Deux votes importantissimes

Deux votes particulièrement importants pour le monde agricole ont eu lieu cette semaine au Parlement Européen. Le premier, celui concernant la révision de la directive « Emissions industrielles » a entériné la position de nombreux défenseurs de l’agriculture en rejetant le texte et en votant pour le retour au statu quo. Le second, portant sur la proposition de loi pour la restauration de la nature, a vu approuver un texte à ce point modifié qu’il semblerait qu’il ne garde de la proposition originale que le nom. Derrière ces deux votes, un nom ressort en particulier, celui de Benoît Lutgen, ancien ministre de l’agriculture et bourgmestre de Bastogne, aujourd’hui présent à l’Europe en tant que député.

Olivia Leruth & Mathilde Guillaume

Strasbourg, le 11 juillet

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’actualité de ce début de semaine a été plutôt chargée – et productive, ce qui n’est pas toujours un synonyme – pour le secteur agricole. Alors qu’une délégation de la FWA manifestait à Namur, une autre délégation syndicale s’était elle rendue à Strasbourg pour dénoncer le caractère flou et dangereux revêtu par la proposition de loi pour la restauration de la nature. Derrière les vitres du Parlement, se votaient également les suites de la proposition de révision de la directive IED, « émissions industrielles » pour les intimes.

Dans les coulisses de ces deux dossiers européens, Benoit Lutgen, aujourd’hui eurodéputé, s’est montré particulièrement assidu et efficace pour rappeler, et convaincre, ses collègues de toute l’importance de l’agriculture dans la vie de tout un chacun. Pleinchamp a récolté son témoignage après ces deux votes décisifs.

IED - « L’agriculture wallonne et européenne enfin respectées »

Le vote du parlement européen aura donc finalement suivi les positions du Bastognard, rapporteur de la Commission agricole dans ce dossier. « C’est une excellente nouvelle pour le secteur ! » se félicite-t-il à peine la journée terminée. « On a bataillé ces derniers mois contre la Commission, puis contre le Conseil européen. Evidemment, je n’étais pas seul. C’est un combat que nous avons mené à plusieurs, avec quelques-uns de Renew (libéral, Ndlr) et S&D (social-démocrates, Ndlr), puisque c’étaient surtout les verts qui voulaient inclure l’élevage bovin dans cette directive. Et contre la Belgique aussi, puisqu’elle avait accepté cette révision ».

Benoit LutgenPour Benoît Lutgen, cette révision de la directive IED était une aberration. « L’agriculture n’a absolument rien à faire dans cette directive. C’est un texte qui s’applique aux raffineries, cimenteries, incinérateurs,… L’impact que cela allait avoir financièrement était insoutenable, on parle de dizaines de milliers d’euros pour les agriculteurs, pour un bénéfice environnemental faible voire nul ! » fustige-t-il. « C’était une pure folie sur le plan environnemental ET sur le plan économique, qui allait seulement rajouter une pression supplémentaire sur les élevages bovins, qui n’en ont pas vraiment besoin ».

Quant à la clarté du vote (367 voix pour, 245 voix contre), Benoît Lutgen la considère comme particulièrement révélatrice : « Après avoir passé des jours, des nuits dessus, on a eu ce vote favorable, ça montre combien ils se sont lourdement trompés dans le dossier, pour qu’il y ait une majorité si importante contre l’inclusion de l’élevage bovin ». Car en effet, l’inclusion de l’élevage bovin dans cette directive aurait eu pour conséquence assez contradictoire de voir nombre de bovins enfermés à l’étable. « Certains souhaiteraient que les vaches ne soient plus en prairies, mais dans des boîtes avec des purificateurs d’air… Mais ce n’est pas notre réalité, ce n’est pas notre modèle ! » s’agace-t-il. « Que la Commission agricole le dise, c’est une évidence, mais que la majorité du parlement le soutienne, c’est vraiment une belle victoire qui a une portée symbolique, et qui pourrait avoir des conséquences sur d’autres dossiers ».

La loi pour la restauration de la nature, un même combat ?

