Quel avenir ?

Il faut le reconnaitre, le syndicalisme agricole traverse une période assez trouble. Entre la nécessité de conserver une relation de travail constructive et efficace avec nos décideurs et la colère agricole qui n’en finit plus de monter, l’équilibre semble parfois bien difficile à trouver. Certains décident de s’affilier à un syndicat, d’autres d’en changer ou de lancer des initiatives indépendantes, d’autres encore optent tout simplement pour un rejet en bloc. La cause syndicale a-t-elle du plomb dans l’aile ? C’est sur cette question dérangeante que les équipes avaient choisi de conclure le Congrès 2024 de la FWA. Avec en toile de fond un historique de plus de 100 ans de syndicalisme agricole…

Olivia Leruth

Les mois de janvier et février ont été chargés en actions syndicales, en manifestations et en action coup-de-poing. Le monde agricole est à bout et a besoin de laisser échapper cette pression qui couve depuis trop longtemps. Surcharge administrative, normes inadaptées à la réalité de terrain, concurrence déloyale,… les sujets de mécontentement sont nombreux et pourtant, le monde politique semble rester sourd.

Mais n’est-ce pas le rôle de nos syndicats de mettre en lumière la voix des agriculteurs ? Nombreux sont les agriculteurs qui se demandent – et sans doute avec raison – quel rôle jouent encore les syndicats dans cette grande mascarade dans laquelle ils se sentent floués et oubliés. L’occasion pour la FWA de prendre du recul pour poser un certain regard sur soi-même, et reconnaitre sans doute certaines erreurs, mais aussi et surtout pour expliquer concrètement comment se construit le travail syndical.

Un travail européen marqué par le compromis et la solidarité

Au niveau européen, la FWA fait partie du Copa-Cogeca, le porte-voix majoritaire des agriculteurs et coopératives européens. Le Copa fonctionne d’une manière somme toute similaire à celle de la FWA : il est composé de différentes commissions thématiques abordant chacune un sujet d’importance pour le secteur. Pour l’y représenter, la FWA désigne des experts, mais aussi des élus des sections locales et régionales.

« Au sein du Copa, on a un principe de base, c’est la solidarité », explique Marianne Streel, Présidente de la FWA, « on a par exemple décidé d’y garder l’Angleterre après le Brexit, car il faut continuer à travailler ensemble ». C’est aussi au sein du Copa qu’une solidarité s’est rapidement mise en place au moment du déclenchement de la guerre en Ukraine, pour fournir au pays des outils et des matières premières pour que les agriculteurs ukrainiens puissent survivre aux blocages liés aux hostilités. « Mais cela ne veut pas dire que cette solidarité doit quitter l’équilibre » précise la Présidente, avant de préciser l’importance de pouvoir réclamer la justice dans nos relations. « Nous devons faire des compromis entre pays européens pour parler d’une seule voix, en en faisant en sorte de toujours maintenir ces notions de solidarité et d’équilibre ».

La solidarité entre agriculteurs aurait-elle disparu ?

Cette solidarité, elle n’est pas neuve dans le monde agricole, « même si les évènements récents laissent à penser qu’elle s’est effritée ces dernières années » indique Anne-Marie Taziaux, ancienne présidente UAW. 

Anne-Marie Tasiaux

« Mais je crois sincèrement qu’avec le mouvement lancé par les manifestations, tout cela va se remettre en ordre ». Il faut dire que le travail s’est considérablement compliqué au cours des années, comme le reconnait celle qui rêvait déjà de manifestations en mars 1971 mais n’a pas eu l’autorisation d’y participer. « Dans les années 60, on n’avait qu’un seul interlocuteur, c’était le gouvernement belge. Et puis, il y a eu l’Europe, à 6, puis à 12 et aujourd’hui à 27. Chacun veut y ajouter sa petite couche et laver plus blanc que blanc. C’est pour cette raison que la solidarité DOIT exister, et trouver un moyen de se remettre en place, entre tous les exploitants, qu’ils soient petits ou gros, en céréales ou en betteraves, en lait ou en viande ». Une phrase qui a valu à l’ancienne présidente une salve d’applaudissement de la part de la salle.

L’engagement syndical pour recréer du lien

Et s’il y en a une qui adhère complètement à cette idée de recréer de la solidarité entre agriculteurs, c’est bien l’actuelle présidente de l’Union des Agricultrices Wallonnes, Caroline Jaspart.

Caroline Jaspart

Elle qui conjugue plusieurs de ces spéculations, qui s’engage dans tous ces combats avec cœur et détermination et dont les enfants s’investissent aujourd’hui dans la ferme familiale. Et elle en parle avec beaucoup de justesse lorsqu’elle évoque les raisons qui l’ont poussée elle-même à s’investir dans le syndicalisme : « On a un métier très individualiste, on peut vite être très seuls sur nos fermes. Se rendre au syndicat, c’est se retrouver à plusieurs, discuter de plusieurs thèmes et faire passer nos valeurs ».  

C’est aussi l’occasion d’y rencontrer des personnalités politiques, de discuter avec elles et de pouvoir (essayer de) leur faire comprendre les défis relevés par le secteur. « Pour moi, c’est vraiment important de relayer la voix, la détresse, la souffrance, mais aussi l’amour de notre beau métier » conclut-elle.

Illustration par l’exemple français

Oui, mais voilà, selon les termes de …. Puech d’Alissac, « plus il y a de syndicats, moins il y a de syndiqués ».

Arnold Puech d'Alissac

Si le président de l’Organisation Mondiale de… lance ici une boutade pour faire rire l’assemblée sur une thématique délicate, il faut reconnaître que de plus en plus d’initiatives se sont créées spontanément, en l’absence de toute organisation syndicale. « Le fondateur de la FNSEA avait un principe : ne jamais nous diviser entre éleveurs et cultivateurs, producteurs hors sol ou plein air, zones de montagnes ou de plaines… » explique-t-il avant d’ajouter « c’est à nous de trouver les outils pour engager les gens avec nous. En France, avec les jeunes, on s’entend très bien, ils ont l’envie de faire bouger les choses, mais ils manquent parfois de tracteurs. »

Son conseil ? Développer des services pour faire revenir les gens vers les syndicats, et ensuite capitaliser sur des personnes qui ont un idéal, qui y croient et qui veulent réellement faire bouger les choses. « Car quand on se lance dans un combat syndical, on change le monde tous les jours. […] Mais pour cela, il faut jouer collectif ».

Et à la FWA, on en pense quoi ?

Marianne Streel reprend la parole pour aborder les missions principales de la FWA : la défense individuelle, « qui peut changer des vies », la formation, via la FWAcademy et l’information, via le Pleinchamp, et enfin, la défense collective. « Cette défense collective, elle peut commencer par la négociation ou par la manifestation. Mais il faut les deux, sans quoi tout combat est inutile » explique-t-elle, avant d’ajouter à quel point le visage de la négociation a évolué. « Le monde bouge, nous sommes aujourd’hui beaucoup plus nombreux autour de la table, avec des visions qui ne sont pas toujours les mêmes. Et la FWA doit apprendre le compromis. C’est moins sexy, mais selon moi, toujours plus fort ».

Elle explique aussi son envie d’éviter le populisme, pour favoriser la recherche de solutions « réalistes et réalisables, sans laisser croire au paradis, car nous n’avons pas de baguette magique ». Avant de pointer une faille peut-être dans la communication, qui devrait peut-être se moderniser et devenir plus transparente sur les processus et le travail en interne. Avec comme premières armes deux valeurs chères à la Fédération : « de la confiance et du respect ».