La campagne à la campagne

Pour contrer la prolifération des plaintes en tous genres des néo-ruraux à l’encontre des agriculteurs, le législateur français vient d’adopter une proposition de loi actualisant le code de la ruralité. S’il confirme la responsabilité civile de celui qui est auteur d’un trouble anormal, il rappelle que ce trouble anormal ne donne pas lieu à une réparation si les nuisances générées préexistent à l’installation du plaignant et qu’elles se poursuivent dans les mêmes conditions ou qu’elles résultent de nouvelles normes imposées. En d’autres termes, celui qui vient s’installer à proximité d’une ferme sait à quoi il s’expose.

Ronald Pirlot

Dans le Finistère, des villageois se sont mobilisés pour interdire le passage de vaches sur une route communale. Dans l’Oise, un éleveur a été condamné à 100.000€ pour des histoires d’odeur d’ensilage et de meuglements de ses bêtes. Dans le Perche, des voisins n’acceptent pas, là non plus, les meuglements des vaches durant la nuit… Les exemples de plaintes déposées à l’encontre des agriculteurs sont légion tant ils se multiplient ces dernières années, accentuées encore un peu plus par l’exode vert de citoyens urbains après la période Covid. 

Nouvelle proposition de loi

Pour limiter les abus et autres procédures judiciaires téméraires nourries par un individualisme forcené de néoruraux à l’encontre des garants d’une activité agricole souvent séculaire, le législateur français vient d’apporter une actualisation à son code de la ruralité.

Celle-ci, si elle confirme le principe suprême que «nul ne doit causer à autrui un trouble (odeurs, bruits, fumées, perte d’ensoleillement ou de vue…) anormal de voisinage», indique toutefois qu’il existe une exception. A savoir que ce trouble de voisinage n’entraîne pas de réparation lorsque l’activité qui génère des nuisances:

  • est antérieure à l’installation de la personne se plaignant du trouble anormal ;
  • qu’elle respecte la législation ;
  • et se poursuit dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine de l’aggravation du trouble anormal de voisinage.

Exonérations agricoles

La proposition prévoit également des exonérations de responsabilité supplémentaires spécifiques pour les activités agricoles. La responsabilité de l’agriculteur ne pourra être engagée «si l’agriculteur modifie les conditions d’exercice de son activité pour les mettre en conformité avec la réglementation». Ou encore s’il modifie «substantiellement» la nature ou l’intensité de son activité agricole». Le législateur entend par là une évolution naturelle apportée à l’exploitation en matière d’accroissement ou de diversification.

«La campagne n’est pas un Disneyland écolo»

Interrogé sur la radio RTL, Me Timothée Dufour, ténor des prétoires français spécialisé du droit rural, s’est réjouit de cette avancée législative de nature à mieux protéger les agriculteurs.

Fermes ouvertes

«Il fallait légiférer sur ce sujet vu la multiplication des litiges en milieu agricole. Aujourd’hui, nombre de Français, lorsqu’ils vont à la campagne, veulent reproduire ces maisons d’Hobbits avec ces gazons à l’anglaise. Mais la campagne, c’est aussi de l’eau et de la terre. Et les deux font de la gadoue. Et la campagne, c’est aussi un espace de travail, pas un espace aseptisé. La campagne, ce sont des animaux, des tracteurs, des bruits, des moissonneuses-batteuses… Or, je vois émerger une génération qui veut transformer cette campagne en un Disneyland écolo. Et il faut rappeler qu’on a besoin d’une agriculture compétitive dans un contexte qui est difficile. Pour ce faire, il faut prendre des bottes, aller à la rencontre de leurs préoccupations… Et cette proposition de loi, elle en répond».

Appréciation souveraine du juge

Si chaque cas reste soumis à l’appréciation souveraine du juge saisi de la plainte, il n’en reste pas moins que cette proposition de loi va dans le sens d’une plus grande protection des agriculteurs face aux plaintes abusives des nouveaux habitants. En espérant que cette base juridique soit de nature à faire revenir davantage de bon sens dans les campagnes.  

Et en Belgique?

Suite aux dernières modifications du code Civil belge, les troubles de voisinage sont désormais régis par l’article 3.101 (anciennement 544). Lequel stipule que «les propriétaires voisins ont chacun droit à l’usage et la jouissance de leurs biens immeubles. Dans l’exercice de l’usage et de la jouissance, chacun d’eux respectent l’équilibre établi en ne causant pas à son voisin un trouble qui excède la mesure des inconvénients normaux de voisinage et qui lui est imputable.

Milieu rural belge ©twanwiermans

Photo ©twanwiermans

Pour apprécier le caractère excessif du trouble, il est tenu compte de toutes les circonstances de l’espèce, tels le moment, la fréquence et l’intensité du trouble, la préoccupation ou la destination publique du bien immeuble d’où le trouble causé provient».

«Donc, concrètement, pour qu’un voisin vienne réclamer quoi que ce soit à un agriculteur, il doit d’abord prouver l’existence d’un trouble, puis justifier que le trouble est excessif et anormal, et enfin que le trouble entraîne une rupture de l’équilibre préexistant. Et ce critère d’antériorité est important» commente Me Charlotte Mailleux, avocate spécialiste en droit rural.

Laquelle rappelle toutefois qu’en toutes circonstances, le magistrat (en l’occurrence le Juge de paix), est souverain et qu’il appréciera la situation au cas par cas, souvent en descendant sur place pour constater de visu la situation. «Par exemple, si des voisins rouspètent pour une présence trop massive de mouches dans leur habitation, le juge descendra sur les lieux, vérifiera où se situe la ferme, si toutes les normes d’exploitation sont respectées. Par contre, s’il constate des carences au niveau sanitaire, quand bien même l’on se trouverait dans un cadre rural, le juge pourrait conclure qu’il existe effectivement un trouble de voisinage».