Une première étape

Par l’entremise de la Commission puis du Conseil, l’Union européenne a donc décidé d’assouplir les règles de verdissement de la PAC. Une manière de dire qu’elle a non seulement entendu la souffrance du monde agricole, mais aussi qu’elle l’a compris en lui réappropriant une part de son pouvoir décisionnel qu’elle lui avait confisqué. Du moins, dans l’immédiat. C’est une première étape. La seconde, et elle est primordiale, vise cette fois le revenu des agriculteurs. Des pistes ont été soulevées par les 27 ministres de l’agriculture. C’est que le temps presse!

Ronald Pirlot

«Je vous ai compris!». L’Union européenne pourrait se réapproprier cette célébrissime phrase du Général de Gaulle sur le balcon d’Alger. En effet, les 27 ministres européens de l’Agriculture ont décidé, mardi dernier, d’approuvé l’ensemble des mesures proposées par la Commission Agriculture pour apporter une réponse rapide à la colère paysanne (voir le Pleinchamp n°13). Principalement, il s’agit d’un assouplissement des règles concernant la mise en application des BCAE (Bonnes conditions agricoles et environnementales) de la nouvelle PAC. Une première victoire vers cette simplification administrative réclamée par les agriculteurs. Mais surtout le sentiment de se réapproprier une partie des prérogatives agronomiques que des bureaucrates en col blanc leur avait honteusement confisquées du haut de leur piédestal européen, oubliant que travailler avec le vivant ne répond à aucune logique théorique.

Considérons ce premier pas comme une premier jet destiné à maîtriser la gronde agricole. Il n’en reste pas moins l’obligation de désormais de circonscrire complètement l’incendie. Et pour cela, il n’y a pas 36 solutions: il faut s’atteler au problème du revenu. Certes, l’abandon des 4% de jachères permettra d’engranger quelques recettes de plus, mais soyons de bon compte, ce n’est pas de mesurettes dont a besoin le secteur, mais bien de solutions structurelles pérennes permettant de garantir aux agricultrices et agriculteurs un revenu décent eu égard à la masse de travail abattue pour, ne l’oublions jamais, nourrir leurs concitoyens. Les 27 ministres européens de l’Agriculture l’ont d’ailleurs bien compris en discutant de pistes – la création d’un observatoire des prix et des mesures liées à la directive sur les pratiques commerciales déloyales (voir ci-après l’entretien avec David Clarinval), tout en demandant à la Commission d’explorer plus en avant des pistes de son côté.

Histoire que la phrase «je vous ai compris», que tous les historiens qualifient de particulièrement ambigüe dans la bouche du Général de Gaulle puisque l’on ne sait toujours pas si elle s’adressait aux nationalistes algériens ou aux partisans de l’Algérie française, ne soit pas, ici aussi, un simple leurre destiné à apaiser temporairement la gronde, en l’occurrence celles des nourriciers de l’Europe.

Interview du Ministre David Clarinval

«L’Europe œuvre pour une vraie transparence des prix»

Dans un emploi du temps particulièrement chargé en raison de l’actualité agricole et de la présidence tournante belge du Conseil de l’Union européenne, David Clarinval, ministre fédéral de l’Agriculture, est revenu pour nous sur les mesures décidées lors du Conseil européen de l’Agriculture et de la pêche. Et plus précisément sur les deux propositions qui toucheraient le revenu des agriculteurs: la mise en place d’un observatoire européen des prix et un renforcement des clauses sur les pratiques commerciales déloyales.

Propos recueillis par Ronald Pirlot 

David Clarinval

Pleinchamp : Merci de revenir avec nous sur les avancées du Conseil européen de mardi dernier.

David Clarinval : «J’avoue que les journées sont bien remplies. Mais grâce à la mobilisation agricole et la bonne collaboration de l’ensemble des acteurs-clés, on a pu obtenir une réorientation assez majeure de la PAC. C’est vraiment quelque chose de très satisfaisant».

PC : Peut-on considérer qu’au-delà de l’assouplissement de la PAC approuvé mardi dernier par le Conseil européen de l’Agriculture, il y a surtout la symbolique forte d’un retour au bon sens. Celui de réapproprier les agriculteurs européens de ce pan agronomique – je pointe notamment l’aberration de cette agriculture de dates - dont ils s’étaient vu délester par des bureaucrates éloignés des réalités de terrain?

DC : «C’est exactement ça! Le Covid avait déjà démontré qu’on n’était plus capable de développer des masques chirurgicaux en Europe. Malheureusement, la Guerre en Ukraine a prouvé que se passer du nucléaire et compter sur le gaz russe, c’est une erreur majeure que l’on paie cash. Pour preuve l’impact sur les factures que l’on a connu.

