Intervenants de tous horizons

Le Congrès FWA s’est tenu ce mercredi 21 février à la ferme de Mehaignoul à Meux. Ce lieu prestigieux a accueilli plus de 350 personnes pour une soirée de haut vol sur la durabilité en agriculture, avec des intervenants de divers horizons: politiques, scientifiques, entrepreneurs inspirants, syndicalistes…

Mathilde Guillaume

Durant cette soirée d’échanges articulée autour de trois tables rondes, les intervenants ont su vulgariser une thématique assez complexe et la mettre en perspective avec les défis et spécificités du secteur agricole pour poser la question de l’agriculture de demain.

Introductions

C’est Marianne Streel, Présidente de la Fédération Wallonne de l’Agriculture, qui ouvre le bal de ce congrès.

Marianne Streel

L’actualité est agitée et le moment historique. Les colères des agriculteurs s’expriment dans toute l’Europe: ils se font entendre, mais surtout écouter. Le thème de la durabilité est donc plus que pertinent dans ce contexte d’avenir flou, afin de comprendre comment faire des défis d’aujourd’hui une opportunité de demain.

Daniel-Henri Sparmont

Daniel-Henri Sparmont, président de l’Assemblée des Jeunes FWA, évoque ensuite son avenir, qu’il estime plus qu’incertain actuellement: «J’aime mon métier, mais je suis inquiet. Je ne suis pas sûr que je vais pouvoir travailler et nourrir le monde demain.» Les agriculteurs sont déjà inscrits dans la durabilité et y travaillent chaque jour. S’il faut en faire plus, il faut que tout le monde s’y mette, pas juste les agriculteurs. La durabilité ne se fera pas sans agriculture et l’agriculture ne se fera pas sans les femmes et hommes qui travaillent la terre. Vivre de l’agriculture est un rêve, mais il y a de grosses difficultés à le réaliser. La crise agricole actuelle pèse beaucoup sur les agriculteurs, il faut pouvoir les soulager, surtout les jeunes. Il faut travailler tous les maillons main dans la main car «il n’y a pas d’agriculture B.»

Table-ronde «Reporting non-financier des entreprises »

Honneur aux dames, c’est Caroline Decoster, senior advisor à l’UWE, qui introduit le sujet

Table ronde Congrès 2024

en expliquant les différents acronymes liés à la durabilité: ODD (Objectifs de développement durable), critères ESG (environnement social gouvernance), RSE (responsabilité sociétale des entreprises)… Guy Paternoster, CEO de la Raffinerie Tirlemontoise, explique quant à lui les impacts positifs et négatifs qu’a concrètement ce reporting sur son entreprise, ainsi que les défis futurs qui y sont liés.

Willy Borsus, Ministre wallon de l’Agriculture, rebondit sur l’actualité du GT simplification administrative qui a eu lieu le jour avant pour rappeler que ce qui est demandé aux agriculteurs doit à la fois être praticable et coller à la réalité de terrain, et qu’il est nécessaire d’avoir les outils disponibles pour préparer les échéances de ces plans d’actions. Il faut aussi faire attention aux dérives, par exemple que le secteur agricole ne devienne pas un secteur à risque pour les banques.

Benoit Lutgen, eurodéputé, ouvre son allocution sur une évidence pourtant essentielle à rappeler: «L’agriculture wallonne est durable aujourd’hui.» et ce sont des études et statistiques qui le disent. Tout ce qui rentre sur le territoire européen doit avoir cette même durabilité. Une attention particulière doit être apportée à la concurrence déloyale dans l’Union européenne (UE). Il a d’ailleurs fait des propositions dans ce sens notamment par rapport à la loi de la restauration de la nature: fini les 10% de l’exploitation réservé à la protection de la nature, il y aura aussi un financement propre hors PAC, ainsi qu’une clause de sauvegarde de la sécurité alimentaire…

Eric Froidmont, directeur scientifique au CRA-W responsable du projet DECiDE, présente brièvement les objectifs de son logiciel qui permet d’évaluer les impacts environnementaux, les performances socio-économiques et la durabilité globale des exploitations agricoles wallonnes. Dans les prochains mois seront implémentés les modules ovins lait et ovins viande. D’autres modules feront encore leur apparition sous peu.

Lors du deuxième tour de table, Caroline Decoster met en évidence que les exercices de rapportages s’imposeront aux entreprises à un moment, quoi qu’il arrive. Il faut donc anticiper, le défi étant de récolter les données utiles à l’exercice. Il sera important d’être accompagné pour le faire, c’est un travail complexe.

Guy Paternoster a élaboré avec des experts 6 piliers à travailler pour améliorer l’impact environnemental: les bandes fleuries, les analyses de sol, une réduction d’azote minéral, la collecte des données, les fiches parcelles, la score card. Il conseille aussi de faire attention de ne pas vendre les crédits carbones trop rapidement, cela peut sembler intéressant, mais vous en aurez besoin pour la filière de vos produits.

