La prolifération de certaines populations d’animaux sauvages pose de multiples problèmes. Des problèmes de dégâts agricoles, nous y reviendrons largement, mais aussi, n’en déplaise à certains, des soucis de biodiversité.

Marianne Streel – Anne Pétré

 

En 2021, déjà, nous avions reçu une multitude d’appels concernant des dégâts de corvidés aux cultures ou aux boules de fourrage enrubannées, avec pour conséquence des pertes économiques insupportables pour le secteur agricole. Cette situation nous avait amenés à réagir fermement auprès de Madame Tellier, la Ministre compétente, et à réclamer une indemnisation des dégâts auprès de la Région, ainsi qu’une facilité à obtenir des dérogations de tir pour les cultures à risque.

Pour appuyer ses revendications, la FWA avait réalisé une enquête de grande envergure auprès des agriculteurs: plus de 330 agriculteurs avaient répondu et exprimé tout leur désarroi face à cette situation de prolifération des dégâts de corvidés.

 

Les recours introduits auprès du DNF avaient permis d’obtenir des dérogations afin de réduire ces populations de corvidés. Suite à cela, la Ligue belge pour la protection des oiseaux (LBPO) a introduit auprès du Conseil d’Etat, un recours visant à annuler ces autorisations de tir. Ce recours a été jugé recevable, le Conseil d’Etat estimant que le cantonnement DNF n’était pas compétent pour accorder ces dérogations.

Désormais, c’est donc l’inspecteur général du DNF qui doit statuer, après avoir pris l’avis du Pôle ruralité, section nature.

Bien sûr, il est normal que les procédures soient respectées, mais l’urgence de la situation et la multiplication des dégâts que nous constatons cette année encore, ne nous donnent pas la possibilité d’attendre des mesures concrètes durant plusieurs semaines. Il faut agir, et il faut agir vite !

 

Sur ce dossier, on rencontre pourtant une remarquable unanimité: les agriculteurs, les chasseurs et bon nombre de protecteurs de la biodiversité s’accordent à dire qu’il faut intervenir urgemment pour réduire les populations de corvidés, qui occasionnent des dégâts multiples aux cultures ainsi qu’à la petite faune.

Le problème est objectivé: la population de corvidés a doublé en 30 ans, et les dégâts sont bien visibles, tant dans les cultures, que dans les nichées d’autres oiseaux des plaines, que dans les jardins de nos concitoyens, qui se plaignent aussi du bruit incessant que causent les colonies de corvidés qui s’agglutinent même près des habitations. Cette augmentation de la population n’est pas une vue de l’esprit, et l’ASBL Faune et biotope l’avait déjà confirmé à l’occasion d’une interview dans nos pages au printemps dernier, relevant la nécessité d’attaquer le problème avec détermination, pour préserver les populations d’oiseaux des plaines et de passereaux. Il en va de même des pies, qui font un festin des œufs et oisillons d’espèces plus fragiles ! Cette multiplication des divers types de corvidés est notamment et surtout imputable à leur classement prolongé en «espèce protégée», un classement injustifié aujourd’hui, et à l’extension de l’habitat rural aux abords des villages. Il est donc un peu facile d’accuser les agriculteurs, victimes de ces populations malgré la mise en place de plusieurs méthodes d’effarouchement, d’être en plus responsables de la multiplication des dégâts !

Incriminer une soi-disant réduction des surfaces de prairies permanentes (qui pour rappel restent remarquablement stables, au contraire), est donc réellement inacceptable.

 

Pour la FWA, il faut dès lors de manière urgente réviser la Loi sur la conservation de la nature sur les «dérogations espèces» afin d’aboutir à une simplification et à une accélération des procédures actuelles.

Le Pôle ruralité lui-même concède dans un courrier adressé aux Ministres régionaux de l’Environnement et de l’Agriculture, qu’il serait opportun de simplifier les démarches, car il est dans l’impossibilité de traiter les trop nombreuses demandes qui lui parviennent à ce sujet.