L’agriculture, c’est pareil. Vouloir avoir l’agriculture la plus ambitieuse et la plus vertueuse au monde, c’est un beau projet. Mais quand le reste du monde ne suit pas, ça met nos agriculteurs dans une situation insurmontable, face à des importations de produits qui ne sont pas soumis aux mêmes normes. Je pense que ces 3-4 dernières années, et singulièrement pour l’agriculture ces 3-4 derniers mois, ont clairement fait voler en éclat la naïveté des autorités européennes qui vivaient un peu dans leur bulle, pensant que l’énergie tombait du ciel, que la nourriture poussait toute seule du sol… Et on retourne vers un peu plus de bon sens». 

Observatoire européen des prix…

PC : Passons au volet du revenu, au centre des revendications agricoles. Pouvez-vous expliciter les deux mesures annoncées à l’issue du Conseil des Ministres européens?

DC : «Avant d’y passer, je rappelle que la principale mesure, au niveau européen, est la révision de la PAC. C’est le cœur de nos discussions. Le tout, en un temps record, il faut s’en rendre compte! C’est du jamais vu!

Ceci dit, pour répondre à votre question, le 2e non-paper décidé par le Conseil des ministres comprend une série de mesures en lien avec la transparence des prix. Ce qui a été proposé par la Commission et accepté par le Conseil, c’est la mise en place d’un Observatoire européen des prix. Et, ensuite, de pouvoir renforcer les clauses en lien avec la directive UTP (clauses anti-abus) sur les pratiques commerciales déloyales».

PC : Pourtant, la déclinaison belge de l’observatoire des prix n’a pas eu le succès escompté…

DC : «A l’instar d’autres pays, la Belgique a en effet un observatoire national mais, comme vous l’avez soulevé, on voit ses limites. L’intérêt de cet observatoire européen, c’est d’avoir une analyse approfondie des prix, mais à l’échelle européenne. Ce qui est nettement plus pertinent dès lors que les marchés ne sont pas nationaux, mais mondiaux. Cet outil œuvrera en faveur d’une vraie transparence des prix car ceux-ci, dans une même filière, ne sont pas les mêmes en Espagne, au Danemark ou en Belgique. Or, il faut une vraie transparence».

PC : Avec des variables d’ajustements en fonction du pouvoir d’achat des différents pays?

DC : «Bien sûr il faudra comparer en fonction des niveaux de vie. Les prix pratiqués devront être au prorata du pouvoir d’achat des citoyens, on est bien d’accord!»

PC : Concrètement…

DC «On est un peu dans la même ligne que ce qu’on a fait au niveau belge. Cet observatoire permettrait de déterminer des prix rémunérateurs pour les agriculteurs avec des seuils planchers. Dès qu’on les atteindrait, il serait possible d’activer une sonnette d’alarme pour que l’on réagisse, par filière, et ainsi prendre en considération des difficultés de ladite filière. Nous l’avons fait chez nous, nous voudrions le transposer au niveau européen».

… et réforme de la directive UTP

PC : Quant aux clauses abusives ?

DC : «Là, il y a toute une série de pratiques abusives contre lesquelles les clauses doivent être renforcées. La directive UTP actuelle a montré ses limites. Il va falloir être plus ambitieux sur ce sujet».

PC : Existe-t-il une réelle marge de manœuvre politique pour faire changer les lignes?

DC : «En 3 mois, nous avons plus pu faire bouger les choses que sur les 3 années où je représentais la Belgique. Maintenant, il y a bien évidemment un contexte. La pression exercée par les agriculteurs y est pour beaucoup. Mais aussi le fait qu’on arrive au terme du mandat électif qui permet d’obtenir des avancées qu’on n’aurait peut-être pas pu remettre en cause lorsque M. Timmermans était là, par exemple. Nous avons eu la présidence au bon moment pour obtenir une réorientation de la PAC à travers des mesures structurelles, comme rendre les BCAE 6, 7 et 8 purement incitatives. Les agriculteurs qui voudraient y souscrire seraient rémunérés pour le faire, mais ce ne serait plus une obligation. Et ça, c’est un tournant majeur!»

«Négociation par filière plutôt que Loi Egalim!»

PC : y a-t-il d’autres mesures concernant le « revenu » actuellement sur la table ?

DC : «Outre les deux mesures susmentionnées – Observatoire des prix européen et clauses de la directive UTP – qui seront discutées lors de notre prochain réunion du Conseil, nous avons demandé à la Commission des propositions plus concrètes. J’ai donné les éléments que j’ai mis en œuvre au niveau fédéral et que je voudrais voir implémenter au niveau européen. On va voir s’il y a autant d’enthousiasme des autres partenaires. L’on sent les Français plus loin dans la régulation des prix avec la Loi Egalim, qui prévoit une intervention de l’Etat dans la constitution des contrats, ce que je pense être un peu excessif. Les Allemands aussi! Pour moi, ce sont les acteurs qui doivent négocier leur contrat et on doit les y aider pour renforcer leur position et les aider à parler d’égal à égal lors des négociations. Mais l’Etat ne doit pas se substituer aux agriculteurs pour négocier. J’aimerais avancer sur la mise en place de filière. Mais il faut voir ce que les autres en pensent».