La durabilité va entrainer un surcout, Willy Borsus appuie dès lors l’importance des outils d’aide comme DECiDE, mais aussi d’une approche uniformisée des ESG auprès des interlocuteurs, ainsi que des outils d’accompagnement. Il est important aussi de ne pas ruiner tous les efforts fournis en durabilité en important des produits qui ne respectent pas les mêmes normes, les clauses miroirs sont donc essentielles.

Pour Benoit Lutgen, on avance au niveau des clauses miroirs, mais trop lentement. La taxe carbone existe, mais seulement pour les matières premières, ce qui crée des tensions, des concurrences mondiales. Certaines normes sont aussi contre-productives, voire des non-sens: par exemple, l’agriculture n’aurait jamais dû se retrouver dans la directive IED. Plus les normes sont complexes, plus elles touchent durement les plus petites exploitations, qui ont moins de budget et de ressources à y consacrer.

Arnold Puech-d’Allisac, président de l’Organisation mondiale des agriculteurs, arrive avec un peu de retard: pour lui, aucun agriculteur ne refusera d’aller vers plus de durabilité, mais il lui faut les outils pour y arriver. Les NGT aurait pu aider par exemple, mais on est parti dans une direction trop vite, trop loin, sans solution, il faut le reconnaitre et ce n’est pas gênant de faire marche arrière!

Eric Froidmont conclut cette table ronde sur l’agriculture de demain. Le secteur agricole fait face à des défis sociétaux énormes, mais fait partie de la solution. Elle sera plus résiliente, garante de la sécurité alimentaire et ancrée dans les filières territoriales. La transition est en route, mais elle a/aura un coût. La question est qui le payera? Ce n’est pas aux agriculteurs seuls de le faire, mais aussi aux filières, et la société doit se donner les moyens de ses ambitions. Les produits mis en vente doivent d’ailleurs correspondre à la demande sociétale: si on a des produits avec plein de normes, mais qui n’intéressent pas le consommateur, cela n’a pas de sens.

Arnold Puech-d’Allisac rebondit sur ce point, en disant que le consommateur ne consomme déjà pas les choses qui sont bonnes pour sa santé, il y a donc peu de chance qu’il le fasse pour sauver la planète. C’est plutôt la grande distribution et les restaurateurs qui doivent nous aider, en ne nous mettant pas en concurrence avec des produits qui ne respectent pas nos standards. Benoit Lutgen rajoute qu’en Belgique, on essaie de faire changer les choses au niveau des marchés publics pour qu’il y ait une exception agricole et donc une préférence pour le local.

Table-ronde «Finance, durabilité et environnement»

Philippe Voisin, CEO de Crelan, introduit cette table ronde avec les trois volets de la finance durable (solidaire, responsable et verte), un concept développé après la crise de 2008. Les ODD, le Green Deal…

Table ronde Congrès 2024

Les banques servent de plus en plus de moyen pour mettre en place ces nouveaux plans. Personne ne peut remettre les objectifs de durabilité en question, l’inflation normative s’impose, mais on doit s’améliorer sur la méthode pour l’appliquer: l’UE contraint pour l’instant juridiquement les États membres, et donc indirectement les banques.

David Clarinval, Ministre fédéral de l’agriculture, va à contre-courant des autres en affirmant que «c’est une très mauvaise chose que les critères ESG ou la finance verte s’appliquent en agriculture.» Cela empêche des acteurs économiques d’exercer en Europe. Si les critères ESG des agriculteurs sont mal côtés, par exemple à cause de l’utilisation des produits phytosanitaires, il y a un risque majeur de ne plus financer leurs activités. L’agriculture en Europe est déjà vertueuse, durable et respecte des critères environnementaux qui ne sont respectés nulle part ailleurs. Cessons donc ces mesures qui vont impacter les investissements futurs.

Philippe Henry, Ministre wallon du climat et de l’énergie, est plus optimiste : «Je vois le point de départ du Green Deal comme une opportunité d’un avenir pour nous tous.» Le dérèglement climatique se fait déjà ressentir chez nous, et va continuer à s’amplifier. Il faut en tenir compte et s’adapter. L’Europe a fait le choix d’être un des pionniers de la décarbonisation. Il y a donc des contraintes, mais aussi de belles opportunités (agrivoltaïsme, biométhanisation…).

Yvan Verougstraete, chef d’entreprise et tête de liste à l’Europe pour les Engagés, avance que le combat des agriculteurs est un symptôme d’une lutte plus globale contre la globalisation du marché. Il y a une concurrence sur tous les aspects dans cette globalisation. Avoir des standards plus élevés a un coût et afin de lutter, «on a besoin de réussir plus d’Europe pour pouvoir peser sur le marché mondial.» Avec le Green Deal, on a fait la moitié du chemin, soit on continue, soit on fait marche arrière. Il faut pour lui oser foncer vers l’avant, mais en se protégeant, et en respectant tous les mêmes règles de jeu.

