Être agriculteur en Wallonie et partout ailleurs dans l’Union européenne, c’est d’abord une vocation mue par la passion d’un métier même si le plus souvent il s’agit d’un véritable parcours du combattant parsemé d’obstacles et d’embuches de toute nature. Certes c’est un métier d’indépendant et de chef d’entreprise où l’agriculteur et sa famille supporte la majeure partie des risques notamment financiers. Pourtant, chaque jour nous démontre combien ce métier est vital, essentiel pour la sécurisation de notre approvisionnement alimentaire.

José RENARD

 

En 30 ans, le nombre d’exploitations agricoles wallonnes s’est réduit de 60 % passant d’environ 30 000 en 1990 à environ 12 700 en 2020, selon les données du rapport sur l’évolution de l’agriculture wallonne du SPW ARNE. Ces dernières années, cette érosion du nombre d’exploitations semble s’être ralentie. Selon les chiffres de Statbel publiés début janvier, la Wallonie comptait 12.683 exploitations agricoles en 2021, soit seulement 27 en moins que l’année précédente (-0,2%). En 2013, leur nombre s’élevait à 12.832, soit à peine 150 de plus qu’aujourd’hui. Derrière ces chiffres, encourageants au premier regard, se cachent de nombreuses nuances. Notons ainsi que l’érosion du nombre de fermes d’élevage reste forte, une tendance particulièrement inquiétante dans les régions à vocation herbagère.

La pyramide des âges de la population agricole wallonne constitue une vraie source de craintes, avec une moyenne d’âge qui dépasse 58 ans et, selon l’organisme payeur wallon, plus d’agriculteurs âgés de plus de 80 ans que de moins de 30 ans. Bel exemple de longévité, mais qui ne nous rassure pas sur le renouvellement générationnel et plus globalement sur l’attractivité du métier pour les jeunes générations. Et pourtant, chaque jour, nous rencontrons de jeunes passionnés qui n’ont qu’un seul rêve, celui de se lancer dans cette aventure et de s’installer comme chef d’exploitation.

Par sa nature même, l’activité agricole met en œuvre des êtres vivants et est exposée aux risques sanitaires et climatiques. Les agriculteurs savent qu’une période de sécheresse, une nuit de gel ou quelques minutes de grêle peuvent ruiner tous les espoirs de récolte pour une campagne et hypothéquer le revenu de l’année.

Depuis les années 50, l’apparition du machinisme, de la fertilisation, de la chimie et l’amélioration variétale ont permis d’accroître les rendements, de protéger les récoltes et surtout d’abaisser le coût de production par unité de travailleur, en un mot d’engranger de spectaculaires gains de productivité. Il y a 60 ans, un hectare de betteraves sucrières permettait la production de 3500 kg de sucre moyennant 350 heures de travail, essentiellement manuel et pénible.. Aujourd’hui, cette même surface permet de produire 13000 kg de sucre avec un travail nettement réduit à une vingtaine d’heures. Ces gains de productivité ont profité aux consommateurs et libéré des financements et de la main-d’œuvre pour d’autres secteurs économiques. Ils ont surtout permis à l’Europe de passer très rapidement des tickets de rationnement de la 2ème guerre mondiale à la couverture de ses besoins alimentaires, voire devenir exportatrice de produits alimentaires.

La part de l’alimentation, besoin essentiel s’il en est, dans le budget des ménages a diminué de manière importante pour ne plus représenter que moins de 12 % des dépenses. Cette évolution est aussi encouragée par une politique généralisée des prix alimentaires les plus bas pratiquée par la grande distribution. Cette recherche constante du moins disant en matière de prix exerce une pression mortifère sur les marges de nos producteurs qui ne parviennent pas à couvrir leurs coûts de production et fait oublier au consommateur la valeur réelle du produit.

Assez paradoxalement, en agriculture, la productivité semble être devenue un gros mot à bannir du vocabulaire au nom des externalités négatives. Ce raisonnement poussé à l’extrême conduit à dire qu’il faut réduire le cheptel bovin pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Sans verser dans la caricature, la FWA met en avant depuis des mois les résultats convergents des études sur les objectifs chiffrés de la stratégie de la Ferme à la table. Ceux-ci conduiront à réduire la productivité de l’agriculture européenne et donc de la production globale mettant ainsi en danger la sécurité de notre approvisionnement alimentaire avec tous les risques que cela peut entraîner pour la stabilité des prix à la consommation. Contrairement à ce que prétendent certains, la FWA n’est pas opposée sur le principe à la recherche de plus de durabilité en agriculture. Mais cela doit être basé sur des objectifs chiffrés scientifiquement fondés et mis en œuvre de manière concertée avec les organisations agricoles et selon un calendrier réaliste. L’équilibre entre les 3 piliers de la durabilité : économique, social et environnemental doit être respecté et enfin la réalité agronomique, et en particulier celle des rotations, doit être dûment prise en compte.

 

S’installer en agriculture c’est d’abord courir un risque financier considérable lié au coût de la reprise ou du développement de l’activité agricole et de l’accès au foncier et ainsi, s’endetter pour une bonne partie de sa carrière pour pouvoir posséder son outil de travail. Pour ce faire, il faut vraiment disposer de perspectives et de visions à moyen et long terme sur une durée permettant d’amortir les investissements réalisés, ce qui est tout sauf évident dans un contexte économique aussi chahuté. La stabilité des politiques est à cet égard un élément essentiel de l’attractivité du métier. Relever le montant des aides pour les jeunes ou des aides à l’installation est certes nécessaire mais loin d’être suffisant pour accompagner nos jeunes dans leur parcours. D’autant plus qu’ils s’exposent aussi à des risques administratifs. Notre Service d’études doit traiter beaucoup trop de dossiers de recours où des remboursements des aides reçues sont ordonnés au motif que certaines exigences administratives n’ont pas été respectées, mettant ainsi en péril la pérennité même des exploitations concernée.