PC : Avez-vous déjà sondé vos confrères européens ?

DC : «J’ai présenté le modèle belge à mon homologue allemand et il était assez positif. Il préfère le nôtre à l’option française qui est plus interventionniste».

PC : On serait donc davantage dans une négociation de filière que d’interventionnisme de l’Etat ?

DC : «C’est mon but».

La balle est dans le camp wallon

Comme nous l’écrivions la semaine passée, l’Europe a pris ses responsabilités en assouplissant les règles de la PAC et en prévoyant un bilan semestriel du Plan stratégique. Tout cela doit encore être entériné par le Parlement européen, mais on le voit mal les élus dédire leurs propres ministres.

Avec ce cadre desserré, la Wallonie aurait les coudées un peu plus franches pour manœuvrer. En attendant les avancées des groupes de travail auxquels participe la FWA, le débat de la juste rémunération des agriculteurs a été porté sur le terrain politique en séance plénière du Parlement wallon. Extraits choisis :

François Desquesnes (Les Engagés): «cela dépend du règlement 2013 sur l’organisation des marchés agricoles en Europe. C’est une disposition qui relève de l’initiative de la Commission et de la validation du Conseil. Il y a notamment, au cœur de cet enjeu, la négociation collective des prix par les agriculteurs, la capacité pour les agriculteurs de se fédérer et de pouvoir négocier collectivement leurs prix face à quelques acheteurs».

Jean-Philippe Florent (Ecolo), citant la FUGEA: «Nous attendons que l’Europe revienne en arrière sur la politique ultralibérale. Les décisions récentes sur les réglementations environnementales ne sont absolument pas les réponses attendues». Et de questionner le Ministre Borsus sur les avancées pour empêcher la grande distribution de pousser l’agriculteur à vendre sa production à perte.

Cassart-Mailleux (MR) : «Les revenus et le problème de trésorerie dans les fermes constituent un problème de terrain. Dans quel timing pourrez-vous mettre en œuvre ces mesures du Conseil européen?».

Réponses de Willy Borsus (MR):

«je ne suis pas d’accord avec l’argument [que la révision des BCAE] n’auraient pas d’impact sur le revenu». Et d’évoquer les surfaces neutralisées dans leur capacité de production ainsi que les sanctions lorsque les impositions ne sont pas respectées.

  • «il y a bien une ouverture d’un débat et de réformes sur le règlement qui concernent l’organisation du commerce, l’organisation du marché (…) Une évolution est attendue en ce qui concerne le rapport de force dans la négociation entre les producteurs ou celles et ceux qui les représentent (…).
  • Le Ministre annonce une évaluation, pour avril prochain, d’éventuelles modifications du règlement en ce qui concerne les pratiques commerciales abusives. «Le but est effectivement ici aussi de rétablir un meilleur équilibre au bénéfice de celles et ceux qui produisent (…)
  • Il faut un budget de crise par rapport à la gestion de la situation actuelle. Il faut – et j’utilise le terme à dessein – une solution en ce qui concerne le marché et le prix du blé, fût-il ce marché mondialisé (…). Willy Borsus a également évoqué les clauses miroirs dans les accords commerciaux à venir, mais également leur contrôle pour ceux en cours.

Borsus plaide pour une neutralisation des sanctions pour 2023 (et 2024)?

Comme il l’a annoncé lors de la séance plénière du Parlement wallon, Willy Borsus a adressé à la Commission européenne une demande de ne pas sanctionner les agriculteurs en 2023 et éventuellement en 2024. Elle s’inscrit dans le cadre de la rationalisation des contrôles et du droit à l’erreur. «On ne va pas sanctionner pour les années 2023, éventuellement pour l’année 2024, des agriculteurs qui n’auraient pas respecté des normes que l’on change maintenant parce qu’on les juge excessives. Sans quoi, évidemment, on marcherait décidément à l’envers». Un avis totalement partagé par David Clarinval, son homologue au fédéral, qui entend le relayer au niveau européen. Une demande sur laquelle la Commission pourrait se positionner avant la fin du printemps. Si l’Europe l’accepte, la proposition devrait alors faire l’objet d’une discussion au sein du Gouvernement wallon pour modifier le plan stratégique. Nous n’en sommes bien évidemment pas encore là!

En attendant, le Cabinet Borsus rappelle que «les dispositions actuelles restent en vigueur et les paiements déjà effectués pour la campagne 2023 tiennent compte des contrôles déjà réalisés».