Et lorsque l’on entend Benoît Lutgen parler des conséquences sur d’autres dossiers, on ne peut s’empêcher de lorgner avec lui vers le vote survenu le lendemain, concernant le projet de loi pour la restauration de la nature. Un projet qui a lui aussi fait couleur beaucoup d’encre, sans doute même plus que celui des émissions industrielles, puisqu’il a cristallisé toutes les tensions ces dernières semaines, semant le doute à coup de vote de rejet, de reports, de refus de vote de rejets, de propositions d’amendements … Il faut avouer qu’il semble de plus en plus difficile d’y retrouver son latin !

Et en effet, si le texte a finalement été voté au Parlement ce mercredi, c’est au prix de pas moins de 136 amendements. Parmi ceux-ci, Benoît Lutgen en relève trois dont il est particulièrement fier, lui qui travaille depuis de nombreux mois à rencontrer d’autres parlementaires pour exprimer sa vision des choses :  « Premièrement, la préservation du budget de la Politique agricole commune, donc qu’on n’aille pas chercher dans les moyens qui sont destinés aux agriculteurs pour restaurer la nature. Le Parlement demande qu'il y ait un budget spécifique avec des moyens spécifiques pour restaurer la nature et ainsi rassurer les agriculteurs, forestiers et autres professions liées à la nature qu’ils auront des moyens pour restaurer la nature. Ce premier élément était extrêmement important, puisque sans financement, rien n’est possible. Ce serait même pire que sans financement, puisque cela aurait été aller chercher des moyens indirectement dans la poche des agriculteurs. Nous avons donc obtenu des garanties de moyens budgétaires ».  

A côté de cela, pour l’eurodéputé, il était également important de pouvoir prendre du recul régulièrement et pouvoir adapter les règles en cas de changements dans l’actualité : « Le deuxième amendement que j'avais avancé et qui est passé, ce sont les clauses de rendez-vous: c’est-à-dire vérifier chaque année s'il y a des tensions sur le marché, si on a la sécurité alimentaire, si on produit suffisamment en Europe… Il s’agit donc d’un monitoring annuel pour vérifier que tout se passe bien, et si ce n’est pas le cas, qui devrait permettre de corriger le tir en fonction des informations recueillies ».

Enfin, « le troisième amendement proposé concernent les clauses-miroirs. C’est-à-dire imposer les mêmes mesures, les mêmes normes que les produits européens aux produits agricoles qui rentrent sur le territoire européen » conclut-il.

Faut-il voir dans ces votes un changement dans l’air du temps ?

A cette question, Benoît Lutgen semble un peu hésiter avant de répondre : « Il y a deux choses à relever ici. La première, c’est que souvent, ce sont ceux qui sont les plus éloignés de la nature et de l’agriculture qui aiment donner des leçons sur le sujet. Ensuite, il y a ce côté choquant à mettre l’agriculture dans cette division, cela renvoie l’image selon laquelle l’agriculture européenne serait industrielle, mais c’est faux. Maintenant, ce n’est pas pour autant qu’elle ne doit pas s’améliorer. Mais ce n’est pas parce que quelque part, dans un bureau européen, quelqu’un appuie sur un bouton que tout le monde sur le terrain change sa manière de travailler. Ça ne fonctionne pas comme ça, il faut du financement. Et l’on ne peut pas, en Europe, être les champions en termes de règlements pour nos agriculteurs, et les plus mauvais en termes de financement » conclut-il simplement.

ZOOM FWA

La FWA tient à remercier Monsieur Lutgen pour son travail en tant que rapporteur sur le dossier IED.

Nous émettons plus de réserves quant au résultat du vote sur la loi sur la restauration de la nature. Pour nous, le vote d’hier est le reflet de ce que nous dénonçons depuis longtemps maintenant : un accord sur le principe de restaurer la nature, mais des mesures de mise en œuvre qui sont profondément mal pensées. Bien que les amendements proposés par M. Lutgen constituent des avancées indéniables, les objectifs contenus dans le texte qui servira comme base pour la suite des négociations n’en restent pas moins inatteignables. Enfin, l’impact sur le secteur agricole en ressort encore plus flou. La FWA continuera à suivre de près la suite des négociations, qui devraient commencer très prochainement.