Pour reprendre les mots forts de Christiane Lambert, Présidente de la FNSEA, « en agriculture, ce sont les risque-rien qui dictent aux risque-tout (les agriculteurs) ce qu’ils doivent faire ». Nos anciens, méfiants par nature, disaient souvent que « le conseilleur n’est pas le payeur ». Mais aujourd’hui, il ne s’agit plus de conseils que chacun avec sa liberté de chef d’exploitation peut suivre ou non mais bien de normes imposées, appliquées dans le cadre de la conditionnalité et dont le non-respect conduit à des sanctions financières sur les aides PAC. Pensons ainsi à des normes adoptées pour « répondre aux attentes de notre société » en termes de stockage d’effluents d’élevage ou de bien-être animal dont le bénéfice immédiat ne semble pas complètement évident. Par contre une conséquence qui plombe le travail des agriculteurs tous les jours, c’est la complexité administrative qui fait qu’une boucle manquante, une notification hors délais ou un bidon mal rangé se traduit par des sanctions financières très concrètes. La simplification administrative relève encore et toujours du vœu pieux.

Les techniques culturales modernes ont apporté des avantages indéniables, leur point le plus faible est leur dépendance aux énergies fossiles, ressources dont nous éprouvons tous quotidiennement qu’elles sont chères et limitées dans leur disponibilité. Le recours aux intrants chimiques de synthèse mobilise de plus en plus d’oppositions. L’interdiction des néonicotinoïdes a débouché sur l’abandon de la protection des betteraves sucrières et le recours à des pulvérisations aériennes d’insecticides certainement plus nocives que l’enrobage des semences mais a surtout entrainé une mise en danger grave de toute cette filière. Cherchez la cohérence. Un insecticide de la même famille des néonicotinoïdes est interdit en Europe sur des animaux destinés à l’alimentation humaine mais il n’est pas interdit d’usage pour les chiens et les chats, animaux de compagnie proches des enfants ! Cherchez également la cohérence avec ces accords commerciaux bilatéraux qui permettent l’importation à des conditions avantageuses en provenance de pays tiers de produits obtenus en utilisant des matières actives interdites en Europe. Je ne parle même pas de l’avantage concurrentiel déloyal ainsi obtenu au détriment de la production européenne. Rappelons que la préférence communautaire était un des 3 principes de base de la PAC définis lors de la Conférence de Stresa.

L’insécurité des biens et des personnes devient un risque croissant en agriculture. Un peu avant Noël, nous avions largement réagi suite à l’intrusion illégale de GAIA chez 3 éleveurs de canards gras pour tourner des images en caméra cachée, images qui font ensuite l’objet de montages habiles pour sensibiliser les citoyens. Très régulièrement, nos membres nous rapportent des menaces et agressions dont ils ont fait l’objet : menaces verbales, gestes menaçants, véhicule en travers du chemin pour empêcher le passage du tracteur. Toute action de protection des cultures au moyen de produits phytosanitaires est considérée par une partie de l’opinion comme une pollution dangereuse et amène certains extrémistes à agresser des agriculteurs dans l’exercice de leur mission : assurer l’approvisionnement alimentaire de l’ensemble de nos concitoyens. Force est aussi de constater que l’intervention de la police pour tapage nocturne lors de travaux de récolte ne relève pas de la fiction. Heureusement, en général, les règlements de police couvrent cette exception pour les moments de récolte. De très nombreux vols de carburant, de GPS dans les tracteurs, de matériels divers sont perpétrés, des installations sont sabotées, pour lesquels les poursuites judiciaires sont le plus souvent infructueuses ou inexistantes.

Malgré tous les inconvénients et toutes les contraintes, la FWA et ses services se battent chaque jour pour que les agriculteurs puissent continuer leur noble mission de nourrir l’humanité en répétant avec les technologies modernes les gestes ancestraux de confier la graine à la terre, et de l’amener à maturité pour que l’épi redonne au centuple les grains de blé qui deviendront notre pain quotidien. Les agriculteurs savent que pour récolter il faut d’abord semer même si leur rémunération reste bien basse et ne représente que 40 % du revenu moyen.

Plutôt que de fustiger la part de l’agriculture dans les émissions de gaz à effet de serre, nos dirigeants devraient se souvenir que grâce au processus de photosynthèse, les végétaux cultivés par les agriculteurs transforment l’énergie solaire en glucides nourriciers qui peuvent être récoltés. Nos ruminants sont aussi les seuls à pouvoir transformer des végétaux et des co-produits industriels non comestibles pour l’homme en protéines qui garniront nos assiettes. L’agriculture pratique l’économie circulaire depuis des millénaires et produit à partir des effluents et de la matière végétale, de manière totalement renouvelable de l’énergie et de la matière organique qui viendra contribuer au bon état des sols.

Malgré leur diminution constante, les agriculteurs ont assuré l’approvisionnement alimentaire d’une population en croissance constante, un agriculteur nourrit 97-98% de ses concitoyens. La qualité des produits alimentaires n’a jamais été aussi contrôlée et sûre, en témoigne l’augmentation de l’espérance de vie. Il est nécessaire et indispensable que les efforts fournis par nos agriculteurs et les risques qu’ils prennent pour assurer cette mission nourricière si vitale et si stratégique soit reconnue à sa juste valeur.