Propos recueillis par Ronald Pirlot
Pleinchamp: Pour certains, la crise agricole actuelle montre les limites d’un libéralisme débridé. Pensez-vous que cette crise agricole va sonner le glas du libre-échange?
Benoît Bayenet : «Le libre-échange est essentiel. Il y a des pays en voie de développement qui ont besoin de faire des échanges avec nous. Mais les règles du jeu doivent être les mêmes. Si on nous impose des contraintes, qu’elles soient environnementales ou sociales, il faut que ceux qui viennent jouer sur votre marché respectent les mêmes règles. Mais la concurrence doit rester ouverte car l’agriculture wallonne est aussi exportatrice. Ça doit aller dans les deux sens. Donc, ce n’est pas la fin du libre-échange, mais un libre-échange plus juste et plus équilibré, notamment face aux défis climatiques, environnementaux et sociaux».
PC : De plus en plus de voix se lèvent pour dire que chaque geste pour l’environnement fait par les agriculteurs et non prévus par la PAC, devrait être rémunéré pour apporter ce surplus de revenu aux agriculteurs. Vu l’état des finances publiques (et plus spécifiquement en Wallonie), peut-on sérieusement envisager cette rémunération et, si oui, comment la financer?
BB : «On ne peut pas réfléchir uniquement sur le mode de l’agriculture, mais bien avoir une réflexion globale sur le modèle de transformation économique que l’on vise. Il faudra faire des choix sur chaque chaîne de valeur, et l’agriculture fait partie de plusieurs chaînes de valeur, car dire qu’on peut tout faire partout, ce n’est pas raisonnable. La question, c’est qu’il faut bien réfléchir, bien expliquer pourquoi on fait le choix de tel financement à tel endroit et pas à tel autre. Et il faudra faire des choix discuté et concerté car l’argent sera rare et les investissements gigantesques».
PC : ça veut dire que cette concertation n’existe plus?
BB : «Aujourd’hui, on sait qu’on doit changer de modèle face aux contraintes environnementales et climatiques. Mais pour que le modèle puisse fonctionner, il faut qu’il soit d’abord accepté. Ce n’est pas une fois que les règles sont imposées qu’on doit se demander s’il peut fonctionner. En agriculture, on a eu l’exemple de règles que tout le monde pouvait comprendre, mais qui n’ont pas été concertées et validées sur le terrain. Et ça va être le même problème dans toutes les chaînes de valeur de l’économie si on ne concerte pas. On aura aussi des révoltes. Il ne faut pas vouloir aller trop vite. Il vaut mieux prendre le temps de se voir et de parler et être certain que tout le monde a compris ce que l’on est en train de faire, parce qu’une fois que c’est accepté, c’est bon! Tandis que l’imposé risque de mener au blocage et de devoir recommencer. On s’en est aussi rendu compte au niveau européen!».
PC : D’où votre plaidoyer pour une adhésion positive plutôt qu’une imposition contrainte…
BB : «Exactement. Je ne vois pas pourquoi ce nouveau modèle économique, qui va prendre du temps à se mettre en place, va réduire notre bien-être. Ce n’est pas parce qu’on change notre modèle de consommation qu’on va vivre moins bien».
PC : Peut-on espérer que le monde politique a compris la nécessité de la concertation sociale avant d’opérer ses choix ?
BB : «Je l’espère. N’oublions pas qu’il y a déjà eu récemment des mouvements de grogne avec les bonnets rouges et les gilets jaunes… qui n’ont pas été entendus. C’est la raison pour laquelle, au niveau des partenaires sociaux belges, on a travaillé sur une feuille de route qu’on voudrait bien remettre au Premier ministre. L’idée, c’est de dire : «Ecoutez-nous, nous sommes prêts à travailler avec vous!» Car seuls, politiques ou partenaires sociaux ne peuvent réussir».