Alors que la nouvelle PAC avance enfin vers une concrétisation, 3 récentes études sèment le doute sur l’efficacité réelle des stratégies développées par l’Europe dans le cadre du Green deal. Ces études indépendantes montrent en effet qu’en plus de faire peser un risque majeur sur le secteur agricole et la souveraineté alimentaire européens, ces stratégies risquent de passer à côté des objectifs environnementaux qu’elles ciblent. En outre, les consommateurs européens en paieront les conséquences : augmentation des prix alimentaires et croissance des importations de produits de nettement moins bonne qualité.

D’ici 3 mois au plus tard, la Wallonie devra présenter à l’Europe son plan stratégique pour la mise en œuvre de la PAC sur son territoire. La FWA s’inquiète fortement des perspectives que laissent entrevoir ces 3 études et demande qu’au niveau wallon, on s’appuie sur des chiffres probants et des données scientifiques pour décider des directions que prendra ce plan déterminant pour l’avenir de notre agriculture familiale.

 

Les rapports et analyses sur les effets des stratégies européennes du Green deal se succèdent et font tous le même constat : les stratégies « De la ferme à la table », biodiversité et climat inscrites au programme de l’Union européenne risquent de faire très mal au secteur agricole du vieux continent, ainsi qu’à ses consommateurs, et ce sans atteindre les résultats attendus concernant les défis environnementaux.

Le Département américain de l’Agriculture, l’université de Kiel (Allemagne) et même le Centre de Recherche Commun (qui n’est rien de moins que le service scientifique interne de la Commission européenne) sont tous d’accord : ces stratégies, et en particulier « De la ferme à la table », vont diminuer la compétitivité de notre agriculture, et le bien-être de nos concitoyens.

 

BAISSE DE PRODUCTION

Selon les différents rapports cités ci-dessus, la stratégie « De la ferme à la table » dans son état actuel et dans le contexte de la future PAC, amènerait à une baisse drastique de la production agricole européenne.

Pour rappel, cette stratégie s’articule autour de 5 objectifs majeurs :

  • La réduction de l'utilisation d'engrais minéraux de 20%;
  • La réduction de l'utilisation de pesticides de 50%;
  • La réduction de l'excédent de la balance azotée de 50%;
  • La part des caractéristiques paysagères à haute diversité d'au moins 10%;
  • La part de l'agriculture biologique d'au moins 25%.

En intégrant ces 5 objectifs, l’Université de Kiel et le Centre de Recherche Commun arrivent à la conclusion que notre production européenne diminuerait de la manière suivante:

  • De - 15% à - 20% pour la viande bovine
  • - 15% pour la volaille et le porc
  • De -6,3% à -10 % pour le lait
  • De -13% à -21,4% pour les céréales
  • -20% pour les oléagineux

Le nombre d'animaux serait encore plus réduit, avec une diminution de -45% pour les bovins d'engraissement et de -13,3% pour les vaches laitières et les jeunes bovins, tandis que les superficies consacrées aux céréales et aux oléagineux ne seraient réduites que de, respectivement, -2,6% et -6%.

 

COÛTS DE PRODUCTION/ PRIX/ REVENUS

Selon ces mêmes études, on assisterait en parallèle à une hausse drastique des coûts de production pour les agriculteurs européens. Selon le Département américain de l’Agriculture, celle-ci serait de 10% environ.

L’étude de l’université de Kiel envisage, par contre, qu’une hausse importante des prix viendrait compenser tant la baisse de production couplée que la hausse des coûts.

C’est omettre la possibilité que les opérateurs des filières alimentaires européennes se tournent vers des productions issues de pays tiers, aux standards environnementaux et sociaux moins élevés, et dès lors, aux coûts de production plus faibles. C’est un scénario que nous connaissons hélas bien, et dont on peut craindre qu’il se généralise dans un contexte comme celui que propose la stratégie « De la ferme à la table » couplée à la PAC et aux autres stratégies du Green deal.

Cette hypothèse est renforcée par le fait que l’étude de Kiel annonce par ailleurs des hausses de prix très nettement inférieures dans les pays tiers, ce qui renforcerait la distorsion de concurrence entre les produits européens et les produits issus de pays hors EU. Ainsi par exemple, là où on estime à 58% la hausse du prix de la viande bovine en Europe, elle ne serait que de 7.4% ailleurs en moyenne. Pour les céréales européennes, une hausse de prix de 12.5% est envisagée, contre 3.8% pour les céréales hors Europe. Ce schéma est le même pour chaque production analysée.

De plus, nous redoutons de voir apparaître, en Europe, une dualisation des capacités d’accès à l’alimentation, avec des consommateurs plus aisés pouvant s’offrir une alimentation européenne de qualité et plus onéreuse, et d’autres, plus précarisés, devant se nourrir d’importations aux standards nettement moins favorables mais meilleur marché. L’étude de Kiel évalue que le bien-être général du citoyen européen serait diminué partout, et en particulier dans certains Etats membres où le taux de pauvreté moyen est déjà très élevé, comme en Roumanie par exemple.

Cchaque citoyen européen paierait en effet quelques 157 euros de plus chaque année pour se nourrir. Il est intéressant de comparer ce coût supplémentaire par habitant à ce que représente en réalité le budget de la PAC par citoyen européen : pour la programmation future, avec un budget total de 55.713 milliards d’euros,  la PAC coûtera approximativement 125 euros par an et par habitant.

 

 

SOUVERAINETE ALIMENTAIRE / HAUSSE DES IMPORTATIONS

Les 3 études publiées s’accordent sur une hausse des importations de produits agricoles en Europe.

