Priorité à la souveraineté alimentaire

Ce 1er janvier, la Belgique assurera la présidence tournante de l’Union européenne. Quelles sont les ambitions en matière de politique agricole? Réponses avec le Ministre fédéral David Clarinval qui a accepté de nous accorder de son temps dans un calendrier particulièrement chargé.

Propos recueillis par Ronald Pirlot

Pleinchamp : Monsieur le Ministre, avant d’entrer dans le vif du sujet, cette présidence s’annonce-t-elle particulière en raison des élections européennes de juin?

David Clarinval : «Assurément, elle sera coupée en deux. A partir du mois d’avril, les Députés ne seront plus en mesure de pouvoir assurer leurs fonctions vu l’échéance électorale. Nous n’aurons que 3 ou 4 mois utiles pour mettre en œuvre la conclusion de dossiers et serons davantage dans la mise en place de thématiques nouvelles pour la fin de la présidence». 

La souveraineté alimentaire

Pleinchamp: Au niveau agricole, quelles seront les ambitions de cette présidence belge?

David Clarinval : «La ligne directrice, c’est vraiment de mettre en place une autonomie stratégique en matière de souveraineté alimentaire. Ça veut dire qu’on veut une agriculture :

- qui soit rémunératrice pour nos agriculteurs ;

- qui assume ses responsabilités en termes de production, en quantité et en qualité, de nourriture, en ce compris pour l’exportation ;

- qui va dans le sens d’une Europe plus durable, via la protection de la biodiversité et la réduction des émissions de CO2.  

Souveraineté alimentaire

Mais l’enjeu principal, c’est d’abord la souveraineté alimentaire avec le revenu des agriculteurs, et ensuite la transition».

Pleinchamp : Comment y parvenir?

David Clarinval : «Les nouvelles technologies, et pas seulement génomiques, constituent un élément majeur, selon moi, pour rencontrer ces défis à la fois de souveraineté alimentaire et de durabilité de l’agriculture. Mais pour cela il faudra aider les agriculteurs car cela coûte cher».

Moyens de ses ambitions?

Pleinchamp : Justement, l’Europe a-t-elle les moyens de ses ambitions à cet égard?

Moyens européens

David Clarinval : «C’est à ça qu’on sert. On veut être très ambitieux sur le plan climatique, il faudra l’être aussi en matière de soutien aux agriculteurs. C’est clair. On ne peut pas demander tout et son contraire. On n’atteindra les objectifs environnementaux que si on donne les outils aux agriculteurs pour le faire, à savoir des nouvelles technologies et des moyens financiers! Ça ne sert à rien d’interdire si l’on ne présente pas des alternatives et des solutions».

Pleinchamp : Dans ces nouvelles technologies figurent les nouvelles techniques génomiques (NTG). Quelles sont vos visées?

David Clarinval : «La présidence espagnole a bien avancé sur le sujet. Hier (lundi Ndlr) on a pu constater que pas mal de pays y étaient favorables. L’Allemagne s’est abstenue. Nous aussi vu l’absence d’accord avec Ecolo au Gouvernement fédéral. Des pays veulent avancer. C’est aussi ma volonté. Pragmatiquement, je veux mettre toute mon énergie sur ce texte pour pouvoir aboutir. Il y a encore certains éléments sur lesquels se pencher, comme la politique des brevets. Je suis ouvert à la discussion afin de rassurer certains pays et obtenir une majorité qualifiée pour décider, avant avril, de la mise en œuvre des NTG. On ne peut pas être le seul continent dans le monde à ne pas donner aux agriculteurs des outils qui leur permettraient d’être plus durables… pour des raisons purement dogmatiques».

Politique vaccinale

Pleinchamp : Quid des normes IED, de la restauration de la nature et du bien-être animal?

David Clarinval : «Pour la restauration de la nature et l’IED, le trilogue (réunion tripartite réunissant le Parlement, la Commission et le Conseil) est en cours. Ce sera décidé avant la présidence belge. Pour le bien-être animal, nous avons reçu le texte avant-hier. La Belgique étant à la pointe à ce sujet, nous ne sommes guère concernés. J’ai toutefois quelques inquiétudes au niveau du transport des grands bovins. A nous d’y être attentifs».

Pleinchamp : Et la politique vaccinale?

David Clarinval : «On va faire 3 événements durant cette présidence : l’un sur la vaccination, un autre sur la résistance anti-microbiens et un dernier sur les bonnes pratiques européennes en matière d’autonomie protéiques. Autant de sujets majeurs que l’on veut mettre à l’ordre du jour pour l’après-élection. Sur la vaccination, l’on veut implémenter dans les élevages de volaille la possibilité de vacciner car il y a beaucoup trop de gaspillage alimentaire et ça coûte de l’argent aux éleveurs. C’est un échec pour tout le monde. Ça permettra de soutenir un peu plus nos éleveurs».

