Un rapport qui fait grand bruit

La Cour des Comptes française a publié le mois dernier (22 mai) un rapport qui a fait grand bruit dans les campagnes. Et pour cause: il préconise ni plus ni moins la mise en place d'une stratégie radicale de réduction du nombre de bovins, ceci afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays.

Richard Cydzik

VacheLe débat nous intéresse étant donné les nombreuses similitudes entre les élevages de France et de Wallonie. Relevons d'abord que le document de la Cour française est très fallacieux, dans la mesure où des faits exacts se mêlent à des contrevérités, et où certaines réalités sont présentées de manière déformée. Par exemple, il est vrai que le cheptel bovin est émetteur d'un GES (le méthane), mais les transports ainsi que l'industrie en génèrent bien davantage. Par ailleurs, le cheptel bovin est d'ores et déjà en diminution dans la plupart des pays d'Europe (un million de têtes en moins sur 7 ans en France) avec, à l'aide des progrès dans les techniques d'élevage, des diminutions régulières des émissions de GES. Tandis que les mêmes émissions par les transports par exemple ont augmenté depuis 1990...

Dans l'air du temps

Selon la plupart des experts, en France mais aussi en Europe, la Cour des Comptes française a, de manière flagrante, «outrepassé son champ de compétences» en s'occupant d'empreinte carbone, d'environnement ainsi que de la «nutrition» des citoyens. D'après cette vénérable institution (datant de 1807, ses membres sont considérés comme «Sages»), la réduction préconisée du cheptel bovin, correspondrait aux besoins en nutrition réels de la population: «un tiers des Français consommant davantage que le plafond de 500gr par semaine de viande rouge préconisé par le plan national nutrition santé». En revanche, le rapport desdits Sages s'inscrit bien dans l'air du temps: puisque l'on ne jure plus que par l'empreinte carbone et le réchauffement climatique, le rapport de la Cour française a ainsi recueilli l'assentiment d'une bonne partie des parlementaires écologistes français.

Deniers publics

Que l'on sache, le rôle principal d'une Cour des Comptes est de veiller à la légalité et à la régularité quant à l'usage des deniers publics. Le rapport de la Cour française était de fait centré sur les aides attribuées aux élevages bovins, mais considérées sous un angle exclusivement climato-environnemental. Ces aides seraient «inefficaces» à ses yeux. Ce faisant, l'institution - visiblement peu familière de la réalité des élevages – «oubliait» que les élevages en général ne constituent pas une activité rentable en Europe. Et que des aides sont attribuées précisément pour compenser la différence entre les coûts de production et les prix de marché. Officialisées dans la PAC, elles ont un but socio-économique: «assurer des revenus décents aux producteurs et des prix raisonnables aux consommateurs». Il s'agit à cette fin de permettre une production suffisante en quantité et en qualité. Sous peine de faire des produits animaux de qualité un luxe pour des citoyens de plus en plus nombreux.

Incohérence

Il est évident que la diminution du cheptel suggérée par la Cour française signifierait une réduction de l'offre par rapport à la demande, laquelle reste constante et ne diminue pas suffisamment à l'estime de la Cour. S'érigeant de la sorte, non seulement en pédagogue nutritionnel, mais aussi en juge du «civisme écologique» des citoyens! Quoi qu'il en soit, avec la hausse des prix induite, la viande ne serait plus pareillement accessible à l'ensemble des citoyens. Ce qui est déjà le cas pour la viande de qualité. Sauf à importer de la viande bovine des pays tiers, ce qui équivaudrait à «délocaliser les émissions de méthane ailleurs, quitte à faire dix fois pire», estime Anne-Cécile Suzanne, agricultrice en polyculture élevage et consultante pour les acteurs de l'alimentaire. Quitte à prôner la décroissance, explique celle-ci, «ayons au moins la décence de ne plus importer de viande du Brésil, d'Argentine, du Canada ou d'Australie à coup de nouveaux traités de libre-échange qui n'en finissent plus d'être signés».

Implications environnementales

L'Institution française fait certes mention des «services environnementaux et sociétaux» rendus par l'élevage bovin, mais les met peu en évidence, estimant que rien n'est plus efficace en termes de maîtrise du méthane qu'une réduction du cheptel. La plupart des experts jugent que l'analyse de la Cour témoigne de sa myopie ainsi que du fait que «sortir de son champ de compétences pour être dans l'air du temps est un exercice périlleux, quasiment fantasque». L'Institution ignore ainsi visiblement que toutes les «surfaces valorisées par les ruminants ne sont pas convertibles en cultures». De même, elle embraie sur l'idée que la consommation de volailles serait plus «vertueuse». Certes, celles-ci sont moins émettrices de CO2, mais elles ne valorisent pas les prairies et, au contraire des bovins et porcins, ont du mal à valoriser d'autres sources de protéines que les céréales et le soja.

Lacunes nombreuses

Quitte à se mêler de ce qui ne la regarde pas (et surtout d'un sujet qu'elle ne connaît pas), la Cour aurait pu développer, au-delà de simple évocation, les apports positifs de l'élevage bovin: maintien des prairies ni labourées ni enfrichées, des haies, des arbres, entretien de zones rurales, production d'engrais organiques… Autant d’aspects favorables aux sols, à l'environnement ainsi qu'à la biodiversité. Le Gouvernement français, répercutant la colère légitime des éleveurs, a du reste sèchement répondu à la Cour que «son objectif prioritaire est le maintien des élevages sur le territoire français». Et surtout que la Commission européenne a validé les options françaises de la PAC 2023-2027, s'agissant de l'environnement et du climat. En conséquence, étant donné la primauté des instances européennes, l'intervention de Cour française est plutôt inopportune, sinon illégitime. D'aucuns dénoncent par ailleurs la dérive qui, dans nos sociétés démocratiques, consiste pour de nombreux protagonistes, «à juger de tout souverainement, sans aucun contrôle», jusque, souvent, sur les plateaux télé. Dans l'ambiance écologiste omniprésente actuellement, le cheptel bovin est la dernière victime. Comme le déplore Anne-Cécile Suzanne: «nos pauvres vaches ont le dos large, pas assez large tout de même pour supporter toute la bêtise humaine».