Nous rappelons à ceux d’entre-vous qui seraient touchés de ne pas oublier de faire constater les dégâts en demandant un passage commission communale.

Le dialogue nourri qui s’est installé entre les divers acteurs de la ruralité concernés par la question de la gestion de la faune et des éventuels dégâts qu’elle occasionne dans nos champs et forêts, est bien présent pour le dossier corvidés, comme il l’est par ailleurs dans celui des sangliers.

Agriculteurs, chasseurs, forestiers, propriétaires ruraux, Union des Villes et Communes, partagent largement la même préoccupation: maintenir une biodiversité équilibrée, la renforcer, tout en protégeant la flore et la faune des dégâts auxquels elle est soumise.

Nous attendons des Ministres de l’Environnement et de l’Agriculture qu’ils entendent les demandes des acteurs du monde rural. Les plans de tir sangliers pour la prochaine saison de chasse sont attendus dans les toutes prochaines semaines: nous espérons qu’ils seront ambitieux et répondront à l’indiscutable besoin de réduire encore drastiquement les populations de sangliers présentes sur notre territoire. La peste porcine africaine est à nouveau à nos portes: les éleveurs porcins, qui traversent une crise prolongée et dramatique, ne pourront pas assumer les conséquences collatérales d’une nouvelle dissémination de cette maladie au sein de la faune sauvage!

«Il faut une régulation d’urgence des freux, choucas et corneilles»

A l’instar de nombreux agriculteurs, Jules Thirion vit quotidiennement un cauchemar avec la prolifération des corvidés sur et aux abords de son exploitation. Les volatiles ont saccagé plus d’un hectare de semis de maïs. Une parcelle qu’il va lui falloir ressemer. Sans compter les galeries dans les silos et autres vols d’aliments pour bétail. «Nos décideurs ont été trop longtemps laxistes. Il faut réguler d’urgence les freux, les choucas et les corneilles!»

Ronald Pirlot

 

C’est un remake du film «Les Oiseaux» d’Alfred Hitchcock et de son atmosphère particulièrement oppressante que sont en train de vivre un nombre important d’agriculteurs. Il leur suffit de plonger le regard sur la ligne d’horizon pour apercevoir la prolifération ces dernières années du nombre de corvidés. Freux, corneilles et autres choucas pullulent dans les campagnes. «Avec la sécheresse de ces dernières semaines, ils se sont attaqués aux cultures. Ainsi, sur une parcelle de 6Ha de semis de maïs, plus de 1Ha a été complètement saccagé», déplore Jules Thirion, agriculteur à Liernu (Eghezée). De fait, un rapide détour par ladite parcelle permet de constater les dégâts occasionnés par les volatiles sur une large butte désormais nue de toute végétation. «Ils creusent la terre avec leur bec pour rechercher le maïs germé, le sort en arrachant les plants qui sèchent par terre et le tour est joué».

 

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Jules Thirion ne peut que constater les dégâts occasionnés par les volatiles sur une vaste étendue de son terrain.

 

Ressemer sans la moindre garantie de réussite

Résultat pour l’agriculteur, il est bon pour ressemer. «A raison de 500€/Ha, semences et engrais compris, faites le compte. Sans savoir s’ils ne vont pas recommencer à s’attaquer à ces nouveaux semis. Et même si ce n’est pas le cas, le retard de croissance va occasionner une perte de production indubitable. A l’heure où l’on brandit la menace de famines dans certaines régions du monde suite à l’invasion russe en Ukraine, voir des semis gaspillés par des oiseaux nuisibles qu’on nous contraint de laisser se nourrir en toute impunité s’avère tout bonnement choquant», fulmine Jules Thirion.

Dans la bouche de l’agriculteur, il n’est pas question de faire marche arrière et de réintroduire un répulsif dont l’efficacité était à ce point en corrélation avec ses incidences environnementales qu’il fut interdit d’utilisation. Mais il lui faut constater que les oiseaux s’accoutument aux répulsifs actuels et autres moyens d’effarouchement mécaniques. La solution pourrait venir d’une intervention cynégétique.