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Quelle serait l'incidence d'un élargissement de l'UE

Evaluation de la PAC

David Clarinval : «Nous n’en avons pas encore parler mais nous ambitionnons également de mettre en place une première évaluation de la PAC 2023-2027 pour lancer la réflexion sur la PAC post-27 et, sur base de cette première année, pouvoir prévoir des adaptations».

Pleinchamp : Une PAC qui, pour la première fois, est mise en œuvre à travers des Programmes stratégiques individualisés par pays (ou par région comme en Belgique). Cette PAC à géométrie variable ne dessert-elle pas la cause de l’agriculture européenne?

David Clarinval : «C’est un grand débat tranché voici quelques années. Les grandes lignes sont les mêmes pour tout le monde, mais la mise en œuvre est fonction des forces et des faiblesses des régions. Mais c’est aussi normal que l’on tienne compte des situations différentes, l’agriculture wallonne n’étant pas la même que celle du Portugal ou de Finlande».

Pleinchamp : N’y a-t-il pas un danger que les normes, différentes d’un pays à l’autre, créent une forme d’inégalité au sein de l’Union?

David Clarinval : «C’est clair qu’on voit en Belgique, et plus particulièrement en Wallonie, que la Région s’est mise des contraintes environnementales très importantes sous l’impulsion des Ecologistes. Ça n’est pas de nature à renforcer notre compétitivité à l’égard d’autres pays en Europe moins regardant. Les choix que l’on fait ont des conséquences».

Elargissement de l’UE et Mercosur

Pleinchamp : L’un des prochains sujets au menu de l’Europe sera son élargissement. Nos agriculteurs doivent-ils le craindre?

 

Mercosur

David Clarinval : «Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un point de chaque conseil est consacré aux conséquences de cette guerre pour l’Europe. Et pour l’agriculture, cette incidence est majeure. On le voit surtout à travers les tensions avec les pays limitrophes avec l’Ukraine. Et bien évidemment l’on doit en tenir compter dans notre stratégie. Si jamais l’Ukraine devenait du jour au lendemain membre de l’UE, elle deviendrait immédiatement le plus grand pays d’Europe et elle recevrait des aides directes supérieures à celles de la France. Vous vous rendez compte de ce que cela veut dire. Quand je dis qu’il faudra réfléchir à la PAC post-27, c’est un élément qui devra être inclus dans l’équation».

Pleinchamp : Sortons de l’Europe pour évoquer l’accord de libre-échange avec le Mercosur. Vu l’élection du président argentin, Javier Milei, décrit comme un ultra-libéral, faut-il craindre que la ratification de cet accord ne connaisse un coup d’accélérateur?

David Clarinval : «Il est plus libertarien (qui prône un libéralisme radical) qu’ultra-libéral. Mais vous savez que notre position se rapproche fortement de celle de la France (la France s’y oppose en raison des menaces qu’un tel accord induirait sur le secteur agricole, Ndlr). Tant que nous ne recevons pas de garantie sur l’agriculture, nous ne signerons pas l’accord comme la France».

La COP28 pèsera-t-elle sur l’Europe?

Pleinchamp : La COP28 s’achève à Dubaï sur un sentiment d’échec. Pensez-vous que cela puisse influer, dans le sens d’un rehaussement, sur les objectifs de la politique environnementale européenne?

David Clarinval : «Donc ça voudrait dire que puisque le reste du monde s’arrête, nous voudrions courir plus vite! Faut arrêter de vouloir être plus catholique que le pape. Une tendance qu’on voit en Europe, mais aussi plus singulièrement en Belgique. Et résultat, nous sommes les seuls à appliquer des normes inapplicables, à nous mettre des contraintes qui sont tellement contraignantes que des entreprises quittent l’Europe et nos agriculteurs sont confrontés à des techniques de production non rentables. Veut-on subir le dumping environnemental des autres continents ? Je ne le pense pas. Au contraire, nous sommes les plus ambitieux du monde, restons-le. Et essayons le reste du monde de nous rejoindre.

Il faut un peu de réalisme, un peu de pragmatisme, on doit aller vers un développement durable, mais si on n’a pas les clauses miroirs, si le reste du monde ne nous suit pas, alors nous risquons de mourir tout seul dans notre coin… tandis que cela n’aura rien changé tant notre quote-part est négligeable face à l’Inde ou à la Chine».

Pleinchamp : le « pragmatisme », qui est souvent revenu dans vos propos, sera-t-il le maître-mot de votre présidence ?

David Clarinval : «le pragmatisme, c’est le bon sens paysan. Moi, je suis un paysan. Et je pense qu’il faut d’abord travailler avec du bon sens et du pragmatisme avant de vouloir faire des choses qui sont inatteignables. Faisons les choses étape par étape, convenablement, essayons d’aboutir sur des éléments qui sont atteignables et ne mettons pas la charrue avant les bœufs».