Passions versus raison

Au centre de débats où les passions l’emportent très souvent sur la raison depuis plusieurs semaines, le glyphosate serait, selon ses détracteurs, très facilement remplaçable par des alternatives qui auraient déjà fait leur preuve. Qu’en est-il exactement en réalité? Pour en savoir plus, redescendons sur le terrain (agronomique) avec François Henriet, attaché scientifique au CRA-W.

Ronald Pirlot

François Henriet

«Le glyphosate, c’est un labour chimique qui permet de gérer les mauvaises herbes entre deux cultures» rappelle en préambule François Henriet. Attaché scientifique au CRA-W à Gembloux, ce dernier a accepté de passer en revue les alternatives existant à ce jour sous le prisme agronomique. Et uniquement agronomique. De quoi prendre un peu de recul vis-à-vis du débat passionnel qui a agité le landerneau politico-médiatique de ces dernières semaines.

Selon notre interlocuteur, il existe trois types d’alternatives au glyphosate avec, pour chacune d’elles, des avantages et des inconvénients. «En agriculture, on ne gagne jamais sur tous les plans» précise-t-il.

Trois types d’alternatives

La première alternative est mécanique, via un labour ou une destruction par broyage. «Ce procédé présente le désavantage de remplacer un produit chimique par du mazout. Là où un tracteur consommera entre 2,5 et 5 L à l’hectare pour une pulvérisation, il en consommera de 30 à 50 L pour un labour vu le nombre de passages à faire et la différence dans les efforts à fournir». Sans compter que le labour change la structure du sol. C’est d’ailleurs ce qui place les adeptes de l’agriculture de conservation et de l’agroécologie face à un sacré dilemme. «Et les rend autant dépendants du glyphosate».

La deuxième consisterait à remplacer le glyphosate par un mélange de produits sélectifs selon les types de mauvaises herbes visées. «Mais cette solution a-t-elle du sens dès lors qu’il s’agirait de remplacer un herbicide total jugé problématique par un cocktail de 3 herbicides sélectifs?» C’est d’ailleurs en raison de ce contre-sens qu’il n’y a jamais vraiment eu d’essais menés pour ce type d’option.

Désherbage électrique

Enfin, la troisième option est un désherbage électrique. «Il s’agit d’un concept développé par la firme Zasso, notamment au Brésil». Concrètement, cette solution consiste à faire passer un courant dans la plante qui a été arrosée au préalable avec une solution saline, via une machine divisée en deux parties, la première envoyant le courant et la seconde le récupérant. «A l’instar du glyphosate, le résultat est radical sur une plante ayant atteint le stade foliaire. C’est d’ailleurs déjà utilisé par certains pour défaner les pommes de terre. Le désavantage, là aussi, est l’usage du mazout dès lors que la machine est actionnée par la prise de force du tracteur. Et puis, on ne sait pas vraiment comment réagissent les vers de terre lorsqu’ils reçoivent la décharge électrique. Je sais qu’il y a des études en cours, mais je n’en connais pas les résultats».

Leviers agronomiques

A côté de ces alternatives, François évoque les leviers agronomiques qui permettent de limiter l’apparition ou la prolifération des mauvaises herbes. L’on pense notamment aux rotations des cultures en alternant les cultures d’hiver et de printemps, histoire de casser les cycles et éviter d’avoir chaque année les mêmes mauvaises herbes. Mais aussi en jouant sur la date des semis, surtout pour les cultures d’hiver ; le travail du sol, «en considérant qu’un labour tous les 3-4 ans est suffisant» ; le développement des variétés «tels que des blés qui auraient des croissances plus rapides et pousseraient horizontalement puis verticalement, histoire d’étouffer les mauvaises herbes. Mais c’est nettement moins facile que de trouver des variétés résistantes aux maladies» ; à la gestion des intercultures à travers le désherbage mécanique ou en faisant par exemple brouter les moutons ; ou encore à l’association de deux cultures comme le froment et les pois.  

Des alternatives et des leviers qui, nonobstant leur efficacité et leur qualités intrinsèques, présenteront un prix qui se répercutera sur le coût de production.

La solution viendra-t-elle des huiles essentielles ?
Simon Dal Maso (APEO)

La question d’une alternative au glyphosate est intimement liée à celle de la recherche et de la science, sur lesquelles sont fondés beaucoup d’espoirs. Parmi les pistes explorées figure celle, présentée en août dernier lors de la Foire de Libramont, par APEO, la Spin-Up de l’U-Liège issue du labo de phytopathologie intégrée et urbaine basée à Gembloux. Laquelle présentait son herbicide à base d’extraits de plantes et d’huiles essentielles.

«Cela fait plus de 10 ans que nous menons des recherches sur les huiles essentielles comme fongicide. Au cours de nos essais, nous avons constaté que certaines huiles étaient phytotoxiques. A partir de là, nous avons orienté nos recherches vers le développement d’un herbicide» nous déclarait à l’époque Simon Dal Maso, directeur technique et co-fondateur d’APEO.

Des essais à ce point concluant que le produit était en cours d’homologation. Un produit dont on ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’il est totalement composé de produits d’origine naturelle, qu’il est très rapidement biodégradable dans le sol.

«Pas d’alternative scientifique dans les 3 ans»

«C’est un produit dont on connait peu de choses, si ce n’est qu’il est destiné dans un premier temps à l’usage des particuliers via un produit «ready to use». Mais quid pour l’agriculture?» interroge François Henriet.

Simon Del Maso convenait que, dans sa forme actuelle, le produit n’était pas adapté pour une utilisation agricole. «Nous sommes déjà très loin dans une formulation ultraconcentrée du produit à destination de l’agriculture. Si tout se passe bien, son homologation devrait être effective en 2028-2029» nous précisait Simon en août dernier. De quoi laisser entrevoir de belles perspectives, mais pas dans un délai rapproché.

«Il existe un engouement pour trouver des produits alternatifs, et pas seulement par rapport au glyphosate, c’est clair ! Mais après, la mise sur le marché est tellement compliquée et coûteuse que des petites structures qui trouveraient quelque chose ne peuvent pas faire autrement que se faire aider par de plus grosses qui ont l’expertise. Mais pour revenir au glyphosate, personnellement, je serais vraiment très surpris de voir émerger un produit alternatif ayant les mêmes propriétés d’ici trois ans».