 

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Les volatiles s’introduisent dans les étables et les silos de maïs.

Seule solution: la régulation

En attendant, le problème s’avère chaque année un peu plus complexe en raison de la reproduction rapide de la population globale des corvidés.

«Sans mauvais jeu de mots, on récolte actuellement ce que nos décideurs ont semé», ajoute l’agriculteur, référence avec cette politique selon lui par trop laxiste qui n’a pas anticipé ce problème. Et de prôner pour une réelle politique volontariste afin de réguler le nombre de ces volatiles. «Il est vraiment urgent, car le problème ne va faire que s’aggraver!», conclut l’agriculteur, le regard tourné vers ces plants de maïs séchant au soleil. Ou encore de ce silo de maïs attaqué par les volatiles qui y creusent des galeries pour rechercher de la nourriture fraîche. «Fermer le silo, c’est risquer de les voir trouer la bâche à de multiples endroits et d’avoir au final encore plus de déperditions. Au prix où est la nourriture, je ne peux pas me le permettre», regrette l’agriculteur, contraint de choisir entre la peste et le choléra. Un spectacle d’intense désolation pour cet agriculteur qui, à l’instar de ses confrères sinistrés, se demande qui va prendre en charge le coût financier du manque à gagner occasionnés par ces dégâts? Alors qu’au loin s’envolent plusieurs dizaines de volatiles dont les croassements s’assimilent comme autant de revendications de leurs forfaits…

6 mois pour obtenir la dérogation de les chasser!

Les corvidés sont des animaux protégés. La loi prévoit toutefois la possibilité d’obtenir une dérogation pour les chasser afin, notamment, de «prévenir des dommages importants aux cultures». Mais, comme le confie un chasseur, il faut environ 6 mois d’attente pour l’octroi de cette dérogation. Ce qui en décourage plus d’un de la solliciter.  

 

Il convient de savoir que tant les freux que les corneilles et les choucas sont des oiseaux protégés. Comme le rappelle la Ligue royale belge de Protection des Oiseaux (LRBPO) sur son site, ils bénéficient en effet de la protection définie par l’Article 2 de la loi du 12 juillet 1973 qui stipule que «sont intégralement protégés tous les oiseaux, normaux ou mutants, vivants, morts ou naturalisés, appartenant à une des espères vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen». A ce titre, il est interdit de les piéger, de les capturer ou de les mettre à mort, quelle que soit la méthode employée. La législation prévoit toutefois la possibilité, sur dérogation, de les détruire «en vue de prévenir des dommages importants aux cultures, à la forêt ou dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publique».

 

40Ha de maïs à ressemer

Une législation que Bernard Debouche, administrateur au sein d’un conseil cynégétique, connaît bien. «Le problème, c’est que l’interprétation de la loi a évolué suite au recours devant le Conseil d’Etat par la LRPBO. Si par le passé, cette dérogation était donnée à titre collectif à un même groupe de chasseurs, désormais chaque membre doit introduire une demande individuelle auprès de l’inspecteur général du DNF. Or, il faut savoir qu’il faut environ 6 mois pour obtenir une réponse! L’on en viendrait presque à croire qu’il existe un frein quelque part. Toujours est-il que nombreux sont les chasseurs qui se lassent et laissent tomber. C’est ainsi qu’au sein de notre conseil cynégétique, nous sommes désormais 10 chasseurs ayant la dérogation, pour 290 auparavant! Et vu que ces animaux se reproduisent très vite…».

Bernard Debouche connaît de nombreux agriculteurs à qui cette absence de régulation pose de gros problèmes. «Une de mes connaissances, représentant en semences, m’a parlé d’une superficie globale de 40Ha à ressemer en maïs par ses clients». Et de rappeler que les agriculteurs peuvent, eux aussi, introduire une demande de dérogation auprès du DNF. «Nous, chasseurs, sommes prêts à intervenir au besoin», conclut-il.

champ & corbeau
Seule solution, la régulation des populations qui pullulent littéralement dans les campagnes.