Les relations entre les agriculteurs producteurs individuels souvent en position de faiblesse face aux autres maillons et le secteur de la distribution apparaissant comme tout puissant et uniquement préoccupé de marges de distribution et de niveau de prix les plus bas possibles ont souvent été tendues. Depuis plusieurs années, et dans l’optique d’augmenter le retour de valeur ajoutée vers les agriculteurs pour soutenir les revenus agricoles, la FWA a multiplié les contacts avec la distribution, que ce soit via la Fédération du Commerce et des services COMEOS ou via des discussions bilatérales directes avec les enseignes individuelles.

 

José Renard

 

Les relations entre les différents acteurs de la chaine alimentaire sont souvent représentées sous la forme d’un sablier: d’un côté un très grand nombre de producteurs individuels, un nombre limité d’entreprises de transformation, la partie la plus étroite étant formée d’un nombre très restreint d’enseignes de distribution dont la concentration est encore renforcée par la mise en commun de centrales d’achat et enfin de l’autre côté du sablier les consommateurs. Dans cette situation, le partage des valeurs et leur transmission tout au long de la chaîne ne sont pas équitables et toujours au détriment des producteurs qui peinent à obtenir un revenu décent de leur production et se sentent victimes des exigences des secteurs en aval: normes de qualité, volumes, délais de paiement et surtout pression jamais relâchée sur les prix.

Pourquoi parler avec la grande distribution alors que pour certains, il suffit de quelques tracteurs pour bloquer une centrale d’achat? Premièrement parce que la FWA est une organisation responsable qui veut aussi donner sa chance à la concertation et ne refuse pas les demandes de rencontre. Ce qui n’exclut pas le recours à des actions plus fortes quand le besoin s’en fait ressentir comme le soulignait notre présidente dans son édito du 15 avril dernier. Deuxièmement, même si le circuit court et la vente directe bénéficient d’une attention croissante, force est de constater que le supermarché reste pour la majorité des consommateurs l’endroit de l’approvisionnement alimentaire. Je rappellerai au passage que la flambée des achats directs constatée il y a un an lors du premier confinement ne s’est pas maintenue, malheureusement pour les producteurs concernés qui avaient consenti d’importants efforts pour répondre à cette croissance soudaine de la demande. Troisièmement, dans notre économie basée sur la demande, les producteurs doivent plus que jamais réfléchir aux modalités de commercialisation de leur production. Le temps où des officiels pouvaient dire: «votre métier c’est de produire, on s’occupe du reste» est malheureusement révolu. Il nous faut rechercher des modes de commercialisation qui permettent de couvrir les coûts de production et de dégager un revenu.

Dans ce contexte, même si cela n’est pas toujours confirmé dans les comportements d’achats, nos concitoyens se montrent, selon leurs déclarations dans des sondages comme l’Eurobaromètre, plus soucieux du caractère local et de la provenance des produits ainsi que des modes de productions. La grande distribution embraie dans ce mouvement et veut proposer au consommateur des produits d’origine locale bien identifiée et pour lesquels le producteur est mis en avant face à l’anonymat de produits sous marque générique. A cet égard, la volonté de certaines grandes enseignes actives sur le marché belge de conclure des partenariats avec des producteurs et leurs associations, notamment des coopératives, constitue un facteur de progrès important que nous devons saisir. Nous vous en présentons un premier exemple dans ce numéro de Pleinchamp.

Bien évidemment, il doit s’agir de partenariats équilibrés entre partenaires qui se respectent. La FWA le rappelle régulièrement aux acteurs de la grande distribution qu’elle rencontre bilatéralement. Ces accords doivent prendre en compte les coûts de production des agriculteurs et se traduire par une répartition équilibrée et équitable des marges. Il est également nécessaire que les enseignes veillent à un étiquetage clair et transparent de l’origine des produits vendus, permettant au consommateur d’effectuer ses actes d’achat en toute connaissance de cause ainsi qu’à une information pertinente de l’acheteur sur la nature du produit et même la façon de le préparer.

Rappelons aussi qu’en particulier dans le secteur de la viande bovine et dans l’optique d’augmenter le retour de valeur ajoutée vers les agriculteurs pour soutenir les revenus agricoles, l’une de nos premières actions a consisté à expliquer, sur la base des études du SPF Economie, le phénomène de ciseaux des prix et l’écart croissant entre des prix à la consommation stables et des prix à la production à la baisse sans compter des coûts additionnels toujours répercutés au détriment de l’amont. Les très nombreuses réunions bilatérales avec les enseignes individuelles menées en 2020 nous ont permis d’amener ces dernières à plus de transparence dans la formation des prix.

Par ailleurs, la FWA souligne que les accords commerciaux entre des producteurs ou leurs coopératives et des acteurs de la distribution, pour équilibrés qu’ils soient, ne peuvent prouver leur efficacité que dans la durée. Un engagement de part et d’autre sur une certaine pérennité est indispensable. En effet, un changement de cap de la part de l’acteur de la distribution alors que le producteur partenaire n’a pas pu rentabiliser les investissements consentis s’avère souvent dramatique pour la survie de l’exploitation concernée.

La FWA est bien consciente que certaines promotions commerciales sont nécessaires pour attirer le client vers les rayons des supermarchés et éventuellement les produits belges ou wallons qui s’y trouvent, ou même de façon conjoncturelle pour écouler certains stocks. Elle rappelle néanmoins à tous les acteurs de la distribution que ces publicités et réductions ne peuvent en aucun cas avoir pour effet de réduire le prix d’achat au producteur agricole. Même si en général, les coûts des actions de promotion sont pris en charge par les enseignes sur leurs propres marges, ces promotions doivent rester raisonnables. Des actions de type 1 acheté /1 gratuit dévalorisent les produits en donnant une image faussée de leur valeur réelle et en laissant croire au consommateur que dans de nombreux cas, il paie trop cher. Un produit local de qualité aussi contrôlée que nos productions belges et wallonnes a une valeur qui ne peut pas être bradée. A nos yeux, un produit alimentaire ne devrait jamais être un produit d’appel.

Enfin, la FWA travaille en parallèle à une mise en œuvre de la directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales dans notre législation nationale, afin que des relations commerciales déséquilibrées, encore trop nombreuses aujourd’hui, ne puissent plus avoir cours sur notre territoire et que la position de l’acteur le plus faible, le producteur dans l’immense majorité des cas, soit correctement défendue.

En conclusion, nous continuons à discuter avec la grande distribution mais de façon équilibrée respectueuse mais ferme, sans naïveté de notre part et en gardant notre esprit critique. Tout le monde est là pour gagner sa vie mais pour la FWA, c’est le revenu des producteurs qui guide nos points de vue.