Nourrir : cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre !

Comme indiqué sur le bas de la couverture, le dernier livre de Sylvie Brunel se veut un manifeste pour le monde agricole, dans toute sa diversité. L’auteur y livre un véritable plaidoyer pour les agriculteurs, dont les mérites sont de nourrir leurs congénères. Lesquels se montrent trop souvent – et c’est un euphémisme - avares en reconnaissance.

Ronald Pirlot

«Quoi, tu vas lire et critiquer le dernier ouvrage de Sylvie Brunel! Sais-tu que cette auteure, géographe de formation, affiche des positions climatosceptiques?» m’avait-on prévenu, telle une sérieuse mise en garde. Il n’en fallait pas plus pour définitivement piquer au vif ma curiosité et aller à la rencontre d’un ouvrage dont le titre m’a directement interpellé. Un rendez-vous littéraire auquel je me rendais, affranchi par principe de tout a priori.

Premier constat: l’auteure affiche clairement ses convictions pour défendre bec et ongles ce monde agricole trop souvent décrié, allant à rebrousse-poil d’une opinion publique plus prompte à crier avec les loups qu’à reconnaître les mérites de ceux qui les nourrissent. Elle y dénonce l’ingratitude des consommateurs envers tous les pères nourriciers de France.

« Nourrir. Quelle mission plus noble que de nourrir ses concitoyens.(…) Jamais nous n’avons eu autant besoin des agriculteurs, jamais nous ne les avons autant maltraités. Ils exercent pourtant le plus beau métier du monde. À notre service. Et ils possèdent toutes les clés du développement durable. Ce sont eux les premiers écologistes de la planète. Quelle est cette société qui se permet de mordre la main qui la nourrit?»

Arrêter de critiquer sans connaitre

Le message est clair, limpide et seriné à tous les chapitres avec moults références aux expériences de l’auteure, que ce soit lors de son engagement dans l’humanitaire ou désormais à travers sa carrière académique. Avec, au centre du débat, cette question. «Mais qui connait vraiment leur métier? Nous pérorons sans savoir. Il faut aller à la rencontre de ceux qui nous nourrissent, les écouter, pour comprendre à quel point notre agriculture – familiale, variée, exigeante et propre - est admirable. (…) Il serait temps que le principe de réalité s’applique aussi à l’agriculture. Que nous cessions de scier la branche sur laquelle nous reposons».

Un message adressé au grand public qui se satisfait plus facilement d’une formule choc et simpliste, plutôt que des longues explications qui traduisent la complexité et la technicité du métier de la terre. Et comme les agriculteurs ne sont pas nécessairement de grands communicants, l’auteure a décidé de prendre le relais, expliquant qu’il faut arrêter d’opposer les différents modèles d’agriculture – bio, conventionnel, court, long – parce qu’on a besoin de tout le monde. Car seules, les productions alternatives, certes vertueuses, ne pourront jamais suffire à nourrir nos métropoles urbaines. «La démarche des AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) est admirable, car elle montre une volonté de maintenir une agriculture paysanne de proximité, de créer du lien, de la solidarité… mais elle ne pourrait pas être généralisée: les habitants d’île de France consomment 2 millions de tonnes de fruits et légumes chaque année, les 340 AMAP en fournissent 3.500 tonnes! »

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Rendre confiance à la jeunesse

Et Sylvie Brunel de s’attaquer à un autre problème: «Nous ne mesurons pas suffisamment la menace que représente pour nos sociétés l’éco-anxiété qui étreint aujourd’hui la jeunesse. (…) Il faut en finir avec les accusations, la haine, le découragement que les réseaux sociaux exacerbent et que certaines organisations entretiennent parce qu’elle garantit leur audience, et même leurs financements. Au contraire, je préconise la mise en place d’un service civique agricole pour canaliser l’énergie de la jeunesse vers un projet de société constructif, lui montrer qu’elle peut agir immédiatement, en s’engageant au service de la planète, aux côtés des agriculteurs».

Et le climat dans tout ça?

L’auteure nuance le propos qui voudrait systématiquement rejeter la faute sur le climat. «Pour chaque situation, il est important d’examiner de très près le géosystème, afin de ne pas systématiquement imputer au climat des difficultés d’une autre origine. Même si le réchauffement des dernières années est incontestable» déclare-t-elle, citant par exemple la prolifération des campagnols dans les prairies auvergnates comme une source de l’effondrement de la production d’herbe dans cette région.

Et d’ajouter, en guise de solutions: «lutter contre le changement climatique passe par la mise en œuvre, à la fois, de politiques d’atténuation (agir contre les causes du changement climatique en limitant les émissions de gaz à effet de serre) et de politiques d’adaptation (préparer les territoires, les rendre plus solides, plus résilients face à ses conséquences). (…) Renforcer la résilience de l’agriculture face à l’accroissement de la durée et de l’intensité des sécheresses estivales, c’est élaborer avec les agriculteurs (et non pas contre eux! Ni sans eux!) des réponses multifactorielles pour les aider à effectuer cette transition… Mais il faut aussi les accompagner dans cette mutation en finançant les conséquences du passage à des écosystèmes plus complexes, qui demandent plus de moyens et plus de travail».

Conclusion

Un livre qui s’adresse principalement au grand public, et plus précisément à ceux qui pourfendent l’agriculture en toute méconnaissance. L’auteure leur rappelle qu’il convient de respecter ceux qui nourrissent leurs semblables et de reconnaître tout ce qu’ils mettent en œuvre pour la santé et la beauté du monde. «Sinon, nous en paierons tous le prix le plus élevé qui soit. Les pierres de la faim ne doivent pas réapparaître».

«Nourrir – Cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre !», Sylvie Brunel, Editions Buchet-Chastel, 2023, 327 pages, 21.50€.

 

epislogue

Sylvie Brunel sera la prochaine invitée d’Epislogue le 20 septembre prochain à 20h, dans nos locaux de Gembloux.