Un couac... bien belge

Du magret de canard belge mais d’origine hongroise… L’affaire avait fait grand bruit suite au blocage de l’Intermarché de Crisnée. Des jeunes agriculteurs y avaient trouvé du canard qui n’avait de belge que le nom. D’où cette question : pourquoi ce franchisé, pourtant connu comme proche des producteurs locaux, ne propose-t-il pas du canard de chez nous ? Ou plutôt… Est-il possible de ne servir que du canard local en Belgique ? Disons-le directement : si le canard était hongrois, le couac, lui, est bien belge…

Florian Mélon

Souvenez-vous : en février, des jeunes agriculteurs contrôlent les denrées dans les grandes surfaces. A Crisnée, du côté de Liège, ils découvrent du canard Made In Belgium… d’origine hongroise dans un franchisé d’Intermarché. Une sombre affaire de double étiquette où on chercherait à tromper le consommateur sur le dos des agriculteurs wallons. « Né en Belgique, élevé en Belgique… Et quand on retire la première étiquette : Origine Hongrie » nous explique ainsi un jeune agriculteur.

« Une simple erreur humaine, répond-on du côté du franchisé liégeois. Nous avons du réétiqueter le magret de canard à la suite d’une promotion et avons oublié d’en modifier l’origine, notre étiqueteuse étant programmée par défaut pour mettre Origine Belgique. C’est bien une erreur humaine, et non un souhait délibéré de vouloir cacher l’origine de notre viande. » Mais le canard est-il si rare dans au pays du coq wallon que nous serions forcés de nous tourner vers l’importation ? Et surtout, est-ce vrai que « on ne trouve d’ailleurs pas de magret de canard en Belgique » comme le précise l’Intermarché crisnéen sur sa page Facebook ?

Pas de magret de canard belge ? Voilà qui est étonnant. Et qui devrait surprendre les 7 éleveurs officiellement recensés dans notre région. Pour répondre à cette question, Pleinchamp s’est penché sur cet élevage un peu particulier. Avec une interrogation : pourrait-on ne consommer que du canard wallon chez nous ou l’importation est-elle une obligation ?

« Il n’y a quasiment plus de producteurs »

Pour répondre à cette épineuse question du magret wallon, direction la Ferme de la Sauvenière, à Hemptinne-Lez-Florennes, chez Valérie Van Wynsberghe et François Vandenbulcke.

François Vandenbulcke, de la Ferme de la Sauvenière

Une ferme primée à trois reprises aux Coqs de Cristal et qui produit près de la moitié du canard wallon dans le circuit le plus court possible : tout est fait maison au sein de l’exploitation. Un élevage qui est une filière à lui tout seul, le couple étant aux commandes de l’engraissement à la commercialisation en passant par l’abattage et la transformation. « On ne sait pas faire plus frais ! Mais c’est une production assez contraignante, nous explique François Vandenbulcke. Elever du canard, c’est travailler 7 jours sur 7, matin et soir. C’est un peu comme un éleveur laitier sauf que nous n’avons pas d’intermédiaire, pas de laiterie : on gère vraiment toute la filière en interne, de A à Z. »

Cette production en filière « interne » est une spécificité de notre région. « En Wallonie, il y a peu de producteurs mais on fait vraiment tout. C’est obligatoire car la production est trop petite pour travailler sur une plus grande filière. En France, ils ont su diviser le travail mais ils sont beaucoup plus nombreux. En Wallonie, on n’est que 7… Et encore, je ne suis pas sûr qu’on soit encore réellement 7 éleveurs de canards, nous explique, amer, l’éleveur de Hemptinne-Lez-Florennes.

Un avis partagé par Catherine Colot, chargée de mission Aviculture et Cuniculture pour le Collège des Producteurs. « Il n’y a pas vraiment de filière du canard en Wallonie : trop peu de producteurs, de trop petits volumes, nous précise-t-elle. Le circuit court est la meilleure solution pour valoriser la production. On ne pourrait de toute façon pas fournir toute la grande distribution… Et nos producteurs n’ont pas d’intérêt à le faire, les éleveurs wallons ne sauraient jamais s’aligner sur les prix des éleveurs français ou hongrois. »

« Grandir, c’est grandir partout en même temps »

François Vandenbulcke et le canard, c’est une histoire de passion. « On a démarré avec 20 canards, dans un coin de la ferme. Maintenant, on élève 12 000 canards par an. On continue de grandir mais tout doucement. Car, quand on est une filière à nous tout seul, grandir, c’est grandir partout en même temps… Et qu’on ne rajeunit pas, ajoute-t-il avec le sourire.

Canards de la Ferme de la Sauvenière

De la production à la commercialisation, il n’y a qu’un pas que la ferme de la Sauvenière a franchi depuis longtemps : tout est vendu en circuit-court, via son magasin à la ferme, des épiceries fines de la région, l’HoReCa et, pour une petite partie, via quelques grand magasin, uniquement des franchisés. « Mais ce serait impossible de répondre à toutes les demandes, surtout avec notre cahier des charges. On veut faire les choses le plus proprement possible, en termes de densité d’élevage mais aussi d’alimentation, de lumière, de surface extérieur, d’équipe… Grandir, c’est grandir partout et à un moment donné, il y a une limite. »

Avec un nombre restreint de producteurs et une production globalement tournée vers le circuit court, le canard wallon n’est donc pas prophète en son pays. Il y a pourtant une belle histoire d’amour entre le canard et le Belge, deuxième consommateur mondial de foie gras derrière l’indépassable Français mais devant l’Espagnol. Avec une production de 25 000 canards à foie gras par an pour 12 tonnes de foie gras plus quelques producteurs de canards maigres, la production wallonne ne saurait donc pas contenter tous les amateurs de foie gras (ou de magret, son coproduit) du plat pays.

« On doit se battre pour exister »

Quand on lui pose la question de l’avenir du secteur, François Vandenbulcke ne se montre pas particulièrement optimiste.

Foie gras de canard de la Ferme de la Sauvenière

« On se bat tous les jours pour exister. Il y a un frein au développement, beaucoup de découragés avec de grosses incertitudes au niveau politique et la pression des animalistes. Mais on vit avec. Chaque élection est une source de stress car certains partis sont contre l’élevage de canard… On sait que tout peut aller assez vite ». Et Catherine Colot d’ajouter : « Il y a une épée de Damoclès au-dessus du secteur. » Pourtant, note Amandine Vandeputte, spécialiste de l’élevage viandeux pour l’APAQ-W, interdire le gavage n’empêchera pas la consommation… « On va juste importer encore plus ce qu’on peut produire chez nous ».

Alors, peut-on trouver du canard « né en Belgique, élevé en Belgique » et d’origine belge dans les grandes surfaces du plat pays ? Evidemment… La production de canard – et particulièrement de foie gras ou de magret – est petite mais vivace de par chez nous. Bien qu’elle privilégie le circuit court, on peut quand même la trouver dans certaines grandes surfaces… Mais de manière limitée vu la faible production locale. D’où la présence de canards français ou hongrois dans les étalages des grandes surfaces de notre région. Ne reste plus qu’à leur apposer la bonne étiquette et à continuer de consommer toujours plus local pour éviter un chant du cygne à nos canards wallons…