Le curseur va-t-il trop loin ?

Depuis quelques semaines, plusieurs pays d’Europe semblent être devenus des poudrières lorsqu’il est question de matières agricoles. La grogne semble monter un peu partout, pour des raisons souvent diverses et des problèmes parfois complètement différents, mais avec toujours en toile de fond ce même questionnement bien connu en Belgique aussi : n’est-on pas en train de pousser le curseur un peu trop loin ? Nos gouvernements sont-ils en train d’ajouter les dernières gouttes qui vont faire déborder le vase déjà bien rempli des obligations des agriculteurs?

Olivia Leruth

 

Après le mouvement de grogne initié par les Jeunes Agriculteurs Français au cours des derniers mois, c’est un nouvel accord budgétaire qui a mis le feu aux poudres en Allemagne début décembre. Celui-ci incluait la fin des subventions accordées aux agriculteurs pour l’achat de diesel à vocation professionnelle, mais aussi l’instauration d’une taxe de mise en circulation pour les tracteurs et remorques.

Des pertes importantes pour les agriculteurs allemands

Matthias Lüdenbach, agriculteur dans un petit village situé entre Düsseldorf et Cologne, nous explique la situation :

Matthias Lüdenbach

« Il faut savoir qu’en Allemagne, c’est un peu différent de la Belgique, on roule au blanc, pas au rouge. Pour que cela soit possible, le Gouvernement allemand nous reverse 0,21€ le litre lorsque l’on travaille dans le secteur agricole ». Pour l’agriculteur, le montant annuel de cette subvention avoisine les 7500€, pour une ferme d’environ 200 Ha. « Mais pour certains agriculteurs qui utilisent l’irrigation ou d’autres techniques, ou qui ont simplement plus de terres, cela monte parfois jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros ».

Une subvention qui devait donc être supprimée directement selon l’accord conclu. Mais c’était sans compter une première manifestation massive le 18 décembre dernier des agriculteurs allemands, pourtant peu enclins à utiliser ces méthodes syndicales.

Premiers gestes d’apaisement ou de la poudre aux yeux ?

Les premiers résultats ne se sont pas fait attendre, avec cependant un goût de trop peu pour les agriculteurs allemands : « la taxation sur les tracteurs et remorques a été abandonnée, mais ils ont conservé la fin des subventions pour le diesel, avec une progressivité jusque 2026. Ils nous donnent un bonbon pour nous calmer, mais cela ne nous suffit clairement pas » indique Matthias. A cela s’joute les différentes règlementations sur les nitrates, les phosphates, les engrais… Rendant au final la situation intenable pour les agriculteurs « Une petite perte par ici, une petite perte par là… A la fin, qu’est-ce qu’il nous reste encore ? » se demande Mathias.

Les agriculteurs allemands ont donc décidé de prendre la route cette semaine, de manière assez suivie puisque l’on a vu plusieurs milliers de tracteurs sur les routes allemandes ce lundi. « On essaie de ne pas être trop extrêmes pour les habitants des villes comme Cologne par exemple, où l’on ne veut pas perdre le soutien des citoyens » indique encore Mathias. Cependant, l’agriculteur confirme l’intention d’aller jusqu’au bout des actions prévues tout au long de la semaine, avec comme point d’orgue une immense manifestation ce vendredi à Berlin, où la circulation devrait à nouveau être complètement bloquée. « Maintenant, cela suffit, les agriculteurs en ont assez, c’est trop » assène-t-il. « Même d’autres corps de métiers, comme les transporteurs routiers par exemple, viennent se joindre à nous pour dire que cela doit s’arrêter. Ce problème est le problème de tous, pas seulement des agriculteurs. Et on ne veut pas jeter toute la politique ou dire que c’est la faute des écologistes, les problèmes ont commencé bien avant. Il faut que quelque chose dans le système change.»

Derrière la grogne, un problème bien plus profond

Une grogne qui, si elle s’est embrasée à la suite de cette réforme fiscale, démarre pourtant d’un problème bien plus profond que dénonce Matthias : « En Allemagne, lorsque des directives sont établies par Bruxelles (l’Europe, Ndlr), on choisit toujours d’en faire le maximum. Pourtant, chaque pays a la liberté de choisir la manière dont il met les choses en place ».

Un sentiment qui a un certain goût de déjà-vu pour les agriculteurs wallons, dont la version initiale particulièrement stricte de la BCAE5, aussi connue sous le nom de plan anti-érosion, reste encore assez douloureusement en mémoire…