Arnold Puech-d’Assilac appuie l’adaptation nécessaire aux changements climatiques, tout en sachant que les coûts de l’énergie traditionnelle vont continuer à grimper. Pour baisser les émissions, il est essentiel de créer un marché du carbone suffisamment large. Crelan a toujours été liée à l’agriculture. Ils ont construit avec la FWA et l’ABS un questionnaire assez simple pour évaluer les investissements en matière de durabilité, pour répondre à la question de la consommation de CO2 des fermes et à son impact possible sur les taux.

La stratégie Farm to Fork représente une perte de production de 15%, ainsi qu’une augmentation des coûts pour les consommateurs de 10%. Le reste du monde ne va cependant pas dans ce sens-là. David Clarinval souhaite voir rémunérer les agriculteurs pour toutes les obligations environnementales du Green Deal non reprises dans la PAC.

Philippe Henry soutient qu’on ne peut s’aligner sur des pays comme la Chine, ça serait la mort de l’agriculture et du monde. On doit faire le choix de préserver notre modèle européen en agissant à la fois sur les marchés intérieurs et sur les échanges internationaux. Concernant le revenu trop faible des agriculteurs, il faut une analyse sur les marges et sur les pratiques agricoles qui évoluent.

Yvan Verougstraete réitère son propos: si l’Europe impose quelque chose, elle doit pouvoir donner les moyens à ses entreprises, aux agriculteurs, de se protéger contre la concurrence. «Quand on délocalise, on ne gagne ni au niveau environnemental, ni au niveau économique.» Il évoque plusieurs propositions faites par les Engagés pour travailler sur le prix: que les fédérations puissent directement interpeller l’Observatoire des prix, que le Roi définisse lors de risques importants sur le marché un prix minimum et maximum (mesure temporaire) ou encore d’établir des contrats écrits, avec notamment la grande distribution, qui empêcheraient de vendre à perte.

Arnold Puech-d’Assilac conclut cette table ronde en rappelant l’importance de la cohérence dans la mise en œuvre les directives du Pacte Vert et des obligations commerciales. Il insiste aussi sur le «Pas d’interdiction sans solution», tout le monde doit travailler ensemble pour trouver ces solutions. Dans le contexte actuel, on a vu que l’arme alimentaire est fondamentale, il ne faut pas devenir dépendant des autres nations.

L'avis des agriculteurs

Joseph Vancaster (agriculteur à Hamme-Mille)

«On avait déjà entendu parler des ESG, mais sans savoir vraiment ce que ça recouvrait.

Joseph Vancaster

Il y a évidemment toutes ces abréviations avec lesquelles on commence à se familiariser, certaines qu’on ne connaissait pas du tout, c’était donc vraiment intéressant d’avoir une explication à ce sujet. Si je ne devais retenir qu’une chose de ce premier panel, c’est ce qui s’est passé à la fin, quand messieurs Lutgen et Puech d’Alissac ont terminé en rappelant que c’est une bonne chose de nous imposer des normes, mais qu’il faut justement éviter que d’autres produits viennent sur notre territoire avec d’autres normes, plus faciles, pour nous concurrencer. Evidemment, tous les intervenant se complétaient vraiment bien, mais ce sont ces deux interventions qui résument pour moi le mieux la première partie. C’est là qu’il fallait arriver».

Benoît Cassart (agriculteur et Secrétaire de la Fédération du commerce de bétail)

«On met énormément de pression aujourd’hui sur tous les maillons de la chaîne pour la durabilité, mais comme le disait Monsieur Borsus, il faut regarder ce qui vient d’ailleurs pour que cela reste équilibré.

Benoit Cassart

La phrase qui résume le mieux les choses, c’est : le mieux est l’ennemi du bien. Si on veut exiger le trop de nos opérateurs, que ce soit le maillon primaire ou tous les intermédiaires ou tous les distributeurs, ce qui risque d’arriver quand cela devient impossible, c’est qu’on arrête. Il y a un équilibre à préserver entre l’économie et le reste. Et je crois qu’aujourd’hui, c’est le devoir des pouvoirs publics de regarder les filières qui sont durables, ce n’est pas encore l’agriculteur qui doit calculer le soir, chez lui, quel est son impact… A un moment donné, c’est un travail qui doit être fait par les universitaires, par les pouvoirs publics et par la société. L’agriculteur a déjà assez de travail et il doit gagner sa vie. Les propos que l’on a entendus ce soir me font un peu peur, nous sommes actuellement en manifestation contre la surcharge administrative, et ici je n’ai pas l’impression que l’on aille dans le sens d’une simplification».

Ludovic Dawagne (Membre de l’Assemblée des Jeunes de la FWA)

«Du deuxième panel, j’ai surtout retenu que les reprises vont toujours être plus compliquées,

Ludovic Dawagne

avec les normes CO et les calculs qui vont être mis en place. Ce sont des choses qui m’inquiètent car je vais reprendre justement, et je me pose la question de savoir si je vais être dans les conditions ou pas. Je n’ai pas encore eu l’occasion de faire des calculs à ce sujet, je vais rencontrer la banque pour pouvoir montrer le projet, mais ça reste mon objectif de reprendre l’élevage tout en gardant un emploi à côté en temps partiel».