Les incidences pour le secteur agricole de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont été largement discutées en Commission du Parlement wallon. Le Ministre Borsus revient pour nous sur la situation des agriculteurs wallons, au centre de ses préoccupations. «Les événements d’aujourd’hui nous rappellent brutalement que la mission nourricière de l’agriculture est fondamentale. Certains avaient tendance à le négliger».

 

Ronald Pirlot

 

Pleinchamp: En quelques mots, comment définiriez-vous la situation actuelle du secteur agricole wallon au regard des événements en Ukraine?

borsus w  Willy Borsus: La situation que nous vivons est tout à fait exceptionnelle et permettez-moi d’adresser mes premières pensées à l’Ukraine et à   sa population, qui vivent un véritable drame. D’un point de vue agricole, nous observons une situation très chahutée, avec des variations de     prix,  des incertitudes sur la disponibilité de certaines matières, de grosses craintes face à la question de la souveraineté alimentaire en Europe   comme à l’extérieur… Régulièrement dans mes discours, j’évoquais les piliers et cette mission nourricière de l’agriculture que certains avaient   tendance à négliger. Les événements d’aujourd’hui nous rappellent brutalement qu’elle est fondamentale.

 

PC: Certains pans agricoles vous paraissent-ils plus exposés?

WB: Je pense au secteur du blé vu que l’Ukraine et la Russie sont deux grands exportateurs, mais aussi le maïs. Nous sommes dans une économie mondiale, avec ses effets en cascade, notamment liés aux coûts de l’énergie. La situation sur le plan des marchés agricoles est particulièrement incertaine, tout comme le coût et la disponibilité de certaines matières. D’où l’importance de la production. Je soutiens bien évidemment les objectifs environnementaux, mais il faut les atteindre de façon raisonnable et raisonnée au regard de la situation. Quand des études nous disent que la stratégie de la «Ferme à l’assiette» risque de réduire la production alimentaire de 10 à 15%, il faut aussi pouvoir l’entendre pour ne pas être directement en difficulté en cas de conflit armé. Je le répète, la transition écologique est nécessaire et je ne la remets pas du tout en cause, mais je suis aussi très attentif à la situation.

 

Tout faire pour soulager les trésoreries

PC: L’Europe a annoncé un premier paquet d’aides aux agriculteurs (lire par ailleurs), dont une enveloppe de 500 millions d’€ à répartir entre les Etats membres, soit 6,27 millions d’€ pour la Belgique. Laquelle peut décider d’apporter une aide complémentaire aux agriculteurs équivalent au double de cette somme. Serait-ce le cas?

WB: L’enveloppe reçue est nationale. Dans un premier temps, nous allons devoir veiller à sa répartition, vraisemblablement au niveau des régions. Mon intention est effectivement d’apporter le complément pour le volet régional.

 

PC: De même, l’Europe a décidé de permettre des avances accrues pour les paiements directs, histoire d’aider les agriculteurs en mal de trésorerie. A quoi ceux-ci peuvent-ils s’attendre?

WB: Tout ce qui pourra être fait pour soulager les problèmes de trésorerie sera entrepris. Les agriculteurs avec qui j’ai discuté m’ont tous fait part de leurs difficultés face à l’explosion du coût des intrants. Je comprends totalement que pour un exploitant confronté à des engagements en matière d’investissement, la forte hausse des prix de l’énergie, des engrais, des matériaux de construction… n’est pas simple du tout à gérer et que nous devons agir.

 

Energie, engrais et secteurs les plus impactés

 

PC: D’un point de vue plus global, vous avez salué, mardi au Parlement wallon, ces aides européennes, tout en indiquant qu’il fallait allez plus loin. A quoi pensez-vous?

WB: Nous devons aller plus loin sur le plan du prix de l’énergie, des engrais et du soutien envers les secteurs les plus impactés. Je m’explique. En matière d’énergie, nous voyons les répercussions de l’explosion des coûts sur le monde agricole et l’agroalimentaire. Il faut arriver à fixer un prix énergétique maximum pour les fournitures européennes, pratiquer des achats globaux à l’échelle de l’Europe et mettre en place un plan d’urgence pour tendre vers l’indépendance énergétique. De même, il nous faut mettre en place une stratégie européenne en matière d’engrais. Enfin, certains secteurs comme les fruits et la viande porcine se retrouvent une nouvelle fois en difficultés. Des mesures spécifiques pour les producteurs les plus impactés s’avèrent nécessaires.

 

PC: Nous voici à quelques mois de l’entrée en vigueur de la nouvelle PAC et les Plans Stratégiques Nationaux n’ont pas encore été entérinés par l’Europe. Difficile pour l’agriculteur d’anticiper ses éventuelles futures obligations dans ces conditions?

WB: Vous avez raison, une ferme ne se conduit pas comme un vélo. Il est important que l’agriculteur ait connaissance de ce qui l’attend car tout changement d’orientation se doit d’être anticipé. Dans sa dernière communication, le Commissaire a indiqué que si aucun des dossiers reçus ne pouvait être approuvé tel quel aujourd’hui, aucun ne pouvait non plus être rejeté. Les pourparlers se poursuivent pour préciser certaines choses, mais nous sommes dans la bonne voie.

Je voudrais également souligner que j’ai été particulièrement frappé par le changement de tonalité observé à la Commission et auprès des Etats membres. Là où la préoccupation environnementale était encore dominante ces derniers mois, l’on observe désormais un rééquilibrage du curseur vers la préoccupation nourricière. Une fois encore, il faut, selon moi, viser un équilibre raisonné entre ces différentes préoccupations.

 

PC: Pour en revenir à la PSN et sachant qu’une fois qu’elle sera entérinée, il est envisagé de poursuivre le dialogue pour en adapter certains points à la situation en Ukraine. Dans ces conditions, l’échéance du 1er janvier 2023 reste-t-elle tenable pour son entrée en vigueur?

WB: Il n’est pas question d’un report au niveau européen. Ma demande, et je crois que l’on s’oriente vers ça, c’est qu’il y ait des espaces de souplesse sous forme de dérogations dans la mise en application de certaines mesures. Mais il ne devrait pas y avoir des modifications de trajectoire à long terme.

 

PC: Voici quelques mois encore, l’agriculteur jouissait d’une image négative, le secteur étant régulièrement pointé comme la cause de nombreux maux (pollution, inondation…). Aujourd’hui, l’agriculteur est présenté comme le sauveur de l’humanité. Faut-il parler de versatilité de l’opinion publique?

WB: Je parlerais plutôt d’une partie de l’opinion publique, car de nombreux concitoyens ont reconnu l’importance de celles et ceux qui élèvent et cultivent durant le Covid. Mais il faut bien reconnaître que certains crient haro en toutes circonstances sur l’agriculture et là, je ne suis pas d’accord. La situation dramatique que nous vivons aujourd’hui démontre de manière éclatante le besoin fondamental de ces hommes et de ces femmes de la terre. Mon souhait, c’est que le respect du secteur ne soit pas lié à des éléments de crise, mais qu’il soit durable, en temps de guerre et de paix.