sera utile d’étudier l’opportunité de la coexistence des systèmes d’assurance production et du fonds des calamités».

Il faut bien avouer que depuis 2019, très peu d’avancées ont eu lieu sur ce dossier, malgré nos travaux internes, nos échanges avec l’administration wallonne ainsi que les nombreuses relances aux politiques wallons.

A l’automne 2023, nous avions été informés par la Commission Agriculture du Parlement de Wallonie qu’un groupe de travail se mettait en place, avec comme objectif d’avancer au plus vite sur le dossier. Nous avons donc été agréablement surpris d’apprendre qu’une présentation du SPW avait été faite dès ce début d’année.

Pourquoi une assurance multirisques climatiques ?

Les constats du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) sur les conséquences du changement climatique sont connus. L’Europe de l’Ouest est une zone qui sera particulièrement impactée par les phénomènes de sécheresse et les phénomènes de précipitations longues, intenses avec des épisodes violents. Les pertes qui résultent de ces aléas constituent (et constitueront d’avantage) une charge financière de plus en plus lourde pour les agriculteurs. Au vu de la santé financière du secteur, la succession des événements climatiques extrêmes compromet la survie des exploitations agricoles.

Assurance multirisques climatiques

De plus, le système des calamités agricoles nécessite régulièrement des budgets complémentaires pour indemniser les producteurs alors qu’il ne couvre qu’une trop faible partie des pertes. Le ratio moyen entre les indemnités et les dommages évalués par les commissions de constats des dégâts aux cultures entre 2016 et 2020 est ainsi de seulement 12,9%. De plus, toutes les cultures ne sont pas reconnues à chaque fois comme ayant subi des pertes importantes, faute d’un budget suffisant.

Enfin, ce système est contraignant avec l’obligation de participer, deux fois dans chaque commune où des parcelles ont subi des dommages, aux commissions de constat des dégâts aux cultures avant de devoir encoder les procès-verbaux de longs mois après le dommage. Le processus va certes plus vite que par le passé, mais le délai entre le dégât et l’indemnisation reste supérieur à 15 mois, ce qui entraine des problèmes de trésorerie importants et peut avoir des impacts non-négligeables dans le tissu économique en aval des fermes.

Par ailleurs, le développement des assurances multirisques climatiques soutenues par les pouvoirs publics est une réalité dans de nombreuses régions limitrophes comme la France, la Flandre et les Pays-Bas. En 2018, la FWA avait organisé une enquête auprès des agriculteurs qui montrait clairement leur intérêt pour ce type de système.

En résumé, la mise en place de ce système d’assurances offre aux producteurs voulant sécuriser leurs exploitations, des garanties sur leur chiffre d’affaires en diminuant leurs risques face aux aléas climatiques. Cela leur permet donc d’être certain de pouvoir continuer leur activité l’année suivante étant donné qu’ils toucheront une indemnité rapidement en fonction de leurs pertes. Ce système est aussi moins partiel (il dédommage mieux), moins partial (dépend moins des initiatives du SPW) et plus juste (car il n’exclut pas certain type de culture).

Qu’est-ce qui a été présenté ?

La présentation, réalisée par Véronique Dewsames, Directrice de la Direction de la recherche et du développement au Département du développement, de la ruralité et des cours d'eau et du bien-être animal du SPW ARNE, a débuté par une comparaison des systèmes déjà effectifs en France, au Luxembourg et en Flandre.

Le système étudié pour la Wallonie est assez similaire au système français. On retrouve les trois types d’aléas climatiques: courants, significatifs et exceptionnels. Le premier serait pris en charge totalement par l’agriculteur en dessous de 30% de dégâts. Cela correspond en fait à ce qui se passe actuellement puisque le fonds des calamités n’intervient qu’à partir du moment où il y a au moins 30% de dégâts au niveau de l’exploitation pour une culture.

Dans la deuxième tranche, entre 30 et 60% pour les prairies ou entre 30 et 70% pour les cultures, l’assureur prendrait en charge les indemnités. Le SPW propose de subventionner 65% maximum du montant de la prime.

Le dernier aléa, l’exceptionnel, vise des dégâts supérieurs à 60 % en prairie et à 70 % dans les cultures. Dans ce cas, ce serait la Région qui indemniserait via le Fonds des calamités agricoles, avec de nouveau une distinction. Cela ne porterait toutefois plus sur la totalité des dégâts comme le système actuel des calamités agricoles, mais uniquement sur le dégât qui dépasserait les 60% ou les 70%. Il y aurait une prise en charge de 100% pour ceux qui sont assurés et de 50% pour ceux qui ne sont pas assurés, toujours avec une subvention de 65% maximum du montant de la prime.

Du point de vue budgétaire, en lissant la moyenne des dégâts depuis 2018, un montant de 16 millions d’euros est actuellement nécessaire tous les ans, alors que le système assurantiel serait de 17,5 millions d’euros. Sur les 4 dernières années, la Région a dépensé 64,2 millions d’€, alors qu’elle aurait dépensé 70 millions d’€ avec le système assurantiel.

Le SPW a effectué une projection sur les 15 prochaines années, tenant compte des projections du GIEC, et a présenté l’évolution théorique des budgets nécessaires avec le système assurantiel, malheureusement en omettant de réaliser le même exercice avec le modèle actuel. Néanmoins, il est utile de préciser que le système assurantiel intervient sur les primes d’assurance, paramètre sur lequel la Région n’a pas d’emprise directe et qui risqueraient de décoller en cas de succession d’années à dégâts.

Des évaluations complémentaires ont été demandées par les parlementaires afin d’évaluer au mieux le système présenté et de le mettre réellement en concurrence avec le modèle actuel.

En conclusion

Vous l’aurez compris, l’équation n’est pas simple, mais les constats sont bel et bien là: le système actuel arrive en bout de course et ne convient plus aux réalités agricoles d’une part, et nous nous dirigeons vers des dégâts de plus en plus fréquents d’autre part. Seul un soutien financier des primes d’assurances multirisques climatiques afin de diminuer la contribution de la Wallonie dans la gestion des risques climatiques, couplé à un soutien du fond des calamités pour les situations particulièrement problématiques, nous semble être la meilleure alternative au système actuel.

L’assurance multirisques climatiques est donc avant tout une assurance «revenu garanti» qui présente les avantages suivants :

  • paiement d’une indemnité sur base d’un rendement de référence de l’agriculteur ;
  • paiement effectué l’année de l’aléa, ce qui permet à l’agriculteur de couvrir ses charges de production et de payer les avances aux cultures pour les années suivantes ;
  • d’un point de vue sociétal, l’agriculteur payera chaque année ses cotisations sociales, ce qui évite de mauvaises surprises au moment de prendre sa pension, ses loyers, ses charges d’emprunts qui permettent de clôturer ceux-ci dans les délais impartis, la fiscalité directe (précompte, impôts, TVA) pour chaque année fiscale.

De plus, ce système implique la responsabilité individuelle des agriculteurs par le biais de compagnies d’assurances indépendantes qui ne peuvent agir que dans un cadre légal (comme c’est le cas en France) et avec un soutien financier de la prime afin de pérenniser le système sur le long terme, tout en permettant à la Région une maitrise annuelle et prévisible des finances publiques, tant en ce qui concerne les dépenses que les recettes.