Inciter plutôt qu'imposer

Brillant économiste ayant l’oreille des plus hautes sphères politiques du pays, Benoît Bayenet (Président du Conseil central de l’Economie) était invité à conclure ce congrès. «L’enjeu majeur sera de bâtir un nouveau modèle économique résilient». Un modèle qui, pour être viable, doit faire l’objet d’une concertation préalable entre les partenaires sociaux et politiques. «Imposées, les normes provoquent le rejet. On le voit avec vous. Merci aux agriculteurs d’avoir réveillé le monde économique et politique sur ce qui risque d’arriver à toutes les autres secteurs de l’économie si l’on n’y prend garde».

Ronald Pirlot

Armé de son seul stylo et d’un bout de papier, Benoît Bayenet s’est élancé derrière le pupitre avec la redoutable tâche de conclure le congrès de la FWA. Plus de deux heures de débat à résumer en quelques minutes. Une gageure que le Président du Conseil central de l’Economie a relevé avec brio et clarté, en débutant son intervention avec un merci adressé aux agriculteurs. «J’espère que l’expression de votre ras-le-bol réveillera le monde politique et économique sur ce qui risque d’arriver dans tous les autres secteurs économiques s’ils n’y prennent garde».

Comment bâtir un nouveau modèle économique résilient?

Le monde change. Il y a certes les contraintes climatiques, mais aussi les limites des finances publiques, les changements géopolitiques. Qu’on le veuille ou non, ce contexte va nous obliger à nous inscrire dans des transitions, qu’elles soient climatiques et environnementales, mais aussi démographique et digitale. D’où la question: «comment bâtir un nouveau modèle économique plus résilient?», véritable enjeu majeur des années à venir.

«Pour réussir le changement, il faut raconter des histoires positives » explique Benoît Bayenet. «Et cette histoire, on ne la construit pas avec des portes fermées. Alors certes il faut un cadre européen. Mais il faut surtout que ce modèle soit concerté à la base entre partenaires sociaux et politiques. Des normes imposées engendrent un rejet. On le voit actuellement en agriculture. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un modèle peu ou pas concerté. Or, la transition, pour réussir, doit être juste. Et pour cela, il faut de l’écoute!» 

Privilégier l’adhésion positive plutôt que l’imposition contrainte

Propos recueillis par Ronald Pirlot

Pleinchamp: Pour certains, la crise agricole actuelle montre les limites d’un libéralisme débridé. Pensez-vous que cette crise agricole va sonner le glas du libre-échange?

Benoît Bayenet : «Le libre-échange est essentiel. Il y a des pays en voie de développement qui ont besoin de faire des échanges avec nous. Mais les règles du jeu doivent être les mêmes. Si on nous impose des contraintes, qu’elles soient environnementales ou sociales, il faut que ceux qui viennent jouer sur votre marché respectent les mêmes règles. Mais la concurrence doit rester ouverte car l’agriculture wallonne est aussi exportatrice. Ça doit aller dans les deux sens. Donc, ce n’est pas la fin du libre-échange, mais un libre-échange plus juste et plus équilibré, notamment face aux défis climatiques, environnementaux et sociaux».

PC : De plus en plus de voix se lèvent pour dire que chaque geste pour l’environnement fait par les agriculteurs et non prévus par la PAC, devrait être rémunéré pour apporter ce surplus de revenu aux agriculteurs. Vu l’état des finances publiques (et plus spécifiquement en Wallonie), peut-on sérieusement envisager cette rémunération et, si oui, comment la financer?

BB : «On ne peut pas réfléchir uniquement sur le mode de l’agriculture, mais bien avoir une réflexion globale sur le modèle de transformation économique que l’on vise. Il faudra faire des choix sur chaque chaîne de valeur, et l’agriculture fait partie de plusieurs chaînes de valeur, car dire qu’on peut tout faire partout, ce n’est pas raisonnable. La question, c’est qu’il faut bien réfléchir, bien expliquer pourquoi on fait le choix de tel financement à tel endroit et pas à tel autre. Et il faudra faire des choix discuté et concerté car l’argent sera rare et les investissements gigantesques».

PC : ça veut dire que cette concertation n’existe plus?

BB : «Aujourd’hui, on sait qu’on doit changer de modèle face aux contraintes environnementales et climatiques. Mais pour que le modèle puisse fonctionner, il faut qu’il soit d’abord accepté. Ce n’est pas une fois que les règles sont imposées qu’on doit se demander s’il peut fonctionner. En agriculture, on a eu l’exemple de règles que tout le monde pouvait comprendre, mais qui n’ont pas été concertées et validées sur le terrain. Et ça va être le même problème dans toutes les chaînes de valeur de l’économie si on ne concerte pas. On aura aussi des révoltes. Il ne faut pas vouloir aller trop vite. Il vaut mieux prendre le temps de se voir et de parler et être certain que tout le monde a compris ce que l’on est en train de faire, parce qu’une fois que c’est accepté, c’est bon! Tandis que l’imposé risque de mener au blocage et de devoir recommencer. On s’en est aussi rendu compte au niveau européen!».

PC : D’où votre plaidoyer pour une adhésion positive plutôt qu’une imposition contrainte…

BB : «Exactement. Je ne vois pas pourquoi ce nouveau modèle économique, qui va prendre du temps à se mettre en place, va réduire notre bien-être. Ce n’est pas parce qu’on change notre modèle de consommation qu’on va vivre moins bien».

PC : Peut-on espérer que le monde politique a compris la nécessité de la concertation sociale avant d’opérer ses choix ?

BB : «Je l’espère. N’oublions pas qu’il y a déjà eu récemment des mouvements de grogne avec les bonnets rouges et les gilets jaunes… qui n’ont pas été entendus. C’est la raison pour laquelle, au niveau des partenaires sociaux belges, on a travaillé sur une feuille de route qu’on voudrait bien remettre au Premier ministre. L’idée, c’est de dire : «Ecoutez-nous, nous sommes prêts à travailler avec vous!» Car seuls, politiques ou partenaires sociaux ne peuvent réussir».