Solidarité et revendications communes

Photo ©Ilan

La Commission européenne envisage de réduire les temps de trajet pour le transport d'animaux. Une proposition qui pourrait impacter le secteur bovin en Belgique, où les abattages de veaux sont en augmentation tandis que le nombre d’abattoirs subit une courbe inverse. De quoi susciter des préoccupations quant à l'approvisionnement et à la rentabilité de l'industrie. Les éleveurs et les abattoirs se retrouveraient dans une situation délicate, confrontés à des coûts et des défis logistiques croissants. De quoi justifier une solidarité et des revendications communes pour traverser cette période de crise.

Simon Leclercq, Étudiant à Gembloux Agro-Bio Tech - Stagiaire au Conseil, Analyse et politique (CAP)

Le 7 décembre 2023, le projet d’un nouveau règlement européen ayant pour but de réduire le temps de transport des bovins vers les abattoirs a été déposé par la Commission européenne. Ce texte comporte notamment l’interdiction de transporter des veaux de moins de 5 semaines sur plus de 100 km et de limiter à 9h le temps de transport d’un bovin vers un abattoir. A titre exemplatif, 1h59, c’est le temps de trajet moyen d’un bovin vers un abattoir en France.

A l’instar d’autres pays européens, devons-nous nous inquiéter en Belgique de cette possible disposition dans un contexte de baisse du nombre d’abattoirs avec la fermeture de celui de Charleroi et d’autres à venir, comme la fin des abattages à Anderlecht ?

Des abattoirs belges sous tension (Michael Gore, directeur de la FEBEV)

«Nous constatons depuis plusieurs années que la rémunération du 5e quartier (abats et peau) ne suffit plus pour couvrir les frais d’abattage. Le prix de ces produits dépend principalement de marchés internationaux que nos opérateurs sont dans l’obligation de suivre. De plus, le problème de la masse salariale en Belgique ne nous permet actuellement pas de travailler ce genre de produits afin de mieux les valoriser à l’export puisque nous ne sommes pas concurrentiels. 

Nos opérateurs constatent de plus en plus qu’un déséquilibre matière se manifeste au niveau de la carcasse. Nos abattoirs abattent des bêtes et en ressortent des carcasses. Ces dernières sont toutefois découpées en quartiers ou en pièces. Nos entreprises sont chargées de trouver des moyens d’écoulement pour ces produits à faible coût afin d’éviter la croissance de stocks et le potentiel de déclassement suite à une dégradation du produit. Un écoulement de la carcasse qui n’est malheureusement pas toujours possible.

Abattoir Anderlecht

Autre constat: il nous faut beaucoup plus de carcasses à l’abattage pour permettre une sélection selon les critères définis par les retailers et les bouchers.  Les autres carcasses sont ensuite utilisées en partie pour l’export, mais surtout dans des circuits moins valorisés. 

On doit également mettre en évidence les différences de fonctionnement entre les abattoirs et les Organisations de Producteur (OP). En effet, le circuit de distribution des OP’s est mieux établi que celui du conventionnel. De ce fait, les abattoirs doivent avoir la capacité de présenter un plus gros volume de carcasse afin de répondre à la sélection affinée des acheteurs.

Malheureusement, suite à la crise du Covid et la guerre en Ukraine, nous avons subi une hausse considérable de l’ensemble de coûts de fonctionnement et de transformation (main-d’œuvre, emballage, transport…). A présent ces charges ne sont que partiellement prises en compte par les maillons suivants. Il en est de même pour l’amortissement des investissements pour satisfaire aux exigences de l’AFSCA en termes d’infrastructure et de maintien de la qualité. N’oublions pas toutes les exigences qui découlent des clients en matière de certifications, utilisations de plateformes et outils informatiques…

Il est clair que nos opérateurs se trouvent également entre le marteau et l’enclume.  Nous comprenons les revendications des agriculteurs, mais en même temps, il faut essayer d’utiliser les leviers dont on dispose pour combler ensemble ce déficit structurel, même si ça implique une révision du prix de la viande envers le consommateur. C’est la seule façon de préserver un outillage et un ancrage du secteur bovin en Belgique comme filière essentielle».

C’est bien dans tous les maillons de la chaîne du secteur viande bovine que se répercutent les conséquences de la bataille pour les prix les plus bas livrée, en fin de chaîne, par les grandes surfaces. Comme l’illustre bien Michael Gore, les abattoirs n’y échappent pas non plus.

Cette crise engendre également une baisse du cheptel bovin. Or, même si les abattages de bovins (veaux compris) en Belgique ont augmenté de 2% en 2023, cela reflète plutôt une décapitalisation qu’une hausse de la production. Le fait est que la majorité des éleveurs en activité ont plus de 60 ans et que les jeunes sont peu à reprendre des élevages du fait d’une rémunération qui n’est pas toujours à la hauteur de la masse de travail fourni. Pour ces raisons, nous pouvons donc nous attendre à une chute rapide du cheptel.

Par conséquent, alors que les petits abattoirs sont durement touchés par la hausse des coûts de fonctionnement, les gros sont confrontés à une incertitude concernant l’approvisionnement futur dû à la diminution du cheptel belge. Dans cette situation, les investissements sont difficiles à consentir. Or, ces investissements sont nécessaires pour se mettre à jour au niveau des nouvelles normes sur le bien-être animal.

Conséquences pour les éleveurs

Les conséquences, pour les éleveurs, de la fermeture d’abattoirs sont multiples, engendrant en règle générale une baisse des marges bénéficiaires. Une perspective bien sûr inenvisageable pour les éleveurs déjà en difficulté. En effet, ils devraient faire face à:

Transport de bétail
  • Des coûts supplémentaires et une logistique complexe. Les éleveurs peuvent être contraints de transporter leur bétail sur de longues distances jusqu'à l'abattoir le plus proche, ce qui entraîne des coûts supplémentaires en carburant, en main-d'œuvre et en temps.
  • Une dépendance accrue envers les intermédiaires. En l'absence d'abattoirs locaux, les éleveurs peuvent devoir faire appel à des intermédiaires pour faire abattre et traiter leur bétail, ce qui peut entraîner une dépendance accrue et des coûts supplémentaires.
  • Un stress pour les animaux. Les déplacements sur des longues distances peuvent être stressants pour les animaux générant des pertes lors de l’opération.
  • Un retard dans le traitement : Avec un nombre limité d'abattoirs disponibles, les éleveurs pourraient rencontrer des retards dans le traitement de leur bétail entraînant des retards dans la commercialisation des produits, ce qui peut avoir un impact financier direct sur leur portefeuille.

Eleveurs et abattoirs: même combat

Pour conclure, oui, la situation actuelle en Belgique est inquiétante et, oui, nous devons faire tout le possible pour ne pas tomber dans la même problématique que nos voisins. Parmi les pistes envisageables figurent les abattoirs à la ferme, mais ils ne constituent qu’une partie de la solution, sans pour autant résoudre l’entièreté du problème. Il est donc important de rappeler que les éleveurs et les abattoirs sont dans le même bateau. En temps de crise comme c’est le cas actuellement pour le secteur, il faut se soutenir mutuellement et partager les mêmes revendications.