Notre continent perdrait son statut d’exportatrice de produits agricoles pour devenir importatrice nette dans plusieurs de nos productions agricoles traditionnelles, dont les céréales (6,5 millions de tonnes importées) ou la viande bovine (950 milliers de tonnes importées). Dans le même temps, les importations actuelles de protéagineux  (17 millions de T actuellement) connaîtraient une hausse allant jusqu’à 22 millions de tonnes. En fruits et légumes, nous importerions quelques 12 millions de tonnes supplémentaires à l’échelle de l’Europe.

Il faut dès lors rappeler qu’il est capital que l’Europe se montre cohérente dans ses stratégies.

On ne peut développer des politiques dont l’objectif affiché est de soutenir son agriculture dans un processus de durabilité, et en même temps, mettre cette même agriculture en concurrence avec des productions étrangères à bas prix et de piètre qualité. Les accords commerciaux conclus par l’Europe peuvent également être incriminés comme participant à cette même incohérence.

Enfin et surtout, il est capital de rappeler que la souveraineté alimentaire est un enjeu stratégique majeur. Assurer de façon indépendante notre capacité à nourrir nos populations est un acquis dont il faut reconnaître que la PAC, dans sa philosophie initiale, est l’une des responsables, grâce à la capacité d’adaptation remarquable dont ont fait preuve les agriculteurs européens depuis sa mise en œuvre.

La PAC et le Green deal remettent gravement cet acquis en question, ce qui est extrêmement préoccupant. Sans compter que si l’agriculture ne devait plus être suffisamment rémunératrice pour les hommes et les femmes qui exercent cette profession, ce sont ces mêmes agriculteurs qui disparaitront et avec eux, toute l’économie en amont et en aval de cette production primaire.

 

IMPACT ENVIRONNEMENTAL ET CLIMATIQUE

Tant l’université de Kiel que le Centre de Recherche Commun prévoient que la PAC et le Green deal auront un effet de réduction du stockage de CO2 dans le secteur de l'UTCF allant jusqu’à 50 millions de tonnes de CO2eq, en raison de la déforestation de zones boisées pour transformation en surface agricole utile.

En effet, les stratégies européennes combinées ont en réalité pour effet de conduire à une délocalisation d’une part de notre production alimentaire vers des pays tiers. En plus des effets de la déforestation évoqués ci-dessus, les études envisagent des émissions supplémentaires de GES de 54,3 millions de tonnes de CO2eq dans le secteur agricole des pays non-membres de l'UE.

Donc, en résumé, ces stratégies visant à une amélioration du bilan environnemental et climatique européen pourraient bien avoir exactement l’effet inverse. Un triste constat qui n’est guère contrebalancé par LA note positive de ces études, soit la promesse d’un potentiel gain de biodiversité de 12%.

 

L’AGRICULTURE WALLONNE ET SES ATOUTS

Pour rappel, la surface agricole utile wallonne représente quelques 733.715 ha, soit 44 % de la superficie totale de la Wallonie.

En moyenne, les exploitations gèrent une superficie de 57,6 ha.

Avec 55,6%, les cultures fourragères et les prairies couvrent plus de la moitié de la SAU wallonne et servent à alimenter nos élevages bovins présents dans 60% des exploitations wallonnes. Sans ces élevages d’herbivores, nos vertes prairies (dont on connaît les bénéfices environnementaux et climatiques) ne représenteraient plus une telle part de la surface agricole.

 

Le revenu du travail en agriculture par unité de travail s’élève, en 2019, à 21 132 €/UT, soit moins de la moitié du revenu comparable. Bien que ces chiffres soient des moyennes, il est clair que l’écart entre les revenus du monde agricole et des autres secteurs se creuse, puisque le revenu agricole était équivalent à 68% du revenu comparable en 2000 et à 44 % en 2019.

Il existe donc un réel problème en termes de durabilité économique et sociale pour notre secteur agricole wallon, et notre difficulté à convaincre des jeunes motivés à s’engager dans la profession en est une illustration inquiétante.

En parallèle, et pour ce qui concerne le troisième pilier de la durabilité (et l’objectif majeur du Green deal), il faut rappeler que la contribution à la production de gaz à effet de serre du secteur agricole belge est de 8% seulement alors qu’elle est de 25% environ pour l’agriculture mondiale. Mieux, notre secteur a réduit ses émissions de près de 20% en 30 ans ! 

Pour la FWA, cela signifie qu’il faut d’abord saluer les efforts déjà fournis par le secteur. Il faut surtout reconnaître que notre modèle agricole wallon, basé sur une forte liaison au sol, et sur un équilibre entre les cultures et l’élevage, est un modèle qui fait ses preuves sur le plan climatique. 

En conséquence, il doit être vu comme un allié porteur de solutions, et doit être soutenu et préservé.

 

EN CONCLUSION

Les agriculteurs wallons ont la ferme volonté de s’engager dans les défis qui se posent à notre société, en particulier sur les plans environnemental et climatique.

Ils ont besoin, pour pouvoir le faire, d’un contexte cohérent, qui assure la viabilité de leurs exploitations, ce dont nous sommes loin aujourd’hui, et dont les études mentionnées ci-dessus font penser qu’on ne se rapprochera pas dans le cadre de la future PAC associée au Green deal.

La FWA demande au gouvernement wallon de diffuser les chiffres des études et scénarios réalisés dans la perspective de la définition du plan stratégique de notre région pour la PAC, et exhorte celui-ci à s’appuyer sur ces chiffres, ainsi que sur ceux des 3 études citées ci-dessus, pour concevoir un plan réaliste, applicable au quotidien , qui aide les agriculteurs wallons à poursuivre leur transition vers encore plus de durabilité, en tenant compte des réels impacts environnementaux, sociaux et économiques des mesures envisagées.