Une question primordiale

La question de l’accès à la terre est à ce point centrale pour l’avenir de l’agriculture familiale wallonne qu’il y avait foule, mercredi dernier à la FWA, pour la présentation du rapport 2023 de l’Observatoire du Foncier Agricole (OFA). Une présentation sous les prismes politique, administratif et notarial, qui a permis d’avoir une vue globale sur la hausse continue, quoique ralentie en 2022, du prix du foncier en Wallonie. Une évolution de nature à susciter les craintes de nombreux agriculteurs quant à l’avenir de l’agriculture familiale.

Ronald Pirlot

Instauré en 2017 par les autorités wallonnes, l’Observatoire du Foncier Agricole (OFA) établit chaque année un état des lieux du marché des terrains agricoles sur base des données fournies par la Fédération Royale du Notariat belge et par les Comités d’acquisition. Cela concerne la majorité des opérations immobilières agricoles, de la vente à l’échange, en passant par les donations en pleine propriété, les apports en personne morale et les baux à ferme. Collectées, ces données sont ensuite analysées et compilées afin de donner une cartographie annuelle de l’état du marché pour, in fine, orienter les politiques régionales liées à la terre.

Le Ministre wallon de l'Agriculture, Willy Borsus, à la FWA

«Un enjeu du foncier absolument crucial, dont l’acuité n’a cessé d’augmenter ces dernières années, voire ces derniers mois» souligne le Ministre Borsus. Allusion au prix des terrains en constante augmentation, même si le Ministre relève un ralentissement en 2022, qui est source d’inquiétudes car de nature à mettre à mal toutes possibilités de reprises chez les jeunes.

Marché foncier tendu

La superficie agricole estimée en Wallonie tourne autour des 750.000 Ha. «Une ressource limitée en quantité qui fait l’objet de convoitises croissantes, qu’elles soient à des fins agricoles, énergétiques, d’investissement… De ce fait, l’on se trouve dans un marché tendu» souligne Marc Thirion, directeur de la Direction de l’Aménagement foncier rural wallon, lors de la présentation du rapport de l’OFA.

En 2022, il y a eu 6.146 ventes de biens immobiliers agricoles, ce qui représente une superficie de 8.330 Ha, au prix moyen de 123.346 €/Ha. Un prix qui vous fera sans doute sursauter, à l’instar de l’assemblée présente à Gembloux, mais qui englobe les parcelles bâties. «Deux paramètres ont une importance fondamentale sur la détermination du prix : le caractère bâti ou non du bien, mais aussi et surtout l’affectation au plan de secteur qui peut faire varier le prix jusqu’à le multiplier par 9!» ajoute Marc Thirion.

D’autres facteurs influent sur le prix, comme le précise le porte-parole de la Fédération des Notaires, Renaud Grégoire: la qualité agronomique, la localisation, la configuration de la parcelle, la déclivité du terrain, la distance de la terre à la ferme, la proximité d’une zone urbanistique, l’inscription en zone Natura 2000, la situation locative. Mais aussi l’accès au terrain, son caractère enclavé…

BW dans le haut du panier

Si l’on s’en tient aux parcelles agricoles non bâties, le prix de vente est de 36.368 €/Ha. Un chiffre qui, rappelons-le, constitue une moyenne car il existe de grandes disparités par région, les sols sablo-limoneux du Brabant wallon remportant la palme de la cherté avec des valeurs de l’ordre de 90.000 €/Ha, alors qu’à l’inverse l’on retrouve l’Ardenne namuroise et la Haute-Ardenne Liégeoise avec des valeurs entre 10.000 et 20.000 €/Ha.

Le Ministre wallon de l'Agriculture, Willy Borsus, aborde le foncier à la FWA

D’autres tendances se dessinent très fortement, comme le fait que la grande majorité (79%) des biens agricoles vendus le sont par des personnes physiques n’étant pas elles-mêmes agriculteurs. Attention qu’il peut s’agir d’héritiers d’agriculteurs ayant fait le choix de ne pas poursuivre l’activité parentale. Du côté des acheteurs, les chiffres montrent qu’une majorité de biens bâtis sont achetés par des non-agriculteurs, tandis que les parcelles non bâties sont essentiellement acquises par les acteurs du monde agricole, en l’occurrence des agriculteurs en personne physique, mais aussi et de plus en plus, des sociétés.

A noter encore que «la proportion d’hectares détenus par les agriculteurs par rapport à la superficie qu’ils exploitent (le faire-valoir direct) ne cesse de croître puisqu’elle est passée de 31% en 2010 à 38% en 2020» précise Marc Thirion.

Quid de la transmission?

Une évolution des prix qui, certes, assoie la valeur du patrimoine détenu par le chef d’exploitation et sa famille, mais qui pose un sérieux dilemme en cas de rachat de terrain ou de reprise par la future génération. Et ce plus encore dans l’hypothèse d’une fratrie nombreuse.

Dans l’assemblée, les voix se sont élevées, nombreuses, pour dénoncer cette situation problématique qui risque de sonner le glas du modèle d’agriculture familiale tel que nous le connaissons en Wallonie. «Nos enfants vont-ils devoir emprunter sur 3 générations comme en Suisse?» questionne Brigitte Michiels. «Veut-on comme paysan des capitalistes qui veulent toujours en avoir plus, des sociétés de gestion et des grosses fermes? Peut-être faut-il mettre en place un système de montants compensatoires pour les jeunes et aller chercher dans la poche de celui qui vend très cher une compensation pour celui qui achète?» questionne Etienne Ernoux.

Revoir le paradigme?

