Votée in extremis

Vous l’avez entendu, le 28 décembre dernier, le Parlement a adopté in extremis la loi «portant des dispositions fiscales diverses» entraînant, de ce fait, de nouvelles obligations fiscales pour les agriculteurs. Concrètement, les locataires de biens immobiliers doivent fournir dès ce 1er janvier 2024, une série d’informations concernant le bien loué et l’identité du propriétaire. Ces changements suscitent bien évidemment une levée de bouclier au sein de la communauté agricole, d'autant plus que cette loi a été adoptée sans aucune concertation préalable.

Maureen Trussart, Coordinatrice pôle juridique - Conseil, Analyse et Politique (CAP)

L’ensemble des locataires est désormais tenu de déposer une annexe à sa déclaration d’impôt sur les revenus.

Obligations fiscales

En effet, la mesure impose à tous les locataires, qu’ils soient assujettis à l’impôt des personnes physiques (qu’ils aient recours au forfait agricole ou à une comptabilité de gestion), à l’impôt des sociétés, à l’impôt des personnes morales ou à l’impôt des non-résidents, de fournir des informations sur le bien pris en location, le loyer et les avantages locatifs attribués (indemnités locatives) ainsi que l’identité du loueur dans une annexe à leur déclaration.

Pour les contribuables assujettis à l’impôt des personnes physiques, cette obligation ne s’applique toutefois que lorsque les indemnités locatives ou les indemnités pour un droit réel d’usage sont déduites en tout ou en partie en tant que frais professionnels réels. La mesure vise toutes les indemnités relatives à un droit réel d’usage.

Outre les loyers et les fermages, les indemnités au sens large attribuées par le contribuable pour un droit d’emphytéose, un droit de superficie, un droit d’usufruit ou une servitude doivent également être déclarées. Sont en revanche exclues les formes de mise à disposition sur lesquelles une TVA est appliquée à l’assujetti, et dans l’hypothèse où une facture a été établie.

Quelles informations?

La déclaration doit inclure une annexe contenant les informations suivantes (article 84 de la loi):

  • les données d’identification du ou des loueur(s), à savoir le nom, le prénom et l’adresse complète ainsi que le numéro de registre national (ou le numéro BCE s’il s’agit d’une personne morale);
  • l’adresse du ou des biens immobiliers;
  • le montant des indemnités locatives payées ou attribuées au cours de la période imposable concernée, par bien;
  • la partie des montants déduits à titre de frais professionnels réels ou lorsque le contribuable est assujetti à l’impôt des sociétés,  le montant des indemnités locatives déduits à titre de frais professionnels.

Toutes ces informations doivent être fournies pour chaque bien (immobilier). Donc, au sens strict, pour chaque parcelle cadastrale.

Concrètement

Cette loi introduit une nouvelle charge administrative pour les agriculteurs puisqu’ils devront très prochainement demander à leurs propriétaires l’ensemble de ces informations, qui ne sont parfois même pas connues par eux.

Obligations fiscales

En effet, en cas de bail verbal, le preneur dispose de données d’identification minimales par rapport à son bailleur. L’adresse du bien loué fera souvent défaut car les champs ne sont pas associés à une adresse précise. En outre, la parcelle utilisée ne correspond pas nécessairement à une parcelle cadastrale en raison de fusions et d’échanges de parcelles. Une parcelle peut également être cédée pour un bail saisonnier.

Il est clair qu’il s’agit là d’un travail titanesque, totalement dénué de bon sens et inadapté au monde agricole. Nous sommes évidemment très loin du principe de simplification administrative.

Sanction stricte

Lorsque les informations relatives au bien pris en location ne sont pas fournies dans l’annexe à la déclaration, le loyer et les frais pour les avantages locatifs attribués ne seront pas déductibles à titre de frais professionnels. La sanction peut donc être lourde pour les agriculteurs.

Entrée en vigueur

L’obligation prend effet pour l’année de revenus 2023 (exercice d’imposition 2024). Cela signifie que ces renseignements devront être fournis lors de l’établissement de votre prochaine déclaration d’impôt par votre comptable.

Zoom FWA

Dans sa quête de recettes supplémentaires, le Gouvernement a adopté, en deux mois seulement, et sans concertation préalable, une loi que nous décrions pour ses impacts considérables pour le monde agricole.

Pourquoi les syndicats n’ont pas réagi? Il est évident que cette loi a été votée dans la plus grande urgence. Preuve en est, le Conseil d’Etat a été sollicité via la procédure d’urgence et l’Agrofront ne l'a appris que 10 jours avant l’adoption de la loi. Immédiatement, nous avons soulevé que ces dispositions allaient impliquer une charge de travail considérable pour les agriculteurs. À la suite du lobby des syndicats, un ultime amendement a été proposé, le jour du vote, par le parti politique N-VA afin que l’agriculture et l’horticulture soient exclus du champ d’application. Cet amendement a malheureusement été balayé d’un revers de la main par le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V).

Pourtant, la valeur ajoutée pour le trésor public est nulle puisque le bailleur, dans le cadre d’un bail à ferme, n’est jamais imposé sur le loyer réel et les avantages locatifs, mais toujours sur base du revenu cadastral indexé. Pour tous les baux dont la première période d’occupation est de minimum 18 ans, le revenu immobilier est même exonéré pour le propriétaire-bailleur.

Veuillez noter que la volonté du Ministre Van Peteghem, dans le cadre de sa réforme fiscale, est d'imposer les revenus locatifs réels au taux de 25% (annoncé dans la presse en juillet 2022). Il est évident que si tous les renseignements lui sont fournis par le contribuable sur un plateau doré, la taxation des loyers sera aisée à l'avenir.

Une levée de bouclier s'impose, afin d’exclure le monde agricole du champ d’application de la présente loi. Soyez assurés que nous mettons tout en œuvre pour mener cet objectif à son terme!