Qu'un paravent de fumées ?

Le rejet de l’accord de libre-échange avec le Mercosur, justifié avec véhémence par la France (rejoint par la Wallonie et d’autres) tant que les clauses miroirs en matière d’agriculture ne seront pas imposées aux pays sud-américains, ne serait-il au final qu’un paravent de fumées cristallisant autour du seul nom «Mercosur» toutes les attentions? Car comment expliquer que ce qui est refusé avec les uns (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay), l’est permis avec le voisin chilien? Faut-il croire que les atouts énergétiques (cuivre, lithium et hydrogène vert) proposés par le Chili sont de nature à supplanter les belles déclarations de principe?

Ronald Pirlot

«Tandis que devant les caméras, les sorties politiques se multiplient pour refuser l’accord de libre-échange (en voie de finalisation) avec le Mercosur, l’on apprend qu’en coulisses, la Commission du Commerce international du Parlement européen a approuvé le 24 janvier dernier une version actualisée, vers davantage de libre-échange, de l’accord d’association avec le Chili. Lequel pays, pour rappel, est un grand exportateur de cuivre, de lithium (pour les batteries électriques) et d’hydrogène. Avec l’agriculture européenne en monnaie d’échange?» questionnions-nous, avec un brin d’impertinence, dans le Pleinchamp n°6 (8 février dernier).

Et bien, il n’aura pas fallu un mois pour avoir la réponse. En effet, en date du 29 février, le Parlement européen, réuni en séance plénière à Strasbourg, a adopté l’extension des accords commerciaux avec le Chili. Et ce, seulement trois jours après la manifestation des agriculteurs à Bruxelles, en marge du Conseil européen de l’Agriculture et de la pêche, pour réclamer plus de cohérence et de protection face à la concurrence déloyale des importations agricoles non régies par les mêmes normes de production. A croire que certains beaux principes se sont égarés entre Bruxelles et Strasbourg en trois jours!

Un accord de 2005 modernisé

Bref rappel chronologique. Le 1er mars 2005 entrait en vigueur un accord d’association entre l’Union européenne et le Chili. Le 04 décembre 2023, le Conseil de l’UE approuvait un renforcement de cet accord d’association vers un plus large libre-échange. Un accord initial désormais divisé en deux textes, avec d’une part un accord-cadre avancé et d’autre part un accord commercial intérimaire (qui expirera dès que l’accord-cadre entrera en vigueur), le second pouvant pallier l’éventuel rejet du premier.

Deux textes pour un même accord destiné à «renforcer les relations politiques et économiques entre l’UE et le Chili, et approfondira leur coopération et leur échange. Il aidera à relever de concert les nouveaux défis mondiaux tels que les répercussions de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, notamment l'inflation mondiale, les perturbations des chaînes d'approvisionnement et la crise énergétique» commentait le Conseil de l’UE après son approbation du 04 décembre dernier.

Et c’est bel et bien sur le plan énergétique que se situe l’un des enjeux stratégiques de cet accord. Le Chili est en effet un grand exportateur de cuivre, de lithium et d’hydrogène vert. Comme le souligne le texte adopté par le Parlement, le pays possède les plus grandes réserves de lithium au monde, est le premier producteur mondial de cuivre et devrait devenir l’un des principaux producteurs au monde d’hydrogène vert. 

Et l’agriculture dans tout ça?

En matière agricole, l’accord fait état des engagements des deux parties, dont notamment:

  • «la suppression des droits de douane sur les exportations de l’Union. Ce qui pourrait être favorable aux producteurs de produits agroalimentaires de qualité de l’Union» ;
  • «des efforts déployés pour protéger des produits agricoles sensibles de l’Union tels que la viande (viande bovine, porcine, ovine et de volaille), certains fruits et légumes (comme le jus de pomme…)» ;
  • «la protection de 216 indications géographiques agricoles) (IGA) de l’Union» ;
  • «un chapitre consacré aux systèmes alimentaires durables qui encourage la coopération bilatérale et internationale en matière de systèmes alimentaires durables et qui comprend des dispositions sur le bien-être animal, la lutte contre le gaspillage alimentaire, l’élimination progressive de l’utilisation des antibiotiques, la durabilité de la chaîne alimentaire et les pesticides; relève en particulier les engagements mutuels en vue de maintenir l’élimination progressive de l’utilisation des antibiotiques en tant que stimulateurs de croissance, en vigueur au Chili depuis 2018» ;  
  • «que la politique commerciale de l’Union devrait contribuer à atteindre et à mettre en œuvre ensemble les normes les plus élevées en matière sociale et environnementale ainsi qu’en matière de sécurité alimentaire et de droits de l’homme» ;
  • «une invitation à la Commission et aux États membres de garantir des conditions de concurrence équitables pour tous les produits de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture commercialisés dans l’Union, quelle que soit leur origine, y compris ceux originaires du Chili».

De quoi rassurer les agriculteurs européens?

Tout dépendra du degré de contrainte imposé par l’Europe au Chili pour faire respecter ce qui apparait davantage à ce stade comme des recommandations en matière agricole. La discrétion avec laquelle cet accord a été conclu, qui tranche singulièrement avec les sorties médiatiques sur l’opposition au Mercosur, est toutefois de nature à inciter à la prudence.

Accord-cadre avancé UE/Chili

S’il est bien une question énormément débattue au cours de ces dernières semaines de grogne agricole, c’est bien celle-là: «Qui a voté quoi?». A chaque fois, chacun se félicite d’avoir voté «contre» ou «pour» tel ou tel dossier en défaveur de l’agriculture, principalement au niveau de l’Europe, puisque le système de vote «de parti» y est nettement moins institutionnalisé. Nous avons donc décidé de faire un petit rappel, au cours des prochaines semaines, de qui a effectivement voté quel texte.

Sur les deux textes adoptés, nous en retiendrons uniquement un: celui de l’accord-cadre avancé UE/Chili, dès lors qu’il supplantera de facto, dès son entrée en vigueur, l’accord intérimaire sur le commerce. Un accord-cadre adopté le 29 février dernier à 358 voix pour, 147 voix contre et 45 abstentions.

Avec, ici, des votes contrastés entre Eurodéputés du nord et du sud du pays. En effet, aucun parlementaire wallon n’a voté en faveur de ce texte. Tandis que les élus flamands de la NVA, Cd&v, Open VLD l’ont approuvé.

Parmi les abstentionnistes, l’on retrouve le MR, le PS et Ecolo. Dans les opposants à l’accord-cadre figurent les élus du PTB, de Les Engagés, de Groen, du Vlaams Belang ainsi que l’indépendant Marc Tarabella et l’élu germanophone du Parti social-chrétien Pascal Arimont.

 

Qui a voté quoi ?