Réponse du notaire Renaud Grégoire : «la question centrale, c’est de savoir si un bien a été acheté à sa valeur. Dans ce cadre, il convient de savoir à quel moment ça paraît essentiel d’être propriétaire. Je pense que le combat n’est pas de savoir qui est propriétaire, mais de travailler pour qu’il y ait des baux à ferme qui soient faits au profit d’une agriculture familiale que nous souhaitons tous voir continuer. Le débat porte sur des baux de longue durée ou des baux de carrière. Je pense que le modèle qui consiste à dire qu’aujourd’hui je vais développer une entreprise agricole pour, plus tard, la remettre à mon fils ou à ma fille, globalement, est à revoir».

François-Hubert Van Eyck questionne le Ministre

Et le porte-parole de la Fédération des notaires d’étayer son propos en expliquant qu’en partant sur ce modèle, l’on spécule sur l’idée que l’agriculteur créée une entreprise pour un siècle. Et aujourd’hui, dans le monde moderne, c’est très difficile à mettre en place car il va y avoir plusieurs enfants, que le foncier a une valeur, que les autres enfants vont vouloir leur part et qu’on va devoir diviser, donc vendre. Et les prix vont monter, créant une spirale négative.

«Oui, mais pourquoi on est obligé d’acheter. Parce qu’au prix où il achète un terrain, un investisseur attend de la rentabilité. Et donc est moins enclin de conclure des baux longue durée» rétorque François-Hubert Van Eyck, qui maintient que ce système va mener à la fin de l’agriculture familiale wallonne.

Un modèle familial défendu par la FWA

«Ce sujet, et votre présence ce soir dans l’assemblée le confirme, est important pour l’avenir de l’agriculture familiale.

Marianne Streel et la FWA défendent fermement le modèle agricole familial

Cette agriculture où le chef d’exploitation et sa famille sont indépendants financièrement – ça ne veut pas dire qu’on n’a pas de prêts, mais qu’il n’y a pas derrière eux un investisseur –, que ce sont eux qui prennent les décisions et qui gèrent l’exploitation et qu’ils apportent l’essentiel du travail et du capital. Et c’est ce modèle-là qu’on veut garder à la FWA, en visant l’intérêt général de tous les secteurs, bio ou non bio. C’est la ligne qu’on doit garder pour nos revendications, avec force et conviction».

En 6 ans, le prix moyen des terres a augmenté de 33,7%!

Depuis la mise en place de l’Observatoire du foncier agricole en 2017, les prix des terrains non-bâtis entièrement situés en zone agricole n’ont cessé d’augmenter. En faisant la moyenne entre les biens libre d’occupation et les biens totalement sous bail à ferme, on est passé de 27.205 €/Ha en 2017 à 26.060 €/Ha en 2018, 28.790 €/Ha en 2019, 30.521 €/Ha en 2020, 34.495 €/Ha en 2021, pour finalement atteindre 36.368€ en 2022. Soit une augmentation de 33,7% en 6 ans!

«Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais la tendance en 2022 semble se lisser («seulement» +4%). C’est sans doute dû à l’inflation importante que nous avons rencontrée l’an dernier. Est-ce l’hirondelle annonciatrice d’un printemps à cet égard?» questionne le Ministre Borsus. Seul l’avenir le dira.

Des pistes pour sortir l’accès à la terre de l’ornière

Conscient du problème de l’accès à la terre, l’exécutif wallon a décidé, dès sa mise en place, d’un plan d’actions, comme l’a rappelé le Ministre Borsus, à travers des mesures concrètes. Celles-ci visent à faciliter l’accès au foncier ; à soutenir, dans le cadre du Plan stratégique, l’accompagnement des jeunes lors de leur installation et pour l’accès à la terre ; et enfin à soutenir l’accompagnement lors de la transmission à travers, notamment, des projets tels que Goferme et Transmiferme proposés par la FWA.

A cela s’ajoutent les réflexions menées lors des Assises de la terre organisées à l’automne dernier, au sein de laquelle participait la FWA. Il en ressort notamment :

  • la création de l’agence du foncier agricole wallon. Il s’agit d’un point de contact unique à la disposition du monde agricole et des propriétaires (singulièrement des propriétaires publics) pour donner une information personnalisée concernant le bail à ferme,… Mais aussi d’accompagner les propriétaires publics (Communes, CPAS, Provinces, Fabriques d’église…) lors de la mise ou remise en location de terrains agricoles, voire, lorsque ces mêmes propriétaires publics souhaitent vendre leurs terrains, de permettre à la Région de les acquérir pour les confier aux agriculteurs via le bail à ferme ;
  • le droit de préférence qui permettrait à la Région, lorsque des terrains publics sont mis en vente et qu’aucun droit de préemption ne s’exerce, de les racheter prioritairement. «L’on parle ici de 60.000 hectares publics à travers la Wallonie détenus par les Provinces, Communes, CPAS et autres fabriques d’église. Ce qui n’est pas rien. L’idée n’est bien évidemment pas que la Région devienne le plus grand propriétaire foncier de Wallonie» précise Willy Borsus, qui ajoute que ces propositions se trouvent actuellement sur la table du Gouvernement wallon ;
  • créer un groupement foncier agricole pour permettre, lors d’une reprise de l’exploitation par un des membres d’une fratrie à la suite d’un décès parental, de convaincre les frères et sœurs de rester co-propriétaires de l’ensemble des biens à travers un intéressement dans ce groupement foncier agricole. Et ainsi permettre le maintien du patrimoine familial au profit de celui qui poursuit l’activité.