Quid de l'engouement ?

La mise sous projecteur des réalités agricoles et le cri d’alarme lancé par les agriculteurs sur leur situation économique a-t-il engendré un sursaut sociétal bénéfique au circuit-court? Visiblement, les clients se sont faits plus nombreux ces derniers jours dans les points de vente à la ferme, comme nous le confirment une série de producteurs. Mais est-ce par conviction, par soutien… ou par dépit en raison d’étals de supermarchés vides? Il est encore trop tôt pour tirer des enseignements.

Propos recueillis par Anne-Laure Michiels et Ronald Pirlot

Pas encore assez de recul pour analyser ce phénomène

Sébastien Deknudt, Ferme des 5 Epines à Braine-le-Comte

«Nous avons connu une bonne fréquentation la semaine passée. Les gens souhaitent-ils par ce biais afficher leur soutien au monde agricole? Le phénomène est encore trop récent que pour avoir le recul nécessaire à une juste analyse. Toujours est-il que les nouveaux clients peuvent ainsi se rendre compte que le circuit court n’est pas plus cher. Je prends notamment l’exemple du prix du lait qui est moins cher qu’en grande surface. Notre principal problème, c’est que les gens ne sont pas nécessairement prêts à faire plusieurs chapelles pour acheter de bons produits. C’est pourquoi nous avons pris le parti de proposer une gamme élargie de produits locaux».

Sébastien Deknudt

S’il se réjouit bien évidemment de cet élan de fréquentation qui lui assure un surcroît de rentrées, Sébastien n’en reste pas moins persuadé que ce ne sera pas suffisamment. «Seules 5% des exploitations font de la vente directe. Or, il faut que tout le monde puisse vivre. D’où la nécessité de mesures structurelles car le problème est plus général».

Lesquelles? «Je trouve tout à fait anormal que le prix de notre lait soit fixé le 20 du mois qui suit la livraison. On devrait pouvoir le fixer à l’avance. Il n’y a qu’à 7 ou 8 laiteries à convaincre, pas plus. De même, prenez l’AFSCA. Ils sont toujours autant de contrôleurs, alors que nous sommes moins d’agriculteurs. Résultat, nous sommes deux fois plus contrôlés. Pourquoi ne détacherait-on pas du personnel pour créer une Agence fédérale des origines alimentaires, pour davantage contrôler les produits, mieux signaler leur origine sur les étiquettes d’emballage et ainsi davantage défendre la production locale?»

Des clients déjà convaincus à la base

Alexandre Flamand, Ferme du Vieux Tilleul à Bierwart

«Depuis quelques jours, nous connaissons une poussée de la fréquentation de notre magasin bio. On est toutefois loin du boom rencontré durant le Covid. Parmi les clients qui franchissent la porte d’entrée, une grande majorité est déjà convaincue par notre mode de production. J’en veux pour preuve que nous n’enregistrons pas beaucoup de nouveaux clients.

Alexandre Flamand

Il s’agit surtout de personnes qui sont déjà venues et qui reviennent, ou des clients déjà fidèles qui viennent plus souvent. Et dont la démarche est motivée par leur volonté de soutenir notre secteur».

Un monde agricole qu’Alexandre décrit comme très pluriel, avec autant de facettes qu’il n’y a d’exploitations. «Certes, il y a un malaise global résultant des surcharges administratives et des difficultés financières que chacun rencontre. Mais si le problème est commun, les causes diffèrent, selon moi, en fonction des filières». Pour lui aussi, le problème est nettement plus structurel et global, que simplement conjoncturel. De quoi regarder avec une certaine circonspection la marche arrière européenne opérée ces dernières semaines sur certaines législations environnementales…

Une forte hausse, peut-être un feu de paille

Olivier Le Maire, agriculteur et Emilie Daniels, Responsable du magasin « Le Maire Bio » à Verlaine

À la question de connaître l’influence des mobilisations agricoles des dernières semaines sur la fréquentation du magasin, Emilie remarque «une très forte hausse de fréquentation sur les deux dernières semaines.

Olivier Le Maire

Nous disposons d’un programme de fidélité qui nous permet aussi d’enregistrer et d’évaluer les mouvements. Nous avons constaté une hausse de 45% de la fréquentation de notre magasin bio et du panier des clients».

Et ce n’est pas seulement la hausse de la fréquentation qui est observée du côté de Verlaine : « Le nombre de nouveaux visages qui poussent les portes du magasin augmente aussi. On remarque également le retour de certains des clients qui venaient faire leurs emplettes chez nous pendant la période Covid et qui avaient repris le chemin des grandes surfaces, par habitude » souligne Emilie Daniels. Olivier Le Maire reste lui cependant prudent par rapport à cet engouement significatif : « il y a beaucoup de nouveaux clients, certes mais c’est trop tôt pour dire si ça va continuer. Ce n’est peut-être qu’un feu de paille. Les retours sur la qualité de nos produits sont par contre toujours positifs. »

Espérons que cela puisse continuer sur la durée

Céline Jacoby, La Campagnarde (boucherie à la ferme) à Tintigny

Sa boucherie à la ferme dans la Province de Luxembourg connaît un pic de fréquentation depuis les mouvements de mobilisation agricole nous confie Céline : « je remarque un tiers en plus de commandes à la boucherie (ndlr : ouverte le vendredi soir et le samedi matin) depuis les manifestations.

Céline Jacoby

Les gens ne manquent pas non plus de marquer leur soutien verbalement quand ils viennent retirer leurs commandes. Pour beaucoup de ‘nouveaux’ clients, il s’agit de personnes qui étaient venues pour la première fois durant la période Covid. Espérons que ce ne soit pas que passager et que le soutien pourra perdurer ! En tout cas, c’est très gratifiant de voir que l’on se déplace jusque dans notre petit village pour venir y acheter sa viande. »

L’asbl Bettie à Attert collecte des produits locaux, dont la viande de Céline Jacoby, pour les vendre sous forme de paniers composés (de fruits, légumes, viandes, laitages,…). Cette asbl connaît elle aussi une crue au niveau de son affluence, nous explique Céline : « ils sont passés de 50 paniers par semaine à 102 paniers, le tout en deux semaines ! Le chiffre du panier moyen a également augmenté, ce qui montre aussi une hausse de la consommation des consommateurs qui étaient déjà acquéreurs des paniers. Pourvu que cela dure ! »